Tour de France cycliste : De quoi est fait le "moteur" de Froome ?

mercredi 22 juillet 2015.
 

Après le démarrage supersonique du Britannique Christopher Froome dans les pentes de la montée vers La Pierre-Saint-Martin ce 14 juillet 2015, Lance Armstrong a tweeté un commentaire équivoque à son sujet. "Il est clair que Froome, Porte (son lieutenant) et les Sky (son équipe) sont très forts. Trop forts pour être propres ? Ne me le demandez pas, je n’en ai aucune idée", a-t-il ainsi déclaré sur le réseau social.

Bien des spectateurs sur place comme devant leurs écrans de télévision ont eu le même type de réaction.

Cela nous rappelle la lettre d’Antoine Vayer, ex-entraîneur de Festina et chroniqueur au "Monde", envoyée en 2013 aux présidents de l’Union cycliste internationale et de la Colombie, dans laquelle il en appelle à une vraie transparence sur la mesure des performances.

Lettre d’Antoine Vayer, ex-entraîneur de Festina envoyée en 2013 aux présidents de l’Union cycliste internationale et de la Colombie

"Cher Juan Manuel Santos Calderon, cher Pat Mc Quaid...

Elus, vous avez des responsabilités importantes concernant les problèmes de la drogue et des produits dopants, filières et trafics se confondant. Pat, tu m’écrivais le 26 janvier : "You think changing some people at the top of the UCI will change the culture of doping in our sport – which has been there for 100 years - you are wrong". Juan, dans la lutte historique de ton pays contre la drogue, ton gouvernement discute de la possibilité de légaliser les drogues douces, pour endiguer la violence.

LES SIX RADARS

Le 100e Tour de France devait être celui d’une nouvelle ère, entendait-on avant son départ, comme celui de 1999 avait été annoncé comme le "Tour du renouveau", un an après l’affaire Festina. On sait ce qu’il est en advenu : il a amorcé le début du septennat de Lance Armstrong. Chris Froome, qui vient de remporter son premier a dit qu’il en gagnerait bien encore six.

La légalisation des dopages "doux", comme les corticoïdes et la caféine (tu fus, Juan, faut-il le rappeler, le représentant de la Colombie à l’Organisation internationale du café), n’a pas endigué la violence des performances. Alors que Lance, en 1999, était resté sciemment dans le "vert", sous le seuil de la suspicion de 410 watts-étalons (406) de moyenne pour les quatre "radars" que nous avions posés alors (Sestrières, Alpe d’Huez, Piau Engaly et Soulor), avec un peloton ébranlé par l’affaire Festina, deux coureurs l’ont dépassé en 2013 : Christopher Froome (413), cher Pat, et Nairo Quintana (411), cher Juan, dans un peloton énervé par l’affaire "Armstrong".

Le Tour 2013 était pourtant l’un des plus durs de ces dernières années. Il comptait six terribles radars : Ax-3 domaines, Hourquette, Ventoux, Huez, Croix Fry, Semnoz. Froome a expliqué qu’il aurait pu aller plus vite. Il a géré, décontracté, ses watts après avoir "atomisé" ses adversaires dès dans le 1er col d’Ax-3 Domaines (446 watts quasi mutante) et dans le contre-la-montre plat du Mont Saint Michel, comme Armstrong le fit à Sestrières (420 watts même pas miraculeuse) et au contre-la-montre de Metz en 99. ◾Les performances en watts-étalons de ceux qui ont essayé de gagner le Tour de France 2013 sur chacun des six radars et leur puissance moyenne :

LES SERVICES SECRETS, LES DOUANES LIBÉRÉES ET LA TOLÉRANCE ZÉRO

En 1999, la clairvoyance d’Armstrong et son encadrement digne du FBI américain, lui avaient permis de gérer l’après crise 98, tout en douceur. Ullrich, Pantani, les mutants d’alors, apeurés par la police, ne s’étaient pas déplacés. Un coup de 420 watts, à Sestrières donc, avait suffit à Lance, avec seulement trois autres radars gérés à 407, 385 et 412 watts pour enfoncer le clou. Il avait donc fini dans la zone "humaine", verte, symbole du physiologiquement possible, comme Greg LeMond naguère, pour gagner en apparence "à l’eau claire", sans pression. La presse en fit un dieu.

En 2013, Froome a fait appel à l’Intelligence Service anglais. Il fallait gérer non pas quatre mais six radars cette fois, où la fatigue devait opérer encore plus chez les autres. C’était sans compter sur l’opposition espagnole libérée, peu contrôlée par les douanes. Cela l’a obligé à se découvrir et à finir dans la zone suspecte à 413 watts de puissance étalon moyenne. Il a du s’employer et s’est senti obligé de battre des records d’ex mutants, comme celui très ardu du Ventoux, notre radar n°3, avec 416 watts.

Cher Pat, le maillot jaune se vante d’être le meilleur grâce aux technologies et à la qualité "révolutionnaire" de son suivi dans son équipe Sky-tolérance-zéro-contre-le-dopage visite du bus incluse. Ce n’est pas le cas, cher Juan, de son dauphin maillots blanc et à pois rouges Quintana, ni de ceux qui ont essayé de gagner le Tour dans son équipe. Movistar, qui ne prône pas la tolérance zéro, est l’ancêtre de la Banesto qui a mis tant d’années le peloton en file indienne derrière le roi Miguel Indurain et ses 80 kilos. Chez Movistar, on est pas "techno" comme Sky, on est plutôt empirique.

