Défenseurs d’une LFI démocratique ou porteurs d’un projet scissionniste très droitier pour 2024 ?

mardi 29 août 2023.
 

Le mouvement « Rencontres souveraines » prévoit une réunion les 23 et 24 septembre 2023 à Nîmes, initié par un accord politique entre « République souveraine, laïque et écologique » et « Oser la France ». Un "appel de 400 militants, animateur des Groupes d’Action locaux de la France Insoumise" est publié par les mêmes "Insoumis démocrates" au même moment. Qu’y a-t-il sous ces initiatives ?

1) Qui organise les « Rencontres souveraines » de Nîmes en septembre 2023 ?

Le mouvement « Rencontres souveraines » qui a prévu une réunion les 23 et 24 septembre 2023 à Nîmes, résulte d’un accord politique entre « République souveraine, laïque et écologique » et « Oser la France ».

Cet accord s’inscrit dans la continuité de la défense du souverainisme français contre « l’Union européenne supranationale en instaurant une Europe des nations indépendantes ». Rappelons que la « social-démocratie » française, plus exactement le parti de François Mitterand, avait soutenu en 1990 la coalition militaire de 35 Etats dirigée par l’impérialisme américain contre l’Irak. Il s’en était suivi une crise qui s’était soldée par le départ de Jean Pierre Chevènement du gouvernement, alors ministre de la Défense. Puis la création du MDC (Mouvement des Citoyens), organisation qui devait entrainer une fraction militante importante venant du PS. Ce parti devait entrer en décomposition rapide, compte tenu de la ligne de ses fondateurs, l’ex-CERES. Il ne s’agissait pas de résister à la vague néo-libérale qui allait profiter opportunément de la dislocation de l’URSS, mais d’unir « les républicains des deux rives », de Chevènement au couple Pasqua-Séguin. On rappellera que Jean Pierre Chevènement, qui devait servir d’aile gauche à François Mitterand, avait fait ses classes dans le club Patrie et Progrès, groupuscule de gaullistes de gauche, qui était pour maintenir l’Algérie française. L’initiative actuelle nous sert le même brouet faisandé.

« Oser la France » est fondé par Julien Aubert en 2017. Professionnellement, c’est un haut fonctionnaire. De 2009 à 2012, il est conseiller spécial du président de la République Nicolas Sarkozy, en tant que responsable des affaires économiques et des financements de projets. Il est élu en 2012 député du Vaucluse grâce au désistement de la candidate FN, un des deux seuls au niveau national. Il aurait notamment écrit au directeur de campagne de la candidate frontiste : « Je m’engage, au nom de l’UMP, à aider Mme Furioli pour les investitures futures et à lui trouver un poste » (voir Wikipedia). Jeune député, il fonde avec six autres nouveaux députés de moins de 40 ans les « Cadets-Bourbon » avec notamment Damien Abad et Gérald Darmanin. Dès 2013, le voilà intégré au programme « Young Leaders » de la Fondation franco-américaine qui promeut de jeunes cadres libéraux. Secrétaire général de l’Association des députés gaullistes depuis septembre 2012, il se situe dans l’héritage de Philippe Séguin. Il se fait remarquer sur les bancs de l’Assemblée, en menant le combat législatif contre le projet de loi en faveur du mariage pour tous en s’opposant violemment à Christiane Taubira. Pour avoir refusé à deux reprises de féminiser le titre de président de l’Assemblée nationale, contre le règlement de l’Assemblée nationale, Julien Aubert fait l’objet le 7 octobre 2014 d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal de l’Assemblée nationale. Réélu de justesse en 2017, il dénonce le soutien public aux énergies renouvelables. Il est secrétaire général adjoint des Républicains de 2017 à 2019. Lors du congrès de 2021 des Républicains, il soutient Éric Ciotti. En 2023, il est nommé vice-président des Républicains par le même Éric Ciotti. Se situant dans la ligne du « gaullisme social et souverainiste », on retrouve dans « Rencontres souveraines », la remise sur le métier de la ligne de l’union des « républicains des deux rives ».

Georges Kuzmanovic (né à Belgrade en 1973), ancien combattant et officier de réserve, est un personnage républicaniste qui a joué un petit rôle sur les questions internationales auprès de Jean Luc Mélenchon. Selon Wikipedia, il a commencé sa carrière dans les missions humanitaires au Rwanda, après le génocide des Tutsis. Au Mali où il construit, des puits et des dispensaires. En France il crée un lieu d’hébergement pour les sans-abris et fonde l’ONG Autre Monde. Il est intéressant de noter que c’est là qu’il se lie à la gauche du PS, dont Benoit Hamon, mais surtout Charlotte Girard. C’est elle qui le présente à Jean Luc Mélenchon en 2005. Lorsque ce dernier fonde le PG (Parti de Gauche) en 2008, il entre dans la direction du nouveau parti et, fait à souligner, fonde une section locale en Russie, dont le responsable Alexey Sakhnin sera exclu en 2022 en raison de sa condamnation de l’offensive militaire russe en Ukraine. En 2018 Kuzmanovic devait multiplier les prises de position contre la ligne officielle de la FI : il se prononce dans l’Obs « pour l’assèchement des flux migratoires », puis considère les luttes féministes comme secondaires. Après avoir justifié l’intervention russe en Syrie en 2015, on le retrouve soutenant l’intervention en Ukraine et qualifiant le régime de Kiev de « pronazi ». C’est ce personnage, que l’on peut qualifier de « rouge-brun », qui s’associe avec son organisation « République souveraine », à l’opération « Rencontres souveraines » de septembre 2023.

