500 tués au travail par an, pas de quoi déranger les médias

dimanche 6 juillet 2008.
 

« Vous êtes en vacances depuis deux ou trois jours. L’Ardèche est belle. Vous avez fait une balade l’après-midi et, le soir, vous êtes allé au restaurant. C’est en sortant que vous vous apercevez qu’il y a un message sur le portable... Mon fils aîné est tombé d’un échafaudage alors que je commençais à savourer mes vacances. Il est mort sur le coup. Ce 2 août 2006 est irréel. » Un drame comme il s’en produit dans les 500 chaque année, rien qu’en France. Celui-là, c’est le drame de Michel Bianco, un ami de Venelles (Bouches-du-Rhône) qui, depuis, jour après jour, bataille contre la machine broyeuse aux multiples visages : machine de l’exploitation au nom du Rendement, machine judiciaire, machine des médias et de leur quasi indifférence devant cette guerre sans nom - donc inexistante.

Ce 2 août 2006, Jérôme Bianco, 32 ans, travaillait, sans formation préalable, sans casque, sur une plate-forme aux garde-corps non adaptés. Il est tombé d’une hauteur de huit mètres et a été tué sur le coup. Ce vendredi 13 juin, le tribunal correctionnel de Grasse va examiner les fautes commises par les responsables des sociétés (TFN-la Maintenance de Paris et Galderma), qui employaient Jérôme.

Michel, son père, n’a eu de cesse depuis de se dresser contre cette sorte d’omerta qui règne dans les médias de masse sur les accidents du travail. Il livre son témoignage et explique son engagement dans un texte bouleversant à lire sur le site du magazine Viva .

Selon l’assurance-maladie des travailleurs salariés, en 2005, 482 salariés sont morts au travail (intérimaires et travailleurs précaires en majorité). Secteurs les plus touchés : le bâtiment et les travaux publics, les activités de service, la métallurgie, les industries des transports, de l’énergie, du livre et de la communication. C’est aussi dans le bâtiment que l’on compte le plus grand nombre d’accidents ayant entraîné une incapacité permanente : 51.938 en 2005.

Le BTP... voyons..., ce ne serait pas là le secteur-maître d’un certain Bouygues, alias TF1 ? Auteur d’un documentaire sur la fermeture des usines Moulinex, Gilles Balbastre, s’est livré à une étude, rapportée aussi dans Viva, sur les journaux de TF1 : en 2001, sur environ 10 000 reportages diffusés, 1 600 portaient sur la sécurité, 2 sur les accidents du travail.

Appliquée à France 2, la comptabilité serait-elle différente ? Il est à parier que non. Le problème est bien plus général et complexe. Il relève de ce qu’on appelait encore naguère l’idéologie dominante. Laquelle ayant même réussi à faire ringardiser son propre énoncé... Du coup la chose a comme disparu - tour de passe-passe, magie des mots entourloupe genre « révision générale des politiques publiques », « clarification de la gouvernance ». Magie du verbe menteur, virtualisation du réel... Mais une telle mise en spectacle ne marche (relativement) qu’avec le secours actif des médias dominants - pourquoi, sinon, des maçons du BTP, des marchands d’armes, des chevaliers de la mode et du luxe iraient-ils investir dans ces industries médiatiques aux rendements financiers plus qu’incertains ? Ce serait sans compter sur les retombées indirectes “fluidifiant” les affaires, toujours sonnantes et trébuchantes.

L’idéologie dominante domine plus que jamais ; elle ne fait que mieux se planquer derrière son faux-nez. C’est d’ailleurs elle qui habille les médias de masse et qui, plus en amont, se trouve généralement à l’œuvre dans la formation des journalistes au nom d’une « technicité professionnelle ». Technicité-mon-cul aurait dit Zazie à juste titre, s’agissant de cette forme qui masque le fond.

Quarante ans de métier, dont la moitié pimentée de formation m’autorisent un avis... autorisé sur la question. Exemple :

Les journalistes et leur fameux professionnalisme... qui ne désigne le plus souvent qu’amateurisme et corporatisme vulgaires. Voyons cette non moins fameuse notion de « hiérarchie de l’info » censée ordonner le flux des nouvelles en fonction de leur importance... Importance selon quoi, qui ? En fait, un truc pifométrique qui assemble, pêle-mêle, l’intérêt supposé du lecteur et celui plus intrinsèque du sujet, décidé par un juge unique, ou un collège restreint - les « professionnels » - selon des critères élastiques autant qu’approximatifs, dont les plus objectifs relèvent en fait des conditions de production. Selon que le « sujet » est prêt à être enfourné au moment souhaité, qu’il est « sexy » [sic], qu’il est bon marché, ou pas trop cher à produire, et roule-ma-poule pour ce qui est des valeurs hiérarchiques !

Quelles « valeurs » donc ? Valeurs humaines, porteuses de justice, de progrès social et culturel, de solidarité ? Je parle ici des médias de masse et de cette forme de journalisme marchand qui a peu à voir avec un pratique essentielle, éthique parce que responsable et donc réfléchie. Je parle d’un journalisme engagé- « engagé comme un journaliste » ai-je déjà clamé ici à propos de Ryszard Kapuscinski et de cette lignée de journalistes non affiliés ni inféodés en aucune manière, mais râpeux, teigneux, opposés, résistants, debout ! De cette espèce aujourd’hui en voie de disparition, non pas en tant qu’individus mais comme « impératif catégorique » du genre humain. Condamnés aux poches de résistance - blogs et journaux en marge - utopiens acharnés ramant vers l’Espérance, cette garce fugueuse.

Car voilà, les affairistes s’accrochent aux manettes. ils ont levé et formé à leurs bottes des armées de « techniciens ». Et les « communicants » ont surgi. Ça me rappelle Jean Giono parlant de l’après-guerre [dans « Tout le long du XIXe siècle... », 1965] : « [...] Les successives découvertes de la science, leur multiplication rapide, installèrent bientôt un abrutissant confort. On rêva non seulement aux libertés des montagnes, mais aux candeurs de la sauvagerie. Des milliardaires achetèrent des barbecues. [...] Arriva « l’estivant » et, mêlé à l’estivant, l’anarchiste, le vieil et bon anarchiste sur lesquelles toutes les sociétés sont construites ». Il galèje peut-être un peu, le Giono. Mais son « estivant », ne serait-ce pas notre « communicant » d’aujourd’hui ? Et où serait donc passé l’anarchiste ?


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