Le Portugais Rui Costa, embauché juste après avoir purgé sa suspension pour dopage a, en 6 h 11 min 52 d’efforts et avec quatre cols dont deux hors catégorie, sous la pluie, battu le record mythique du 5e col Radar, celui de la croix Fry avec 429 watts-étalon quasi-miraculeux. Ce record, sous le soleil, appartenait à un certain Floyd Landis, vainqueur positif du Tour 2006, où il avait été pourtant flashé, comme Lance en 99, avec une moyenne verte de 395 watts sur nos 5 radars.

CERISE SUR LE GÂTEAU

Juan, Nairo dit s’inspirer de Mauricio Soler, un autre de vos compatriotes qui a couru pendant une "année noire" du cyclisme (ça, c’est Pat que le dit) : le funeste Tour 2007 où le Danois Rasmussen, exclu, laissa la victoire à Contador. Comme Quintana, Soler avait aussi gagné le maillot de meilleur grimpeur. Il avait, comme on dit, les watts. Et certains de ses records mutants tiennent toujours. Celui qui mène du lieu dit "le Reposoir" jusqu’au sommet du col de la Colombière (450 watts), ou bien cet autre record absolu en temps de l’enchaînement des cols du Télégraphe et Galibier à partir de Saint Michel de Maurienne en 1 h 25 min 45. Soit une minute et cinq secondes de moins que Pantani en 98 lors de l’"exploit" qui fit de lui le vainqueur de ce Tour. C’est donc cette inspiration de Soler, qui, sans doute, a permis à Quintana d’établir avec 444 watts-étalon et 31 min 17 pour grimper 11 km de Quintal (738 m) à Cret de Chatillon (1655 m), avec une pente moyenne de 8,.34%, le record de cette montée de Semnoz, notre radar n°6, en toute fin de Tour, comme une cerise sur le gâteau.

Nous avions pris les devant et avions hélas, prédit son temps, en nous trompant en plus de 20s sur les prévisions les plus optimistes. C’est ce qui rend pessimistes. Nul doute que sa préparation originale, dans son hameau, à presque 3000 m d’altitude pendant deux mois et le recul du dopage sont les sources du succès de la nouvelle génération des coureurs colombiens. C’est ce qui nous avait été dit après la victoire de Quintana au Tour du Pays Basque, où nous avions posé des radars d’avant saison (avec des flashes à 435 watts sur des montées inférieures à 20 mn), pour ces courses à étapes d’une semaine pré-Grand Tours. Nous savions ce qui allait se passer au Tour, tout y est tellement prévisible.

Et que serait-il advenu si Rui Costa, au lieu de gagner le Tour de Suisse en juin, était venu se préparer dans le camp d’entrainement empirique du hameau natal de Nairo ? Movistar devrait y établir l’an prochain son camp de base. Elle qui compte aussi dans ses rangs Valverde, autre ancien suspendu, qui parvient à terminer 8e du Tour malgré un coup de bordure. Leur collectif pourrait battre celui des Sky qui prend aussi ses aises en altitude, à Ténérife, dans le cadre de sa préparation.

APPEL À LA VRAIE TRANSPARENCE

Cher Pat, tu seras d’accord avec moi : on peut regarder le verre à moitié vide et se dire que tout va bien. Celui des performances de nos coureurs Europcar, incapables de mener à bien leurs raids des années antérieures, à 30 % de leur rendement habituel. C’est vrai aussi pour Contador, qui n’est pas chez Movistar : à 399 watts-étalon moyen, l’ex-triple devenu double vainqueur du Tour est très loin de ses 423 watts de 2007, 439 watts de 2009 et 417 watts de 2010. Il lui faut plus de temps que Rui Costa et que Valverde pour se remettre de sa suspension pour dopage apparemment.

Pat, par ta faute, nous sommes obligés, hélas, de calculer de manière indirecte nos watts à nos radars. Ils sont pourtant affichés sur les écrans des compteurs embarqués de plus de deux tiers des coureurs du Tour. Mais tu es méfiant et nous suspecte de suspecter. Alors tu as interdit la transmission en direct de ces données. Elles pourraient pourtant intéresser les spectateurs, les "geeks", comme en Formule 1. Mais, c’est vrai, en Formule 1, on explique les composants des moteurs et leurs puissances extravagantes sont rationnelles. C’est mécanique et l’essence est la même pour tous les concurrents. Pourtant, sans résoudre un homme à une équation, nous sommes entourés d’éminents savants en 2013 qui, par le menu, pourraient nous donner des formules simples, pour nous rassurer.

Parce qu’enfin, de quoi est fait le "moteur" de Froome ? Ce "gamin cool qui n’avait pas d’aptitudes spéciales" comme le raconte son premier entraineur, David Kinjah. Il repousserait maintenant les possibilités humaines par un travail acharné ? Le travail mène à tout, certes. Mais quels sont ses chevaux fiscaux ? Comment ne sert-il pas la culasse avec ses nouvelles aptitudes ? Comme quelques-uns de ses poursuivants, il dépasse les limites et établit des records qu’on croyait à jamais réservés à une époque où les coureurs se dopaient. Et Sky promet que ce n’est qu’un début.

Juan, Pat, s’il vous plait, il faut continuer le combat. Ou alors, aidez-nous à comprendre l’exceptionnel pour que vos compatriotes et coureurs puissent continuer à envoyer des watts, en paix, sans être considérés comme des faux positifs."

Antoine Vayer

Source de cette lettre : http://www.lemonde.fr/sport/article...


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