La grande spoliation organisée au profit des banques privées

dimanche 17 avril 2011.
 

Les injections de liquidités liées au sauvetage du système financier sont la contrepartie d’une monétisation à grande échelle de dettes privées dont les marchés en étaient arrivés à constater le caractère irrécouvrable ou la très forte dévalorisation. La confiance en un prompt retour de la croissance a pu laisser, un temps, les plus optimistes espérer que les débiteurs seraient rapidement en mesure d’acquitter leurs dettes, et que les banques centrales pourraient alors retirer l’excès de liquidités, mais la décision concernant l’injection de 600 milliards de dollars supplémentaires, annoncée par la FED au début du mois de novembre 2010, montre que l’heure est toujours à la monétisation.

Faute de pouvoir financer de nouvelles activités productives, le surplus de liquidités a, jusqu’à présent, surtout servi à alimenter la demande et à regonfler les prix sur les marchés d’actifs (1) et de valeurs refuges (comme l’or ou même certaines devises telles que le yen). Il laisse ainsi dans son sillage des difficultés avec lesquelles il va falloir longtemps composer. Outre les risques de tensions inflationnistes qui pourraient surgir si le durcissement de la régulation financière devait réorienter d’importants montants de capitaux spéculatifs des marchés d’actifs vers les marchés des biens et services (matières premières, pétrole.), lesquels, malgré le sous-emploi, pourraient n’être pas en mesure de répondre sans délai à une forte pression de la demande faute de capacités productives (2), ou le risque que, pour contenir l’inflation, les autorités monétaires en viennent à durcir leur politique et à compromettre ce faisant une fragile reprise, il faudra d’abord surmonter le problème des dettes publiques.

Car le sauvetage des banques a fortement dégradé les finances publiques, directement (3), mais aussi à cause de l’augmentation induite des aides aux entreprises et aux ménages, et du manque à gagner lié à la dépression. En ce qui concerne le coût direct, nombre de banques se sont plus ou moins acquittées des aides publiques. D’aucuns ont même prétendu que les finances publiques y gagneraient au final grâce à la revente des actifs et aux intérêts à percevoir. C’était aller un peu vite en besogne si l’on veut bien considérer le problème des aides non récupérables et de la dévalorisation des créances douteuse détenues par l’État sur le secteur privé (4).

Au total, d’après l’étude mentionnée, le FMI estimait la dégradation des comptes publics (c’est-à-dire l’aggravation du déficit, en pourcentage du PIB) à 3,5 % en 2009 et 3,8 % en 2010 pour la France (130 à 135 milliards d’euros sur les deux années), 4,2 % et 5,7 % pour l’Allemagne, 7,2 % et 8,3 % pour le Royaume-Uni, et 10,7 % et 7,8 % pour les États-Unis. Á grands coups de recapitalisations, nationalisations et renflouements divers, les finances publiques et les bilans des banques centrales ont endossé les maux des banques privées. De sorte que, malgré des bilans lestés par d’importants montants de créances douteuses, nombre de banques privées impliquées dans la tourmente ont renoué avec les profits dès l’automne 2009. Certaines affichant même des performances n’ayant rien à envier à la situation d’avant la crise, et dont le contraste avec le marasme économique ambiant ne fait que souligner le caractère artificiel.

La justice voudrait que ces profits retrouvés servent à renflouer les comptes publics. Mais la taxe imposée aux banques n’est censée générer en France qu’environ 500 millions d’euros en 2011 et 2012, et 800 millions en 2013. En Allemagne, l’ordre de grandeur est de 1,5 milliard à l’horizon 2013, 2 milliards au Royaume-Uni. Ces chiffres sont sans commune mesure avec les dégâts causés aux finances publiques. Aux États-Unis, le projet de taxation des banques a été abandonné.

Les gouvernements des pays touchés par le séisme financier en sont donc venus à mettre en ouvre des plans de rigueur, d’ores et déjà programmés sur plusieurs années, qui accroîtront les prélèvements fiscaux et sociaux tout en réduisant la protection sociale et les services publics. Ils organisent de ce fait une véritable collectivisation des pertes, en reportant sur l’ensemble de la population les dégâts causés par la cupidité des banques et de ceux dont elles servent les intérêts. Circonstances aggravantes, la rigueur, qui compromet par ailleurs les chances d’une reprise déjà fragile et d’un retour à l’emploi pour les innombrables chômeurs touchés par la crise, sanctionnera aussi bien les détenteurs de gros portefeuilles d’actifs, qui ont pris les risques ayant conduit à la débâcle mais continueront d’empocher des bénéfices, que les plus démunis et les populations aux revenus modestes, qui se verront durement sanctionnés pour des méfaits qu’ils n’ont pas commis. Peut-on mieux illustrer le fait que, sous couvert de libéralisation financière, l’ordre établi ménage les intérêts des possédants au détriment des classes moyennes et des démunis ?

NOTES

(1) Wall Street a effacé deux ans de crise boursière, titraient les Échos (5-6 novembre 2010), au lendemain de la décision de la FED.

(2) Selon le FMI, « la forte baisse de l’investissement fixe des entreprises pendant la récession a réduit la capacité manufacturière » (Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010, page 29).

(3) D’après le FMI, le Royaume-Uni avait consacré l’équivalent d’un cinquième du produit intérieur brut au sauvetage des banques, le Canada, près de 9 %, les États-Unis, plus de 6 %, la France 1,5 %, soit près de 30 milliards d’euros.

(4) Le taux de récupération à l’horizon de cinq ans des aides financières directes, estimé par le FMI pour les pays cités plus haut, se situe entre 50 % et 60 %, sauf pour le Royaume-Uni (80 %).

Par Angel Asensio, Enseignant-chercheur à l’université Paris-XIII, membre de l’Association Française d’Economie Politique.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message