Philippe Leclerc, intérimaire de 70 ans, mort au travail

vendredi 25 août 2023.
 

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Il s’appelait Philippe Leclerc, il avait trois enfants, il travaillait encore à 70 ans et, jeudi 10 août, il est mort après une chute sur son lieu de travail. L’intérimaire breton est décédé alors qu’il effectuait une mission de maintenance pour l’entreprise d’escaliers Riaux située à Bazouges-la-Pérouse, en Ille-et-Vilaine.

Selon le journal Ouest France qui révèle l’accident, le leader français de l’escalier sur mesure avait fermé le site de Bazouges-la-Pérouse pour renouveler son système d’aspiration des poussières. Un nouvel aspirateur de 22 mètres de haut devait être installé, deux fois plus haut que l’ancien. Pour ce chantier, le service de maintenance de l’entreprise avait été renforcé d’intérimaires, dont Philippe Leclerc.

Il a chuté alors qu’il finissait son démontage réalisé dans une position mettant en jeu sa sécurité personnelle.

Sébastien Farges, procureur de la République adjoint de Rennes. Selon le procureur de la République adjoint de Rennes, Sébastien Farges, Philippe Leclerc était chargé, avec un autre salarié, d’une intervention sur un tuyau « à 3 m 80 de hauteur dans le local de chaufferie ». Selon les constatations matérielles, le septuagénaire aurait accédé « à une petite plateforme de maintenance au sommet de la chaudière », à l’aide d’une nacelle, sans garde-corps. Il précise aussi que l’intérimaire a « circulé jusqu’au fond de l’installation sans protection individuelle ou collective vers un conduit d’aspiration qu’il devait démonter. Il a chuté alors qu’il finissait son démontage réalisé dans une position mettant en jeu sa sécurité personnelle ».

Une enquête a été ouverte par l’inspection du travail et la brigade de gendarmerie de Vitré. Auprès de Mediapart, comme auprès de nos confrères, Sébastien Farges estime qu’il est « bien trop tôt pour déterminer les responsabilités pénales dans ce dossier » mais qu’« on ne peut que s’interroger sur la précarité des conditions d’intervention ».

Un ostréiculteur, un artisan, une guide de haute montagne…

Et Philippe Leclerc n’est pas le seul. Nous ne sommes que le 18 août et déjà plusieurs travailleurs sont morts sur leur lieu d’exercice ce mois-ci.

Le 5 août, un ostréiculteur est décédé d’un arrêt cardiaque sur un bateau au large de l’île d’Oléron, en Charente-Maritime. Une enquête a été ouverte par le parquet de La Rochelle.

Deux jours plus tard, un travailleur du grand port maritime de Bordeaux a succombé à ses blessures. Quelques jours auparavant, lui et quatre de ses collègues chutaient du haut d’une nacelle de plus d’une dizaine de mètres de haut. La procureure a précisé à France 3 « qu’il s’agissait de ressortissants russes qui travaillaient pour une entreprise sous-traitante, elle-même en contrat avec Castel et Fromaget, une société de BTP ». Le parquet a confié l’enquête à l’inspection du travail et à la direction départementale de la sécurité publique de Gironde.

Le 9 août, un artisan auto-entrepreneur de 58 ans est tombé d’un toit à Meillac, en Ille-et-Vilaine. La chute, de huit mètres de haut, a été mortelle.

Le 10 août, un chauffeur de poids lourd est mort dans un accident à Marcilly-la-Campagne, dans le sud de l’Eure. Il avait 50 ans. Le même jour, l’un de ses confrères est décédé après que son camion a pris feu au péage de l’A36 à Saugnac-et-Muret, dans les Landes.

Toujours le 10 août, au niveau du pont de Kerlys à Fort-de-France, chef-lieu de la Martinique, un livreur de journaux est mort des suites de ses blessures après qu’on lui a tiré dessus. Alfred Venite, la soixantaine, faisait sa tournée et selon France Antilles, le journal qu’il distribuait, ce dernier aurait été victime d’une tentative de braquage qui se serait soldée par des tirs d’arme à feu. « Il s’agit du dix-huitième meurtre commis depuis le début de l’année en Martinique, le treizième par arme à feu », précise le journal.