Présence surprenante dans cet aéropage de Charlotte Girard, fondatrice du PG avec son ex-époux François Delapierre disparu en 2015 et qui était pressenti pour devenir le dauphin de Jean Luc Mélenchon. Elle reprochait au mouvement de se situer fondamentalement dans le jeu des institutions de la Vème République. Mais de là aujourd’hui à se retrouver dans la même cour que Kuzmanovic aux côtés de personnalités de premier plan des Républicains, comme Julien Aubert, ce n’est plus un écart mais un naufrage !

2) Le texte de l’Appel des 400

Nous, militant.e.s de France Insoumise, de longue date ou plus récent.e.s, avons été mobilisés comme jamais et très déterminés lors des séquences électorales depuis 2016 (et bien avant pour nombre d’entre nous). Ces campagnes, inventives et joyeuses, nous ont enchantés, révélant en nous un enthousiasme et une force dont nous ne soupçonnions parfois pas l’existence !

Sur le terrain, dans nos villes et territoires, comme dans la plupart des luttes (Gilets Jaunes, réforme des retraites, assurance chômage…), nous avons presque toujours été les seuls représentants politiques de gauche (mis à part quelques camarades communistes parfois et d’autres du NPA bien souvent).

Cet engagement, souvent au détriment de nos vies familiales et professionnelles, est une caractéristique importante, pour ne pas dire essentielle, de notre mouvement : il est le prolongement naturel du fabuleux programme que nous portons. Et pour les gens, il est un repère crucial, peut-être même l’espoir d’une alternative rigoureuse et radicale pour réparer les dégâts des politiques néolibérales des 30 dernières années et construire un monde nouveau.

Nous, militant.e.s de la France Insoumise, tirons la sonnette d’alarme. Nous traversons en effet une véritable crise interne liée aux décisions « verticales » à répétition que nous subissons : par exemple de la création de l’Union Populaire à la création de la NUPES, à aucun moment nous n’avons été consultés. Qui rejoint ces parlements ? Qui en devient président.e ? Qui décide de leurs créations et de leur rôle ? On ne sait pas… On devine juste ou on l’apprend par les médias...

Ce dysfonctionnement, ou plutôt l’absence totale de démocratie entre les « décideurs » et les militants de terrain que nous sommes, n’est pas nouveau à la France Insoumise ; à de nombreuses reprises, et sur des sujets d’importance, notre avis a été ignoré. Absence de débat interne sur la gestion de la crise sanitaire, nomination des porte-paroles sans consultation des militant.e.s, impossibilité de dresser des bilans après des élections… sont d’autres exemples de dysfonctionnements qui nous inquiètent.

Nous avons souvent été d’accord avec les décisions prises tout en regrettant qu’elles soient venues d’en haut sans consultation interne. C’est bien sûr pire quand nous sommes confrontés à un choix avec lequel nous sommes en désaccord. Par exemple, et pour l’ensemble des signataires de cet Appel, la décision des alliances en haut, très éloignée des réalités du terrain et sans l’avis des militant.e.s, est une décision dévastatrice et a localement affaibli les groupes d’action.

Pour d’autres, l’absence d’un espace où on peut se parler, tirer des bilans et constater des désaccords provoque un réel turn-over. Des camarades s’éloignent découragés alors même qu’ils restent en accord avec notre projet commun.

Début Novembre, apprendre par voie de presse la recomposition des instances de notre mouvement, à 48h d’une Assemblée populaire (décidée par qui ? avec quelle stratégie ?) est un autre motif d’exaspération…

Et les exemples ne manquent pas de décisions qui nous concernent et qui sont prises sans débats ni explications : même quand on en demande, le siège se mure dans un silence la plupart du temps.

Alors, beaucoup d’entre nous sommes aujourd’hui pris entre deux feux : essayer de changer les choses en construisant ensemble une véritable structure rendant possible à la base de participer au choix des orientations politiques importantes, comme la stratégie et les alliances, ou tout simplement rendre publique cette pratique très discutable…

Car si notre détermination à faire émerger un monde meilleur reste intacte, nous ne voulons plus nous contenter de jouer les petites mains au service d’une poignée de « cadres » qui décident pour nous et en notre nom, d’autant plus dans un mouvement qui prône la 6ème République, la révocation des élu.e.s et le RIC.

Nous, militant.e.s de la France Insoumise, demandons à être respectés et entendus rapidement ! Que ce soit aux Amphis ou dans les échanges entre militants sur le terrain, cette demande forte est importante et présente sur tout le territoire.

Notre mouvement ne survivra pas à cette verticalité incessante, en totale contradiction avec les principes que nous défendons. Le contexte pourri d’alliance des droites et de l’extrême droite nous oblige à être rassemblés, à être encore plus forts. Or notre renforcement passe par la co-construction des instances de décision.

La prochaine échéance électorale est en mai 2024 (élections européennes). Nous avons encore le temps.

3) Remarques sur cet appel (Jacques Serieys)

Lors de la création du Parti de Gauche, j’ai exprimé plusieurs fois mes désaccords avec le réseau "souverainiste PG" sur la compréhension du concept de République, quant à la position théorique socialiste sur la nation, sur le bilan du chevènementisme etc.

Depuis, je reste bien plus proche de l’évolution politique de Jean-Luc Mélenchon que de la leur. Quant à la démocratie au sein de La France Insoumise, c’est un bien mauvais service à lui rendre que de l’utiliser pour faire passer en contrebande un projet politique très droitier.

Jacques Serieys


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