Israël-Gaza : ce que dit le droit international en temps de guerre

dimanche 5 novembre 2023.
 

Le Hamas et les forces armées israéliennes ont pour obligation d’épargner autant que possible la vie des populations civiles selon le droit international humanitaire, faute de quoi ils peuvent se rendre coupables de crimes de guerre. Les contours de cette guerre posent de nombreuses questions sur l’application du droit international ou de ce qui ressort du crime de guerre.

Qu’est-ce que le droit humanitaire ? Civils et combattants : comment le droit les distingue ? Peut-on viser des bâtiments civils ou sanitaires ? Le blocus est-il interdit ? Quelles sont les règles sur les otages ? Quelles précautions Israël doit-il prendre dans la bande de Gaza ? Le fait de prévenir un endroit peuplé d’un bombardement donne-t-il à Israël le droit de le bombarder ? Un belligérant a-t-il le droit de refuser l’accès aux convois humanitaires ? Qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Qui peut poursuivre Israël ou le Hamas pour crime de guerre ? Qu’est-ce que le droit humanitaire ?

Le droit international humanitaire (DIH), aussi appelé droit des conflits armés internationaux, repose sur plusieurs textes fondateurs ratifiés en partie au lendemain de la seconde guerre mondiale, qui avait été particulièrement meurtrière pour les civils. La quatrième convention de Genève de 1949 est le texte le plus important. Elle énonce plusieurs principes fondamentaux sur la protection des populations civiles en temps de guerre :

la distinction entre civils et combattants,

la proportionnalité dans l’attaque,

la précaution dans l’attaque,

l’interdiction des maux superflus.

Ces principes ont pour but de minimiser autant que possible l’atteinte aux populations civiles en temps de guerre en limitant les méthodes et moyens militaires employés par les belligérants. Le terme civil renvoie à la fois aux personnes mais aussi aux possessions individuelles ou collectives (appartements, maisons, infrastructures, écoles, hôpitaux, patrimoine, etc.), que le droit international protège aussi.

« Les quatre conventions ont été ratifiées de manière universelle, donc elles ont été acceptées par l’ensemble des Etats », explique Caroline Brandao, enseignante-chercheuse en droit humanitaire international. Ces règles tirent aussi leur légitimité du droit coutumier, à savoir un ensemble de règles non écrites généralement acceptées par tous les pays et toutes les cultures depuis plusieurs siècles et reconnues aujourd’hui comme source du droit international. « Le comité international de la Croix-Rouge s’est basé sur les manuels militaires de chaque pays pour trouver des règles communes, explique Mme Brandao. On ne peut plus arguer de ne pas être concerné et dire “ça ne s’applique pas à moi”. »

Civils et combattants : comment le droit les distingue ?

La notion de « combattant » renvoie à tous les membres des forces armées d’une partie au conflit, à l’exception du personnel sanitaire et religieux. Ces forces armées peuvent désigner les armées régulières d’un pays ou un groupe armé organisé.

Les individus qui n’ont pas encore pris part aux combats mais qui ont été recrutés, entraînés et équipés par un groupe armé non étatique sont aussi considérés comme des combattants car intégrés de facto à un groupe armé. En revanche, les personnes ayant quitté les forces armées ne sauraient être définis comme des combattants : tant qu’ils ne retournent pas en service actif, ils sont considérés comme des civils.

Les civils sont donc définis, à l’inverse, comme toute personne non-membre d’une force armée, mais perdent leur protection au regard du droit international s’ils prennent part aux hostilités.

Le droit international interdit aussi de cibler des personnes qui n’ont pas de responsabilité militaire même quand elles travaillent pour une organisation non-étatique qui comprend une branche armée. Ainsi, les fonctionnaires travaillant pour le Hamas ou même ses chefs politiques ne peuvent être légitimement ciblés par l’armée israélienne sans que cela ne constitue un crime de guerre.

Peut-on viser des bâtiments civils ou sanitaires ?

Tous les bâtiments civils sont protégés par le droit international humanitaire et ne peuvent faire l’objet d’une agression de quelque nature que ce soit (bombardement, pillage, invasion, tirs, encerclement, privation d’eau ou d’électricité, etc.).

Les établissements de santé sont spécialement protégés par le droit international. « Ce sont des sanctuaires (...), ils ne peuvent pas constituer des objectifs militaires. Et on parle d’objectif militaire lorsqu’une attaque doit apporter un avantage militaire précis », affirme Caroline Brandao. Cette protection couvre aussi bien les hôpitaux que les laboratoires médicaux, cliniques, postes de secours, centres de transfusion sanguine et pharmacies.

