Erwann Menthéour «  Le sport a besoin de remettre l’humain au centre de tout...  »

lundi 6 juillet 2015.
 

Entretien avec Erwann Menthéour, ancien cycliste professionnel, considéré en 1997 comme un grand espoir. C’est aussi l’homme qui, en 1999, mettait les pieds dans le plat du dopage, dans un livre au titre évocateur  : "Secret défonce". Aujourd’hui, c’est toujours « le couteau entre les dents » qu’il s’attaque à l’empire de la malbouffe avec sa méthode de remise en forme.

À tout juste 40 ans, Erwann Menthéour a déjà eu de multiples vies. Après avoir été coureur cycliste entre 1994 et 1997, raconté les coulisses du dopage dans Secret défonce, en 1999, il a été cascadeur, chanteur, écrivain, puis coach sportif de personnalités. Aujourd’hui, c’est le «  grand public  » qu’il coache avec sa méthode Fitnext, créée en 2011. Et derrière, il y a aussi le discours de la méthode, qu’il fait passer dans ses interventions de chroniqueur télévisé ou dans son dernier livre, Et si on décidait d’aller bien. Entretien.

En 1999, dans nos colonnes, vous disiez à propos du dopage  : «  Si on ne parle pas, c’est non-assistance à personne en danger.  » Aujourd’hui, vous dites toujours la même chose, mais c’est, entre autres, à propos de la malbouffe et des ravages des lobbies agroalimentaires…

Erwann Menthéour (Il relit son interview de l’époque avant de nous répondre). Quand je relis ça, c’est pour moi une lettre de rupture avec le vélo, avec qui j’ai eu une magnifique histoire d’amour… Mais le vélo a fait sa révolution et, aujourd’hui, il y a 7 ou 8 % du peloton qui se dopent, ce qui correspond à la part de politiques qui vont être corrompus, d’entrepreneurs qui vont faire des abus de biens sociaux. Pourtant, si la régulation protège, dans le vélo, l’individu de lui-même grâce à un surcontrôle, on limite, de l’autre côté, ses droits en lui faisant donner son sang, ses cheveux, en l’obligeant à être localisable en permanence. C’est complètement antidémocratique. Tout ça pour dire que le fond de l’histoire, c’est que le sport de haut niveau, c’est aujourd’hui «  panem et circenses  », du pain et les jeux du cirque… Ça permet de mobiliser l’attention des gens pour ne pas qu’ils réfléchissent à leur misérable condition. Et, au milieu de tout ça, le sportif n’est pas grand-chose, sauf finalement un gladiateur des temps modernes.

Mais votre méthode de coaching, Fitnext, c’est quand même pousser l’individu à la compétition, à avoir de plus beaux abdos que le voisin  ?

Erwann Menthéour Non, parce que je ne promets jamais à personne  : «  Tu vas perdre tant de kilos en tant de jours…  » Ce que je veux faire avec Fitnext, c’est utiliser tous les outils déployés autour des athlètes dans un souci de performance pour en faire un outil de santé durable pour M. Tout-le-Monde. Après, oui, je fais du business avec cette méthode, mais je le fais en voulant faire du bien aux gens. Et en disant des choses qui dérangent parce qu’aujourd’hui, on est en train de laisser les grands groupements industriels empoisonner quotidiennement la population pour mieux la guérir ensuite… Rien d’étonnant, les autorités de santé, en France et à l’international, sont infiltrées par les plus grands lobbies. Quand Sarkozy, en 2009, pour gérer l’obésité, nomme Anne de Danne, qui avait été auparavant à la tête de la fondation Wyeth – une des plus grandes entreprises pharmaceutiques américaines –, qui avait créé la pilule pour lutter contre l’obésité, on se dit où on va  ! Il faut se battre, dire aux gens qu’acheter de l’industriel, c’est détruire l’environnement, c’est détruire leur Sécurité sociale, c’est détruire le tissu économique local. Est-ce qu’on veut quelques centaines de milliers d’agromanagers ou un milliard et demi de petits paysans qui font bien leur boulot partout dans le monde  ?

Fitnext, ce serait en tout cas un nom, une philosophie à accoler à une équipe cycliste  ?

Erwann Menthéour J’y pense… Tout dépendra du développement de Fitnext. Mais ce serait la promotion d’un monde responsable que j’y ferai, plus juste, plus humain. L’idée, c’est de remettre l’humain au centre des préoccupations. Et le sport en a besoin, vraiment besoin.

Le discours critique sur le haut niveau ne vous empêche pas de vouloir y regoûter  ?

Erwann Menthéour Non, parce que j’ai toujours une certaine fascination pour la performance sportive, et pas pour la compétition – qui m’a constitué mais qui m’a aussi corrompu et qui m’a détourné de ce qu’il y avait de meilleur en moi… Pour moi, les cyclistes, ce sont les guerriers de l’impossible. Du premier au dernier. En fait, c’est un privilège de pouvoir être sportif de haut niveau, mais si tu es dans une prise de conscience. Et ceux qui ont cette prise de conscience sont rares. Surtout, ils sortent du moule. Moi, à mon époque, ça dérangeait beaucoup que je sois intéressé par la philosophie, par la politique, que je sois un mec de gauche dans un milieu très à droite. De toute façon, pour faire du vélo – c’est un peu atroce ce que je vais dire –, il ne faut pas être trop emmerdé par l’excédent de bagages au niveau du cerveau, parce qu’à un moment donné, tu vas te demander  : «  Qu’est-ce que je fous là, à souffrir autant  ?  »

Certains cyclistes actuels ont-ils déjà testé votre méthode  ?

Erwann Menthéour Oui… On donne plein de conseils à des cyclistes pendant l’hiver. Plein de mecs de l’équipe AG2R achètent mes livres. Cet hiver, Julian Alaphilippe  (1) a fait des monodiètes en suivant les conseils Fitnext. Mais, au-delà des conseils techniques, ce qui manque dans le sport professionnel, c’est de l’amour.

C’est-à-dire  ?

Erwann Menthéour Il faut nourrir intellectuellement les mecs, les inciter à comprendre le monde, qu’ils ne soient pas juste l’instrument d’un directeur sportif qui les jette quand ils ne sont plus rien. Une équipe cycliste, ce ne doit pas être seulement des coureurs qui pédalent…

Note

(1) À 22 ans, ce coureur a marqué le printemps avec deux deuxièmes places remarquées lors de Liège-Bastogne-Liège et la Flèche wallonne.


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