Après l’Amérique latine, après les résistances en Europe, le monde arabe en ébullition, ce n’est pas fini ! (par Bernard Teper)

mardi 22 février 2011.
 

Pendant que de nombreux militants français se lamentent après le passage en force de la droite néolibérale sur le dossier des retraites, beaucoup d’esprits fatalistes sont gagnés par une morosité qui n’a aucun fondement théorique et pratique. D’abord parce que le mouvement des retraites a été puissant et soutenu par 70 % de la population. Nous n’avons pas réussi à empêcher la loi mais nos forces sont intactes et peuvent repartir demain. Ensuite, sauf une fois (le programme consistant du Conseil national de la 
Résistance, qui a été largement appliqué), toutes les transformations sociales et toutes les avancées ont été réalisées par 
des mouvements sociaux se transformant en mouvement de masse, les 
partis politiques ne faisant que prendre acte du mouvement social dans la mesure où il n’y avait pas de programme politique conséquent 
(Révolution française, mouvements révolutionnaires du 19e siècle,
1936 où le mouvement de masse a imposé les 40 heures et les congés 
payés non prévus dans le programme du Front populaire, Mai 68, etc.).

En fait, que ce soit dans des pays dictatoriaux ou dans des pays où la
 démocratie a profondément régressé (en Europe notamment), il y a de
 moins en moins de possibilités d’avancer par des processus
 démocratiques qui n’existent pas ou ont trop profondément régressé (la 
France a refusé le Traité de Lisbonne et il s’applique à la France !).
La régression du processus démocratique en France fait que 
l’oligarchie soutenue par les grands médias nous donne le choix entre Nicolas
 Sarkozy ou celui qu’il a lui-même nommé au FMI, Dominique Strauss-Kahn ! La Tunisie, l’Égypte montrent donc la voie à
 suivre partout où la croissance ne permet pas aux régimes dictatoriaux
 ou oligarchiques de distribuer de la richesse (l’actuelle stabilité 
relative de la Chine est due à un taux de croissance donnant des 
marges de manœuvre économiques et sociales non négligeables et qui
 permet une croissance du marché intérieur et des luttes sociales de
 plus en plus fréquentes) et où l’oligarchie détourne les richesses du 
pays par des pratiques maffieuses. Le détonateur tunisien a été l’alliance des jeunes diplômés 
principalement au chômage avec les jeunes ouvriers et employés 
tunisiens travaillant dans l’économie tunisienne (et notamment
 l’industrie, plus importante que ne le croient les bobos français et les
 belles âmes des couches moyennes supérieures qui ne considèrent la
 Tunisie que comme une destination touristique), eux qui voyaient l’oligarchie 
maffieuse des Ben Ali-Trabelsi organiser les détournements. C’est
 la même chose en Égypte où les grands médias font le 
black-out sur les mouvements sociaux et de grève qui touchent 
aujourd’hui des centaines de milliers d’Egyptiens. C’est donc bien une
 révolte politique de grande ampleur doublée de mouvements sociaux 
importants qui est à l’œuvre dans ces deux pays.

Dans les deux cas, l’administration étasunienne a joué l’armée contre les dictateurs.
 Elle a modifié sa doctrine habituelle. C’est donc dans les deux cas,
 l’armée qui devra organiser la transition en composant avec le
 mouvement de révolte politique et les mouvements sociaux en plein
 développement. En Tunisie, il est possible que l’armée écartée de la
 vie économique va demander d’y accéder voire d’augmenter le budget de 
l’armée. En Égypte, où l’armée est très liée à la vie économique, elle
 va demander le statu quo sur ce point. Comment cela va se terminer
 demandent les bobos et les belles âmes des beaux quartiers ? On en sait
 autant que dans tous les mouvements sociaux et politiques antérieurs 
au début du processus. C’est alors l’action consciente des militants 
organisés en partis, en syndicats, en opérateurs d’éducation
 populaire, qui tentera d’empêcher l’armée ou l’oligarchie ou les deux
 de reprendre le contrôle de la situation. Comme d’hab… Bien évidemment, ceux qui alors ne sont pas organisés pour agir dans ces 
moments cruciaux ne peuvent qu’être spectateur plus ou moins
 conscients.