Mais cette protection ne s’applique pas si ces endroits sont détournés de leurs fonctions humanitaires pour commettre des « actes nuisibles à l’ennemi ». La présence d’armes ou de gardes armés ne suffit pas à constituer un acte hostile. Dans le cas où l’ennemi protège ses combattants ou stocke ses munitions dans un hôpital, il s’agit d’une utilisation abusive. Pour agir légitimement, l’attaquant doit en premier lieu exiger que l’utilisation abusive en question cesse dans un délai raisonnable.

Le personnel médical est protégé par le droit de la guerre et ne doit pas être entravé dans l’exercice de ses fonctions humanitaires. Il perd cette protection s’il participe aux combats. Il en va de même pour les ambulanciers, lesquels ne peuvent pas, par exemple, transporter de munitions ou de combattants valides.

Les journalistes sont aussi couverts par le droit international et ne peuvent être pris pour cible, ainsi que leur équipement professionel, à moins qu’ils ne prennent part, eux aussi, aux combats. En vertu du droit international, ils ne peuvent pas non plus être arrêtés, détenus ou sanctionnés dans l’exercice de leurs fonctions.

Le blocus est-il interdit ?

Le blocus d’une ville ou d’un territoire n’est pas à proprement parler interdit par le droit international humanitaire, mais soumis à des règles en ce qui concerne la méthode employée et les éventuelles conséquences humanitaires. Il est par exemple interdit d’affamer une population civile, l’utilisation de la famine comme méthode constituant un crime de guerre.

Le blocus ne peut ainsi priver les civils des services et biens essentiels à sa survie, sans quoi il devient illégal et s’apparente à une « punition collective », ce qui survient lorsque toute une population civile est punie pour un ou des faits qu’elle n’a pas commis. Un point de droit qu’a récemment rappelé le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, aux autorités israéliennes.

Quelles sont les règles sur les otages ?

La prise d’otage est formellement prohibée et considérée comme un crime de guerre, c’est-à-dire une infraction grave à la fois au sens de la convention de Genève, du droit coutumier, de la Cour pénale internationale (CPI), de la législation de très nombreux Etats et pour un grand nombre de manuels militaires.

La prise d’otage du fait des forces armées du Hamas est donc pénalement traduisible en justice devant la CPI.

Quelles précautions Israël doit-il prendre dans la bande de Gaza ?

Le droit humanitaire impose de prendre toutes les précautions possibles pour éviter ou minimiser les pertes collatérales de vies civiles et les dégâts sur les constructions civiles. Ces règles imposent à l’attaquant de :

vérifier que ses attaques concerne bien des objectifs militaires,

avertir la population civile environnante des attaques à venir,

ne pas attaquer si les pertes civiles risquent d’être disproportionnée par rapport au gain militaire recherché,

éviter si possible d’attaquer des objectifs militaires dans une zone densément peuplée,

évacuer autant que possible les civils proches des cibles avant une attaque.

La convention de Genève défend aux belligérants de volontairement placer des objectifs militaires au milieu de zones fortement peuplées. Lorsque le cas se présente, comme à Gaza, cela ne peut et ne doit pas alléger les obligations qui incombent à l’attaquant. Il est, par exemple, prohibé de recourir à des explosifs ayant un rayon de destruction trop étendu car les dommages sur les civils risqueraient de dépasser de loin les gains militaires. Des explosifs trop puissants ou à fragmentation, imprécis car incapables de distinguer les cibles combattantes des civils innocents, sont qualifiés par le droit comme des armes « de nature à causer des maux superflus ».

Il est également parfaitement interdit de bombarder une zone tout entière « comme un objectif militaire unique » alors que les objectifs militaires visés sont nettement espacés et distincts.

Le fait de prévenir un endroit peuplé d’un bombardement donne-t-il à Israël le droit de le bombarder ?

Lors d’une attaque dans un lieu densément peuplé, le droit de la guerre impose à l’attaquant d’avertir efficacement les civils. La notion d’efficacité dépend des circonstances, l’enjeu principal étant de donner un temps suffisant aux civils pour évacuer la zone, sans quoi un tel avertissement ne sera pas considéré comme conforme au droit.

Toutefois, le droit international dit que les civils qui n’évacueraient pas la zone menacée doivent être protégés, sans quoi les belligérants auraient de facto le droit de déplacer de force des populations entières et de menacer des populations qui n’ont aucun moyen de se défendre. Cette disposition doit permettre, en outre, d’offrir une protection aux civils qui ne peuvent se déplacer (santé précaire, handicap, etc.).

Un belligérant a-t-il le droit de refuser l’accès aux convois humanitaires ?

