Enseignement privé : le rapport accablant du député LFI Paul Vannier

mardi 23 avril 2024.
 

Enseignement privé sous contrat et financement public : chronique d’un désastre pour l’éducation. Le rapport du député Paul Vannier et de son co-rapporteur Christopher Weissberg est sorti jeudi 4 avril, après 6 mois de travail. Un rapport de 178 pages qui met en lumière les rouages d’un « système hors de contrôle » selon les mots de Paul Vannier. Un système pour le moins opaque, puisque les montants de la dépense publique consacrée à ces établissements ne sont même pas connus précisément. 10, 11, 12 milliards d’euros ? Impossible à l’heure actuelle de le savoir. Une chose est sûre : cet argent public sert souvent à entretenir des pratiques loin d’être conformes aux principes de la République et à alimenter le séparatisme scolaire.

Plusieurs scandales, au premier rang desquels le lycée Stanislas (homophobie, culture du viol, irrespect de la liberté de conscience des élèves), ont récemment mis en lumière différents abus, dans un paysage de 7 500 établissements privés sous contrat, à 96% catholiques. Beaucoup de parents d’élèves et de professeurs dénoncent ces pratiques ; et de plus en plus de responsables politiques et d’associations estiment qu’il y a urgence à agir. « Il est temps, après 40 ans d’omerta », confirme Paul Vannier.

Par ce rapport, le député appelle donc lui aussi à « une réaction rapide et forte du Gouvernement » et à une refonte totale du modèle de financement des établissements privés sous contrat. Avec des orientations claires : faire prévaloir « les principes de transparence, de contrôle, de justice et d’égalité » pour que cesse le système délétère actuel. Notre article.

Des établissements privés hors de contrôle financiers

L’école privée est en roue libre : aucun des mécanismes de contrôle ne fonctionne correctement. C’est ce qu’il faut retenir du rapport d’information parlementaire du député LFI.

En juin dernier, la Cour des comptes écrivait déjà dans son rapport : « Le contrôle financier des établissements privés sous contrat […] n’est pas mis en œuvre ; le contrôle pédagogique […] est exercé de manière minimaliste ; le contrôle administratif n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé ». Un manque de contrôle systémique et global donc, sur lequel le rapport d’information tente de faire toute la lumière.

Aucune administration publique ne connaît le montant exact de la dépense publique consacrée aux établissements privés sous contrats. Et cette opacité est construite : certaines dépenses sont volontairement occultées du calcul, sous-estimées ou simplement non évaluées. Par exemple, les niches fiscales dont bénéficient les établissements privés recevant des dons. Ce sont a minima plusieurs centaines de millions d’euros qui échappent au calcul chaque année.

Au total, le rapport Vannier estime le financement public de ces établissements entre 10 et 12 milliards par an.

En commission, Paul Vannier détaille les raisons de cette opacité : « Un haut fonctionnaire nous a décrit clairement la culture de l’évitement qui pousse les acteurs, par peur d’un procès en guerre scolaire, à l’auto censure ». Un problème d’autant plus massif que les dépenses consacrées à l’enseignement privé montent en flèche. Par exemple, depuis 2016, Valérie Pécresse a augmenté de + de 450% les dépenses d’investissements pour les établissements privées sous contrat en Île-de-France. Le rapport souligne la nécessité de « lever le tabou immédiatement sur ces dépenses ».

Pour clarifier le système et aller vers davantage de transparence, le rapport recommande l’élaboration d’un jaune budgétaire (une annexe budgétaire des lois de finance retraçant l’ensemble des dépenses pour ce sujet) et l’interdiction des subventions permettant de financer sur fonds publics du patrimoine privé.