Première leçon de stratégie, au lieu de jouer les nouveaux 
Fourier qui construisent à froid l’avenir du monde qui ne se réalisera 
jamais, il convient pour les militants conscients d’être organisés et
 prêts au moment des situations cruciales. Vouloir commencer à faire
 quelque chose une fois la situation en place ne sert à rien, car c’est
 trop tard ! Comme disait le vieux barbu du 19e siècle, c’est la
 situation matérielle qui commande et non les constructions 
intellectuelles déconnectées de la pratique sociale ! Mais c’est
 l’action collective organisée dans la situation concrète qui peut 
modifier ladite situation.
 Les bobos et les belles âmes des beaux quartiers pleurent le risque de
 l’arrivée des islamistes après la chute des dictatures maffieuses. Ils 
rejoignent là leurs collègues qui souhaitent s’allier avec les
 islamistes, soi-disant nouveaux leaders des « pauvres » contre 
l’impérialisme étasunien ! Dans les deux cas, les bobos et les belles âmes utilisent la même stratégie, celle du « les ennemis de mes ennemis deviennent des amis » !

Deuxième leçon de stratégie : contre le turbocapitalisme, la seule stratégie qui 
fonctionne est la stratégie dite du double front : contre le système
 capitaliste et contre les régressions communautaristes et intégristes.
 C’est cette stratégie qui est dans la tête des mouvements sociaux et
 politiques en Iran, en Tunisie, en Égypte, en Algérie, au Yémen.
 Les bobos et les belles âmes, toujours en retard d’un métro, ne voient 
pas la poutre qu’ils ont dans l’œil. En fait, les mouvements sociaux 
et politiques en Iran, en Tunisie, en Égypte, en Algérie, n’ont
 pratiquement plus de slogans liés à l’islam comme dans les années 70
et 80, les revendications ne portent plus sur le nationalisme arabe,
 pas plus que sur le grand Satan étasunien et son complice Israël. Les slogans sont séculiers : « Ben Ali, Moubarak, dégage ! » et la
 démocratie, les conditions matérielles de vie, les conditions 
politiques d’organisation sociale tiennent le haut du pavé des 
revendications. Que cela ne soit pas suffisant pour prédire l’avenir,
 c’est sûr ! Mais est-ce que le rôle d’un citoyen éclairé ou d’un 
militant conscient est de prédire l’avenir ? Laissons cela aux
 astrologues, aux bobos et belles âmes ou autres diseuses de 
bonne aventure !

Troisième leçon de stratégie : le rôle d’un militant
 conscient et d’un citoyen éclairé est d’être prêt dans les grandes
 occasions.
 Une grande révolte politique et de forts mouvements sociaux 
n’impliquent pas ipso facto l’arrivée du bien personnifié. Mais ils en
 sont la condition première. C’est aux acteurs sociaux et politiques
 organisés (partis politiques, syndicats, associations d’éducation
 populaire, armée) de faire des propositions et d’armer 
intellectuellement et politiquement le peuple.
 Une autre illusion d’optique des bobos et les belles âmes est que
 la poutre qu’ils ont dans l’œil les empêche de voir l’énorme processus
 de sécularisation des pays arabes et/ou musulmans. Quand le sage 
montre la lune, les bobos et les belles âmes regardent le doigt !
Ils n’ont pas encore compris l’un des nombreux paradoxes du
 turbocapitalisme à savoir que le processus de sécularisation va de
 pair avec le développement des structures communautaristes et
 intégristes par ce que ces dernières ont été formés et sont toujours
 financés par la gouvernance mondiale du turbocapitalisme.
 De plus, nous sommes dans une période plus favorable qu’à la fin des 
années 70 ou l’islamisme chiite prônait une redistribution des
 richesses, une étatisation de l’économie et une défense des plus
 pauvres.

Aujourd’hui, l’extrême droite chiite est sur le reculoir
 comme l’ont montré les puissantes manifestations de l’année dernière.
 Les Frères musulmans, autre islamisme sunnite cette fois-ci, sont
 entrés dans une alliance avec les politiques néolibérales depuis qu’ils ont approuvé la contre-réforme régressive agraire de la dictature
 égyptienne dirigée par Hosni Moubarak qui permettait aux propriétaires
 des baux d’en augmenter fortement le prix et de renvoyer les fermiers.
 La situation est donc plus ouverte bien que l’avenir n’est pas écrit
 dans le marbre .
Aux partisans de la laïcité et de la république sociale d’agir en
 conséquence. Informons sur la réalité de ce qui se passe aujourd’hui
 dans les pays arabes et, ou musulmans. Continuons notre travail
 d’éducation populaire tourné vers l’action tant sur les dossiers 
français (protection sociale, services publics, école, économie,
 logement, etc.), européens mais aussi à l’international. Mais pour
 cela, il est nécessaire de se rassembler. Rassemblons-nous pour agir
 ensemble.

par Bernard Teper

Responsable du secteur Éducation populaire


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