Fabius la chance

mercredi 15 novembre 2006.
 

Le troisième et dernier débat télévisé des candidats socialistes à l’investiture s’achève et déjà Libération conclut : « rien n’indique que l’exercice, à lui seul, puisse remettre en cause l’irrésistible ascension de l’élue des sondages ». Nous voilà prévenus. L’intimidation médiatique continuera jusqu’au soir du vote.

Leitmotiv : un militant honnête et responsable ne peut contredire les sondages. Sinon c’est qu’il a peur du peuple ! Qu’importe si les sondages ne votent pas et n’ont jamais élu personne. Qu’importe s’ils agrègent des opinions fragiles, inconstantes car non motivées par le débat et la raison, arrachées à la dérobée sur un trottoir ou obtenues par téléphone à l’heure du repas. Qu’importe si l’opinion agissante, qui se déplace pour voter au terme d’un débat impliquant le pays, a toujours contredit le résultat des sondages publiés 6 mois avant l’élection. L’essentiel est d’arracher aux mains des partis et de leurs militants le pouvoir chèrement gagné de parler au nom du peuple pour le remettre entre celles des clients qui achètent les sondages, des sociétés qui en vivent, des journaux qui les publient et des éditorialistes qui les commentent.

Le premier défi lancé aux militants socialistes qui vont désigner leur candidat à l’élection présidentielle la semaine prochaine est la reconquête du droit de penser par eux-mêmes, éclairés par la délibération collective, libres dans leur choix. C’est une condition d’existence de la gauche. Car la pensée des sondages et des salles de rédaction n’est pas neutre. C’est d’ailleurs tout un symbole de voir que le MEDEF, hier présidé par le dirigeant d’une holding financière, l’est désormais par la patronne d’un institut de sondage. Quand aux médias, il suffit de prendre les derniers dossiers européens : la crise d’Airbus et la panne d’électricité géante. Si la responsabilité d’entreprises publiques avait été engagée, nous aurions eu des semaines de unes et de dossiers au vitriol, d’interpellation incessante des responsables, d’appels à constituer des commissions d’enquête voire des jurys populaires, d’émissions spéciales de « Combien ça coûte » et d’éditoriaux enflammés contre le service public. Au lieu de cela, aucun média ne s’est donné la peine de mettre en cause les responsables de ces désastres, Commission européenne en tête.

Les journaux sont faibles avec les forts et forts avec les faibles. Ils aiment les puissants. Leurs propriétaires, grandes fortunes du capitalisme français, paradent au mariage de Sarkozy. Remettre nos cerveaux entre leurs mains, leur confier nos décisions, c’est rendre la gauche impuissante. La gauche, parce qu’elle remet en cause l’ordre établi, avance toujours à contre-courant de l’idéologie dominante. Jaurès définissait déjà ainsi le militantisme comme le « courage de chercher la vérité et de la dire, de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ».

Le 16 novembre prochain, les militants socialistes auront d’abord à exprimer une conviction personnelle. C’est essentiel de l’avoir à l’esprit car si un vote forge une décision, et celle-ci s’impose à tous, il ne force pas une conviction, qui reste la liberté de chacun. Le candidat désigné aura donc pour première tâche de convaincre. De ce point de vue, il est mieux placé pour y parvenir s’il s’appuie sur le contenu du projet socialiste car celui-ci a justement été réalisé dans un esprit de synthèse pour respecter des convictions diverses. En revanche, il ne peut y parvenir s’il demande aux militants de se rallier à des prises de position qui prennent systématiquement le contre-pied des fondements de l’idéal socialiste et républicain. Le débat interne a montré que beaucoup de militants socialistes ne se voient pas faire campagne pour assouplir la carte scolaire ou confier les enfants de pauvres récalcitrants aux mains des militaires car c’est tout simplement contraire aux raisons pour lesquels ils se sont engagés à gauche. Et ils ne changeront pas d’avis pour obéir à un sondage.

Puis la conviction personnelle ne devient une force véritable qu’en rencontrant la mobilisation d’un peuple. Il faudra aussi que les militants socialistes l’aient en tête. Pour connaître les attentes du pays, il n’est pas nécessaire de commander un sondage. Il suffit de regarder ce qui s’y passe. 2007 s’inscrit dans une série de mobilisations populaires et citoyennes exceptionnelles. 2006 : rejet du CPE. 2005 : « non » au referendum. 2004 : élections cantonales, régionales et européennes. 2003 : mouvement contre les lois Fillon et Ferry. A chaque fois, le peuple français s’est mobilisé, à l’inverse ce que pronostiquaient les sondages, contre les politiques libérales. Il n’a pas baissé la tête. Si nous étions en Grande-Bretagne, peut-être serions nous contraints de voter Blair. Mais en France, on peut être socialiste et pas social-démocrate. C’est donc une chance inestimable pour les socialistes français, peut-être unique en Europe, de pouvoir être représentés dans l’élection de 2007 par un homme qui veut tirer les leçons de la dérive de la sociale-démocratie européenne et a su dire « non » au projet de Constitution européenne. Fabius est donc la chance de la gauche comme il est celle de la France qui après un quinquennat de forfaiture chiraquienne mérite de voir enfin les combats de son peuple résonner dans toute l’Europe.


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