Septembre rouge

lundi 11 septembre 2023.
 

« Il a insisté pour que je te passe le message suivant : dis à Miguel que maintenant… c’est à son tour ».

Dans le Palais de la Moneda assiégé, Beatriz Allende est au téléphone avec Miguel Enriquez, le dirigeant du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) à qui elle transmet l’un des derniers messages de son père, Salvador Allende. C’est l’une des nombreuses scènes que contient « Septembre rouge ; le coup d’Etat du 11 Septembre 1973 au Chili », écrit par Olivier Besancenot et Michael Löwy et publié par les éditions Textuel à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin tragique de l’Unité populaire chilienne.

Comme l’indiquent les auteurs dans la préface, il ne s’agit pas dans cet ouvrage de mener les débats stratégiques, de « tirer les leçons » de l’expérience chilienne ni de répondre aux multiples questions d’orientation politique qu’elle a posé : « nous avons voulu réaliser un exercice plus modeste, une sorte de récit politique romancé qui traite de la conspiration putschiste et de la journée du 11 Septembre ».

Pour parvenir à raconter cette histoire (à lire absolument), Olivier Besancenot et Michael Löwy se sont appuyés sur de très nombreux documents ainsi que des entretiens avec celles et ceux qui en furent les témoins et, surtout, les acteurs et actrices, sans s’interdire pour autant le recours à la « licence artistique » leur permettant de puiser dans leurs imaginations afin de reconstituer telle scène ou tel dialogue. On peut dire sans complaisance que le résultat est impressionnant puisque l’on se prend à se passionner pour les épisodes pourtant connus d’une histoire dont, surtout, nous savons l’issue tragique.

Les ouvrages militants ou universitaires – souvent les deux ! – publiés aussi bien à la fin des années 70 que plus récemment présentent l’intérêt principal de documenter ce que furent les débats au sein de la gauche chilienne et d’étudier en détail ce que furent les mobilisations populaires, les différentes structures d’auto-organisation et, plus largement, l’émergence du pouvoir populaire (poder popular). Bien sûr, « Septembre rouge » fournit de nombreux éclairages sur ce que fut aux heures décisives l’action des partis de la gauche chilienne, essentiellement l’équipe autour de Salvador Allende et la direction du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR). Il est d’ailleurs significatif que seules deux photos illustrent l’ouvrage : la dernière photo de Salvator Allende le 11 septembre devant le palais de la Moneda et celle de Miguel Enriquez, le secrétaire général du MIR. L’ouvrage donne aussi à voir l’impuissance des militants et des militantes face à la brutalité du coup d’Etat et l’effondrement rapide de tout espoir immédiat de résistance.

Mais l’un des intérêts supplémentaires de « Septembre rouge » tient aussi à ces incursions multiples réalisées dans « le camp d’en face » : les dialogues dans le Bureau ovale entre Richard Nixon, Henry Kissinger et les dirigeants du « renseignement » US ; les manœuvres du grand patronat chilien ; l’omniprésence des dirigeants de groupes fascistes ; et, bien sûr, les différentes actions menées par l’Etat-major de l’armée chilienne. On y lit (comme si l’on y était) comment depuis le premier jour – l’annonce du résultat de l’élection présidentielle en septembre 1970 – tous ces sinistres personnages ont cyniquement tout mis en œuvre pour renverser Allende. A aucun moment, ils n’ont envisagé de respecter l’issue du scrutin. Manœuvres parlementaires, attentats, assassinats, sabotage économique, utilisation des groupes fascistes et préparation du putsch : tout était bon pour préserver les intérêts de la classe dominante chilienne et de ses sponsors états-uniens. C’est ce que montrent de manière vivante les dialogues imaginés par Olivier Besancenot et Michael Löwy, tout comme ils illustrent les connections entre ces différents milieux, la construction patiente d’un véritable « front de classe » de la bourgeoisie chilienne.

Alors, même si « Septembre rouge » se veut modeste quant à ses ambitions à traiter des débats stratégiques, comment ne pas lire dans le récit de ces évènements le constat lucide et implacable de « cette vieille règle de la lutte de classes : la démocratie n’est tolérée par les oligarchies que si elle ne menace pas leurs privilèges » ?

François Coustal


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