Article pour ceux qui aiment les banques et leur fric

jeudi 23 janvier 2020.
 

Il est tard dans l’après-midi de ce mardi à l’Assemblée nationale. Vient en débat un projet de résolution déposé par la droite « Les Républicains ». Il va recevoir l’appui de la majorité LREM. Il s’agit d’une question apparemment super technique. La résolution propose de refuser la mise en œuvre de l’accord Bâle III. Nom mystérieux. C’est celui d’un accord international concernant les banques. Il fait suite aux méditations des puissants sur les causes de la crise de 2008 dans la finance. Ça concerne le stock d’argent que les banques doivent avoir réellement en caisse par rapport à la masse de leurs prêts. Car si les prêts s’écroulent parce que l’emprunteur fait faillite, la banque à son tour est menacée de faillite. Alors qui vous rendra les sous que vous y avez déposé ? La banque évidemment. Le croyez-vous ? Pour cela il faut qu’elle ait en réserve de l’argent vaillant et réel en réserve disponible immédiatement. Actuellement cette réserve représente entre 3 et 5 % des encours de la banque.

C’est peu. Très peu. Mais les banquiers disent : il n’y a pas besoin de plus. Car tous nos engagements ne sont pas pourris, tout de même ! Les banquiers européens disent : « il ne faut évaluer ces réserves que par rapport au engagements incertains ou malsains ». Ah ! Admettons. Mais qui va procéder à l’évaluation pour décider ce qui est risqué ou pas ? La Banque elle-même… On comprend sans mal que les banques n’auront jamais la tentation d’en déclarer trop… On a vu ce que cela a donné aux USA avec les titres de dette dit « subprime » qui se sont effondrés en 2008 ! L’accord Bâle III prévoit que les banques devront constituer 9% de réserve pour garantir leur stabilité. « C’est trop », hurlent en cœur les banquiers européens, relayés par les groupes « Les Républicains » et LREM à l’assemblée nationale.

Pourquoi trouvent-ils que c’est trop ? Parce que ces réserves, ce serait autant d’argent qui ne circulerait plus et qui ne pourrait être consacré à la spéculation. Et, ce qui est pire à leurs yeux, cet argent bloqué devrait être mis « en pension », c’est-à-dire déposé à la Banque centrale européenne. Mais voilà que cette banque a mis en place un dispositif qui rend négatifs les taux de rémunération de cet argent. Autrement dit cet argent non seulement ne sera plus rémunéré mais il perdra de la valeur à mesure que le temps passera. Le cauchemar du rentier ! Le rapporteur du projet de résolution, le député « Républicain » de Courson, s’est donc plaint des taux négatifs, arguant qu’ils ruinent l’économie. Au contraire : si le banquier central n’avait pas distribué chaque mois 85 milliards d’euros à taux zéro pour racheter les titres pourris des banques privées, nous serions dans la crise financière ! Voilà la vérité ! Monsieur de Courson, s’est désolé pour 140 milliards manquants aux banques pour tenir les impératifs de l’accord de Bâle. Cela alors même que la Banque centrale européenne a prêté 2 800 milliards d’euros aux banques privées, sans garantie ni contrepartie.

Les insoumis sont peu attendus sur de tels thèmes. Ils ont pourtant quelque chose à dire. Interréssés et concernés par tout ce qui concerne l’économie de notre époque nous n’avons jamais accepté la dictature du capital financier sous toute ses formes. Nous avons une théorie matérialiste de la monnaie et nous réservons notre appui à l’économie productive réelle. Nous nous sommes opposés à la proposition de résolution, pour des raisons de fond. Ce refus fonctionne comme une dénonciation du moment économique et financier, dont j’aimerais rappeler le contexte. Il ne date pas de 2008.

Depuis le 15 août 1971, les États-Unis d’Amérique se sont donné le droit d’imprimer autant de papier-monnaie qu’ils le veulent, sans aucune contrepartie matérielle permettant d’en assurer la réalisation. Depuis cette date, nous assistons au développement d’une économie totalement artificielle, purement financière, dans le sens où elle est dépourvue d’objet matériel permettant d’en assurer la contrepartie. Car contrairement à ce que suggère l’intuition, la monnaie ne peut être autre chose qu’un intermédiaire qui doit représenter des biens matériels réels.

