Le patrimoine des ménages : question politique centrale

samedi 26 novembre 2022.
 

Réponse de novembre 2011 à l’article Inégalités de patrimoine : le terrible bilan de Sarkozy et l’urgence du revenu maximum !

Article très intéressant qui aborde l’un des deux sujets les plus sensibles de la réalité économique et politique et donc les plus censurés : les inégalités de patrimoine (et des revenus du patrimoine), le partage du PIB entre profits et salaires.

Alors que les canaux des grands médias regorgent des questions sociétales (sans-papiers, homophobie, burqua, traitement de pathologies diverses, etc.) et de comportements de la vie politicienne, ces deux questions centrales qui déterminent le choix de société dans lequel nous vivons, sont le plus souvent marginalisées, alors qu’elles concernent directement les conditions d’existence de 100 % de la population.

Que faut-il retenir de ces rapports depuis 2007 ? D’abord, que la moitié du patrimoine global de la France est la propriété des 10 % des ménages les plus riches, que cette même tranche de la population détient deux tiers des revenus du capital (et les 1 % les plus riches un tiers) et que la moitié du revenu de cette tranche sont constitués de revenus du capital.

"Les revenus du patrimoine et les revenus exceptionnels y prennent une part croissante : alors qu’ils ne représentent à eux deux que 2,6 %des revenus totaux des neuf premiers déciles, ils constituent 48 % des revenus totaux des personnes les plus aisées. Ainsi, contrairement au reste de la population, qui ne perçoit que des revenus d’activité, c’est-à-dire des revenus du « travail », les plus aisés perçoivent pour moitié des revenus du « capital » et pour moitié des revenus du « travail »"

(source : INSEE. http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc... )

On comprend ainsi que lorsque Mélenchon préconise de taxer autant les revenus du capital que ceux du travail, il rencontre de la part des hommes politiques de droite un silence gêné ou l’anathème de l’irréalisme, sachant que pour ces hommes politiques là, être réaliste c’est conserver cet ordre inégalitaire établi dont ils sont les gardiens.

Comment sont perçues ces inégalités par les Français ? En se référant à une étude comparative portant sur 12 pays, 73 % des Français considèrent leur pays comme inégalitaire, le facteur principal de l’inégalité étant celle des salaires (69 %) : pour ce facteur, la France arrive en tête des 12 pays dans leur perception des inégalités, en revanche, et ceci mérite beaucoup de réflexion : l’inégalité de patrimoine est beaucoup moins perçue par les Français : seuls 15 % la considèrent comme facteur essentiel des inégalités. (Huitième rang sur les 12 pays) (source : IFOP . Avril 2010. La perception des inégalités. Regard croisé sur 12 pays).

Or ceci n’est pas tellement étonnant. Lorsque les médias abordent le problème des inégalités, c’est souvent sous l’angle de revenus du travail (rarement pour les revenus du capital), de l’inégalité de l’accès aux soins, des discriminations diverses (à l’embauche notamment), des petits avantages des uns et des autres, opposant souvent secteur public et secteur privé, etc. Même lorsqu’il est question des inégalités de revenus, rarement est abordé la question du patrimoine.

D’autre part, ce sujet est rarement abordé entre les gens de familles différentes (voire de la même famille élargie) car il pose un problème de discrétion, d’attitude de réserve. En effet, avec les 30 glorieuses, un certain nombre de ménages modestes, grâce à leur travail et leurs économies, ont pu acquérir des biens immobiliers et parfois même des placements financiers (genre Codevi, livret A, assurance-vie). Lors de leur décès, ce patrimoine a été hérité par la génération suivante. Des dons en espèce ou de biens immobiliers ont pu aussi se faire de leur vivant. Ainsi, parmi les salariés, certains, de conditions modestes, ont vu leur patrimoine considérablement augmenter pas héritage ou par dons. Ce nouveau patrimoine a pu devenir, à son tour, une nouvelle source de revenus, par la mise en location par exemple. Ce phénomène est particulièrement marquant pour les familles habitant au bord du littoral français où les prix actuels de l’immobilier sont astronomiques.

Ainsi, cette diversité des situations peut impliquer des incompréhensions voire des divisions entre salariés. Certains prétendent pouvoir vivre correctement avec 1500 euros par mois alors que d’autres "n’y arrivent pas", à situation familiale égale, avec 1600 euros ! Ces derniers vivraient "au-dessus de leurs moyens". Les premiers seraient économes ! La chose qui n’est pas dite souvent, y compris lors des émissions de radio appelant le témoignage des auditeurs, c’est que les premiers n’ont pas eu un logement à louer ou à rembourser alors que les seconds ont dû assurer cette charge financière supplémentaire qui est devenue maintenant très importante.

Donc lorsque l’on pose à Jean-Luc Mélenchon cette question : "on est riche quand on gagne 5000 euros par mois ?" Cette question n’a aucun sens, non pas seulement parce qu’elle ne pose pas la question des frais professionnels ou de logements qui peuvent être très divers et très importants, mais qu’elle ne pose pas la question du patrimoine.

Un smicard qui a trois maisons en location ou des placements financiers hérités, peut gagner plus de 5000 euros. Dans la république des propriétaires qui est la nôtre, il peut d’ailleurs utiliser de multiples artifices juridiques pour rendre quasi invisibles ses revenus.

Ce phénomène sociologique patrimonial explique, en partie, pourquoi de nombreux salariés votent à droite, pensant que celle-ci défend aussi les petits propriétaires. L’impact électoral de la réforme des droits de succession n’est donc pas forcément négligeable, même si celle-ci était essentiellement destinée aux familles les plus aisées.

Alors disons-le : la concentration du patrimoine, l’accumulation des héritages notamment, constitue un facteur essentiel pour expliquer les inégalités.

Hervé Debonrivage


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