« C’est une obligation pour toutes les parties au conflit de donner un accès humanitaire aux organisations neutres et impartiales », précise Caroline Brandao. Un belligérant n’a donc pas le droit de s’opposer à l’acheminement d’un convoi humanitaire. En revanche, il a le droit de vérifier le contenu des véhicules qu’il laisse passer.

Cela ne signifie pas pour autant que l’aide humanitaire puisse être acheminée rapidement. « Ce qui est difficile à mettre en place d’un point de vue opérationnel et logistique c’est que pour faire passer ces convois, il faut un accord négocié avec les parties au conflit qui établit des règles pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire », témoigne Colline Beytout-Lamarque, enseignante-chercheuse en droit international humanitaire, jointe par L Monde. « Le souci que l’on a dans la situation actuelle, c’est que l’on n’a pas d’accord pour garantir et pérenniser ce couloir humanitaire. Ça veut dire que l’on revient à la table des négociations pour le prochain convoi, ce qui prend du temps », nuance-t-elle.

Lorsque les parties prenantes au conflit s’opposent à de tels convois, le droit international contraint les Etats tiers à faire pression sur les belligérants afin qu’ils respectent leurs obligations.

Qu’est-ce qu’un crime de guerre ?

On entend par « crime de guerre » toute violation grave du droit international humanitaire commise à l’encontre de civils ou de combattants ennemis dans le cadre d’un conflit armé. La définition donnée par l’article 8 des statuts de Rome fondant la CPI fait, le plus souvent, autorité. La majorité des crimes de guerre jugés concernent les meurtres ou les atteintes à l’intégrité physique de civils ou de prisonniers de guerre, mais aussi le pillage ou la destruction délibérée et arbitraire de constructions civiles.

Le « crime contre l’humanité » est quelque peu différent, puisqu’il est défini comme une attaque intentionnelle généralisée ou systématique contre toute population civile. Il se différencie du crime de guerre par le fait qu’il peut être commis en temps de paix, à grande échelle et de façon systématique.

Le « crime de génocide » renvoie à des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Il peut s’agir de meurtres, mais aussi d’atteintes à la santé physique ou mentale des membres d’un groupe, de sa soumission intentionnelle, de l’atteinte à sa natalité ou de transfert forcé de ses enfants à un autre groupe. Le droit punit également l’entente en vue de commettre le génocide, l’incitation directe et publique à sa commission, la tentative et la complicité.

Qui peut poursuivre Israël ou le Hamas pour crime de guerre ?

La convention de Genève prévoit des moyens de lutter contre l’impunité des auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. « Cela passe d’abord par une justice nationale, qui doit se saisir pour juger les personnes qui n’ont pas respecté le droit humanitaire. Et si les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou ne sont pas en mesure de le faire, une juridiction internationale peut se saisir », analyse Caroline Brandao.

En matière de juridiction internationale, la première instance est la CPI, qui a été spécialement créée pour juger de tels crimes. La Palestine ayant adhéré en janvier 2015 aux statuts de Rome qui fondent la Cour, celle-ci peut poursuivre pénalement tout crime de guerre ou crime contre l’humanité commis sur son sol ou par un Palestinien. Cela peut concerner à la fois les crimes commis dans la bande de Gaza par les forces armées israéliennes que les massacres commis par la branche armée du Hamas le 7 octobre sur le sol israélien. La CPI peut également être saisie sur demande du Conseil de sécurité de l’ONU, quand bien même aucune des parties impliquées n’aurait adhéré aux statuts de Rome.

La communauté internationale, par les Nations unies, peut aussi demander à mettre en place une commission d’enquête sur un conflit armé en particulier, puis si les crimes sont avérés, à créer une juridiction spéciale pour traduire les responsables en justice, comme ça a été fait avec l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.

En cas d’inaction de la communauté internationale, intervient la notion de compétence universelle, qui autorise n’importe quelle juridiction nationale à poursuivre les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Cette exception se justifie par le fait que la gravité de ces crimes porte atteinte à l’ensemble de la communauté internationale. « C’est une obligation de rendre justice, quel que soit le moyen. S’il n’y a pas de moyen international qui peut se saisir de l’affaire, les Etats ont l’obligation de mettre en place cette compétence universelle », selon Mme Brandao. Certains Etats comme la France ont une conception relativement restrictive (un lien avec la France est exigé, qu’il s’agisse du lieu géographique du crime, des auteurs ou des victimes), d’autres comme l’Allemagne, l’Italie ou la Belgique partagent une application plus large de cette notion.

Dans les faits, face aux tensions que le conflit suscite sur la scène diplomatique, il semble peu probable que la justice d’un pays en particulier se décide à enquêter puis à tenter de traduire en justice des responsables israéliens ou palestiniens.


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