Soulèvement de la ville chiite d’Al-Awwamiyah (Arabie Saoudite)

jeudi 20 octobre 2011.
 

Les autorités saoudiennes ont beaucoup de mal à empêcher la vague de protestation qui submerge plusieurs pays arabes d’envahir l’Arabie Saoudite. Pour éviter l’effondrement de la monarchie ou l’affaiblissement de sa légitimité, elles ont recours à deux méthodes : améliorer les conditions de vie des citoyens ou faire d’énormes cadeaux financiers aux pays voisins comme la Jordanie (1,4 milliards de dollars).

Cependant, il semble que ces efforts, malgré leur importance, n’ont servi qu’à "retarder" les évènements ; de fait, les manifestations populaires qui ont éclaté dans la ville chiite d’Al-Awwamiyah ( le gouvernorat d’Al-Qatif) ces deux derniers jours et ont mené à de violentes confrontations avec la police, ont pris tout le monde par surprise et ont confirmé que les barricades édifiées par le régime saoudien contre le printemps arabe n’étaient pas assez solides.

Le monarque saoudien, Abdallah Bin-Abd-al-Aziz, a pris conscience du danger que représente la vague de protestation qui a démarré en Tunisie et a déjà renversé deux régimes arabes (le régime du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et celui du président égyptien Housni Moubarak) et s’est hâté d’adopter des mesures préventives. La première de ces mesures est économique : il a débloqué 120 milliards de dollars pour augmenter les salaires, financer la construction de maisons pour les jeunes, éponger des dettes privées et accorder des cadeaux financiers et des indemnités de chômage. La seconde mesure est sociale et politique : il a fait passer une loi qui permet aux femmes de participer aux prochaines élections municipales en tant qu’électrices ou candidates.

Ces mesures ont contribué à calmer le peuple saoudien ou du moins une bonne partie de ce peuple. Il n’y a plus de déclarations ni de pétitions réclamant des réformes politiques et signées par de nombreux militants, ou plutôt il y en a moins. Cependant, l’effet de ces mesures est temporaire parce que les revendications des Saoudiens dépassent la simple possibilité pour les femmes de participer à des demi-élections municipales pour élire des conseils qui n’ont qu’un pouvoir limité à cause de la présence des gouverneurs régionaux, les Amirs, qui ont le dernier mot en tout.

Les Saoudiens réclament une monarchie constitutionnelle, un parlement élu, un système judiciaire indépendant, un pouvoir exécutif transparent et redevable et la guerre contre la corruption.

Les citoyens saoudiens chiites de la région de l’est (la province d’Al-Ihsa), où se trouvent les réserves en pétrole les plus importantes et la plus grande partie de l’industrie, réclament —en plus de ce que demandent les autres citoyens saoudiens et qui vient d’être cité— la suppression des discriminations dont ils souffrent et l’accès aux postes de responsabilité de l’état, de l’armée, du corps diplomatique et aux portfolios ministériels proportionnellement à leur nombre dans la population qui est évalué à environ 10 % des 19 millions d’habitants.

En accusant un pays étranger d’être à l’origine des manifestations dans la région d’Al-Qatif, les autorités saoudiennes faisaient référence à l’Iran. Les autorités saoudiennes ont dit à propos de l’Iran : "Ils veulent nuire à la sécurité et à la stabilité de notre pays" en incitant à la violence et "en s’ingérant ouvertement" dans les affaires du royaume. Les autorités saoudiennes ajoutent à cette accusation la demande que les Chiites saoudiens choisissent entre la loyauté à leur pays et la loyauté à l’Iran et ses autorités religieuses. Les autorités saoudiennes cependant précisent, selon un communiqué du ministère de l’Intérieur, que ceux qui auraient l’idée de le faire (choisir l’Iran) le paieraient très cher.

La menace saoudienne rappelle des menaces similaires proférées par des régimes arabes qui ont été le lieu de manifestations semblables comme la Tunisie, l’Egypte, le Yémen et la Libye. Ces menaces, qui ont été suivies d’une répression sanglante des services de sécurité, n’ont pas empêché l’effondrement de régimes ni la déstabilisation d’autres qui se battent toujours pour se maintenir au pouvoir.

Ce qu’il faut noter c’est que, selon une déclaration officielle saoudienne, les manifestants de Al -Qatif ont utilisé des armes à feu au cours des confrontations avec les policiers venus les disperser et ont blessé 11 policiers.

On ne se sait pas si cela est vrai ; cependant on peut se rappeler ce qui est arrivé au Barhein pendant les manifestations chiites similaires ; les manifestations au Barhein ont été pacifiques et aucune arme à feu n’a été utilisée ; au contraire, ce sont les forces de sécurité du Barhein qui ont tiré sur les manifestants et tué des dizaines d’entre eux en les expulsant de force du square Al-Lu’lu’ah.

L’ironie c’est que l’étincelle qui a allumé le feu de la protestation dans la région orientale chiite d’Arabie Saoudite est la même que celle qui a déclenché le soulèvement en Syrie à peu de choses près. En Syrie, les pères des enfants qui ont écrit des slogans anti-régimes sur les murs de leurs écoles ont été arrêtés et humiliés, et dans la région Al-Qatif de l’Arabie Saoudite la police a pris en otage deux hommes âgés pour forcer leurs deux fils à se rendre à la police.

La gestion du régime syrien de la crise de Dar’a s’est révélée mauvaise, arrogante et hautaine et il semble que la gestion des autorités saoudiennes de la crise chiite et des manifestations ait suivi le même schéma. Cependant, on ne peut pas prédire le développement de la situation saoudienne ni dire si la sécurité saoudienne réussira à contenir la crise et à y mettre fin ou si la crise va s’étendre et durer des mois comme en Syrie.

Les autorités saoudiennes ont envoyé des troupes pour aider les autorités du Barhein à écraser les manifestations chiites au Barhein. Il est certain que les autorités iraniennes qu’on accuse d’être derrière les manifestations en Arabie Saoudite hésiteront beaucoup à envoyer des troupes et même des armes mais ils manifesteront aux manifestants saoudiens la même sympathie qu’ils ont manifesté à ceux du Barhein et peut-être plus encore.

Les autres petits pays du Golfe ressentent peut-être une inquiétude sans précédent en assistant aux développements des manifestations en Arabie Saoudite. C’est parce qu’ils ont peur que la minorité chiite, qui souffre de discrimination dans presque tous ces pays, ne se soulève pour soutenir ses frères d’Arabie Saoudite et du Barhein, et que cette protestation communautaire ne fasse boule de neige et ne se transforme ensuite en une boule de feu avec l’aide de l’Iran.

Abdel Bari Atwan

Pour consulter l’original : http://www.abdelbariatwan.com/GulfJ....

traduction : Dominique Muselet


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