Un univers économique particulier s’est donc développé. C’est celui de la bulle financière. On y réalise des taux de profit et d’accumulation certes particulièrement excitants, mais dépourvus de réalité s’ils devaient être confirmé par des achats dans le monde matériel. L’artificialisation de l’économie que cette bulle met en lumière est démontrée par le rapport que l’on observe entre la progression des valeurs boursières et celle de la production réelle. Les valeurs boursières ont progressé de près de 30 % sur une année, au moment précis où l’économie mondiale est à son niveau le plus bas, présentant une croissance globale de 2,9 % à peine. Et pour couronner le tout à l’heure actuelle, la dette privée mondiale s’élève à 250 000 milliards de dollars, soit 320 % du PIB mondial ! C’est un facteur d’instabilité et de risque sans précédent.

Ce sont là autant de signaux implacables du découplage de l’économie réelle et de l’économie financière.

Les chiffres de la bulle financière sont accablants. À l’heure actuelle, les marchés financiers représentent 150 fois les échanges réels. La capitalisation boursière mondiale atteint 70 000 milliards de dollars. Or le pic atteint avant la crise de 2008 était de 63 000 milliards de dollars. Comme la progression de la production offrant les contreparties matérielles ne s’est pas présentée, cela signifie que le déséquilibre général entre le signe monétaire et la valeur réelle s’est aggravé. Donc les possibilités d’explosion de la bulle financière sont aujourd’hui plus fortes que jamais.

Cette situation est aggravée par des facteurs de fragilisation liés au fonctionnement matériel du système financier lui-même. Je vise ici notamment le « trading à haute fréquence » c’est-à-dire les échanges que réalise les ordinateurs programmés pour faire des achats et vente a conditions fixées d’avance (vendre les valeurs en baisse et acheter celles qui augmentent). Résultat : la durée moyenne de détention d’une action à la Bourse de New York, qui était autrefois de plusieurs années, puis de plusieurs mois, est à présent – on peine à le croire – de vingt-deux secondes ! À ce niveau de fonctionnement et d’excitation des échanges, il est clair que ceux-ci n’ont plus de rapport avec la réalité matérielle des actifs boursiers. Ils sont donc à la merci de n’importe quel événement soudain ou à n’importe quel effet de système informatique…

Si nous nous penchions sur le fond des échanges réels, nous nous apercevrions mieux encore de la difficulté de la situation. On a autorisé, sans prévoir aucun contrôle, la titrisation des dettes des entreprises. Cela signifie que les entreprises ou les banques ont le droit de découper un titre de la dette qu’ils ont contracté ou qu’ils ont acheté. Ils peuvent circuler comme des moyens de paiements ou de spéculation. Mais ils peuvent aussi être découpés en petits morceaux, en parts. Ces parts sont alors introduites dans des paquets de parts de diverses origines. Ce type de paquet prend un nom spécifique et annonce un rendement calculé en additionnant le revenu produit par chaque part. Inutile de dire que si des parts pourries sont introduites dans le paquet, celui-ci est susceptible de s’effondrer avec elles. Combien y en a-t-il en circulation ? Quelle valeur totale cela représente-t-il ? Quelle est leur solidité ? La réponse est simple : personne n’en sait rien. Les génies de la finance européenne ont autorisé ce micmac en Europe alors même que l’on sait qu’elle constitue l’une des causes des faillite en cascade dans la crise de 2008.

C’est cela le contexte. Et c’est le moment où l’on nous demande de renoncer à l’accord de Bâle. Peut-être s’agit-il, pour ceux qui écoutent d’une oreille distraite, de débats très techniques et très lointains. De sorte que beaucoup de députés ont fait confiance, les yeux fermés. Tel n’est pas mon cas, ni celui des Insoumis.

Résumons-nous. L’accord Bâle III exige des banques qu’elles disposent d’une assurance en fonds propres, représentant 9 % de leurs actifs. Cela signifie que 91 % de leurs actifs circulent sans qu’aucune contrepartie n’existe dans leurs caisses. Le refuser n’est pas raisonnable. D’autant plus que les banques européennes, à l’heure actuelle, ne sont pas à 9 % de garantie mais plutôt entre 3 % et 5 %. Pour finir : si tout s’écroule, les banques européennes s’engagent à rendre leurs dépôts aux citoyens. Mais pas au-delà de 100 000 euros !


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