Le rapport déplore aussi la facilité avec laquelle les détournements de fonds public sont rendus possibles par un manque de contrôle : la fausse déclaration d’heures d’enseignement payées sur fonds publics ou le détournement de fonds communales pour des mesures interdites. De même, les contrats d’associations entre l’État et l’établissement sont parfois introuvables : ils ont disparu pour 21% des établissements privés, note le rapport. Ces manquements sont rendus possibles par une absence de contrôle a posteriori : les audits des établissements afin de vérifier le bon usage des deniers publics sont quasiment inexistants. « Au rythme actuel, il faudrait 1500 ans pour auditer tous les établissements privés sous contrat », assène Paul Vannier lors de la présentation du rapport.

Lui et son collègue rapporteur préconise de renforcer les moyens des Directions départementales des finances publiques (DDFIP) et d’élargir la possibilité d’engager les procédures de rupture de contrat.

L’enseignement privé, territoire perdu de la République ?

Les dérives des établissements d’enseignement privé sont bien connus de tous, abondamment documentés par l’Insoumission et autres médias. Le rapport de Paul Vannier n’a pas vocation à lister tous les abus et dérives de ces établissements, mais d’expliquer comment ceux-ci peuvent surgir aussi nombreux, et persister malgré la loi.

La mission d’information souligne un premier élément : le cadre de gestion entre les établissements privés et l’État s’établit en grande majorité en dehors de tout cadre légal. Un dialogue informel s’est mis en place via des réseaux d’établissements privés catholiques ; contrevenant ainsi frontalement aux lois de 1905 et de 1959. Le rapport dévoile comment le réseau des établissements catholiques intervient de façon considérable dans le processus d’allocation des moyens publics. Si bien que Paul Vannier s’interroge : « Existe-t-il deux ministères de l’Éducation, celui de l’Éducation nationale et le secrétariat général à l’enseignement catholique en charge de l’école privé ? »

Cette situation permet une inégalité de traitement entre les grands établissements catholiques intégrés dans ces réseaux – moins soumis aux exigences légales – et ceux des petits réseaux laïcs, protestants, juifs ou musulmans. C’est surtout le cas pour le réseau des établissements musulmans ; le plus petit avec 1300 élèves pour 11 établissements. Ce sont les plus contrôlés du pays, avec des demandes de contractualisations sensiblement moins acceptées qu’ailleurs.

Paul Vannier souligne en ce sens un « deux poids deux mesures choquant » entre l’établissement privé musulman Averroès à Lille et celui de Stanislas à Paris. Alors que la gravité des griefs envers les deux établissements étaient comparables, le lycée Averroès, accueillant plus de 50% d’élèves boursiers, a vu son contrat rompu tandis que Stanislas n’a jamais été mis en cause.

Pour mettre fin à un système déséquilibré, le rapport appelle à « revenir à un dialogue direct entre l’État et les établissements conforme à la loi Debré » – c’est-à-dire sans intermédiaires – et mettre fin aux dialogues de gestion entre l’État et les représentants de réseaux nommés par des autorités religieuses.

Le quatrième et dernier constat du rapport d’information est peut-être le plus important : le financement public des établissements privés sous contrat nourrit le processus de ségrégation scolaire et d’inégalités. Les écarts entre publics et privés sont désormais généralisés : l’enseignement privé contribue à hauteur de 33 à 45% à la ségrégation sociale totale entre les collèges, et scolarise 3 fois moins d’élèves boursiers que le public explique le rapport.

Pour le député Vannier, « l’aggravation de cette ségrégation socio-scolaire porte atteinte à la cohésion sociale et au principe d’égalité. Il convient de l’affronter de manière volontariste sous peine de voir se constituer définitivement un système à deux vitesses. » Le rapport s’accompagne de propositions en ce sens : mettre en place un contrat d’objectifs et de moyens avec chaque établissement privé et intégrer un mécanisme de malus diminuant les moyens accordés aux établissements d’enseignement privé contribuant à la ségrégation.

De grands chantiers donc pour refonder le modèle de financement public des établissements privés sous contrat. Avec ce rapport, la France Insoumise continue son combat contre la ségrégation sociale et les inégalités scolaires. Pour ses députés, la grande lutte pour l’égalité passe aussi par un meilleur contrôle de l’enseignement privé et un système d’éducation nationale solide.

Par Zoé Pébay


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