Le lendemain, un accident de la circulation s’est produit à Deshaies, en Guadeloupe. Un poids lourd transportant du béton a fait une sortie de route, a atterri en contrebas de la chaussée, son conducteur, pris au piège, est décédé.

Le 12 août, une guide de haute montagne d’une trentaine d’années a été tuée par une chute de pierre à Vallouise-Pelvoux dans les Hautes-Alpes. « Elle a été percutée par un bloc qui s’est décroché alors qu’elle descendait en rappel », a expliqué le procureur de la République au Dauphiné libéré.

Deux ouvriers ont été électrocutés, lundi 14 août, sur le chantier d’un nouveau lotissement de Boustroff, en Moselle. L’un d’entre eux en est mort. La cause ? Un engin qui se serait trop rapproché d’une ligne à haute tension, apprend-on dans Sud-Ouest.

Le 15 août au matin, le retournement d’une benne à prunes dans le Tarn-et-Garonne a fait trois blessés et un mort. L’ouvrier agricole décédé avait 68 ans, il ramassait des fruits quand la passerelle agricole s’est retournée.

Des victimes qui n’ont pas de visages

Tous ceux-là sont rarement nommés dans la presse quotidienne régionale, la seule à couvrir quotidiennement ces accidents mortels. Aussi, ces articles sont souvent rangés à la rubrique des faits divers… Au grand dam des familles de victimes regroupées dans le collectif Stop à la mort au travail.

Nos histoires ne sont pas des faits divers.

Véronique Millot, vice-présidente de l’association et mère d’Alban, jeune salarié mort à 25 ans « Nos histoires ne sont pas des faits divers », tempête Véronique Millot, vice-présidente de l’association et mère d’Alban, jeune homme mort à 25 ans, alors qu’il posait des panneaux solaires sur le toit d’un hangar en Ille-et-Vilaine. « Le fait de ranger nos histoires dans les faits divers, ça les banalise. Cela arrive si souvent que ce n’est pas un fait divers mais un fait de société. »

En 2021, l’assurance-maladie dénombrait 645 morts au travail. En 2019, elle en comptait 733 quand la Dares, le service de statistiques du ministère du travail, en dénombrait 790.

Pour Matthieu Lépine, auteur de L’Hécatombe invisible, Enquête sur les morts au travail, et qui recense depuis plusieurs années sur Twitter et sur son blog les accidents du travail mortels, ces chiffres sont bien en deçà de la réalité. Il l’expliquait, en mars 2021, dans Mediapart : « Les chiffres de l’assurance-maladie ne prennent en compte que les salariés du secteur privé, c’est-à-dire 19 millions de salariés tandis qu’on a France autour de 29 millions d’actifs… Il y a à rajouter tous les salariés du secteur public, tous les indépendants, les agriculteurs, les marins-pêcheurs. »

« Si on ajoute les morts déclarés par la Dares, puis ceux de la MSA [la sécurité sociale agricole – ndlr], puis ceux du régime des marins-pêcheurs, sur l’année 2019, on arrive à 896 morts, poursuit le professeur d’histoire-géographie. Et encore il manque toute une série d’indépendants, de travailleurs européens détachés… Sur les sans-papiers, le décompte est assez compliqué. »

« Il n’est pas normal de mourir au travail, il faut le répéter, insiste Véronique Millot. Et quand il y a une mort au travail, c’est toujours qu’une règle de sécurité n’a pas été respectée. Ce n’est pas avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. »

Le collectif de familles se bat désormais pour que le sujet dépasse la rubrique fait divers et s’impose comme un sujet politique majeur. Il table sur la prévention, sur de larges campagnes de sensibilisation mais aussi sur un meilleur contrôle des conditions de travail. « Sauf qu’il y a trop peu d’inspecteurs du travail, conclut-elle. Il y a moins de contrôles donc moins de respect des règles de la part des employeurs. »

Selon Matthieu Lépine, qui effectue sa comptabilité à partir des articles de journaux locaux, la mort de Philippe Leclerc est le 208e de l’année.

Khedidja Zerouali


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