Coup de tonnerre dans un climat politique sans couleur ni saveur : Laurent Joffrin, directeur de Libération, le 5 mai 2009, en un long éditorial renverse la table et bouscule les règles, révélant le moyen qui, seul, peut permettre de se débarrasser de Sarkozy !
La formule miracle ? La constitution d’un « espace politique » allant de Mélenchon à de Villepin, incluant le Parti socialiste, les Verts et le MODEM, avec pour héros François Bayrou ! Voilà qui est résolument moderne. Et donc implique, à gauche, d’écarter quelques archaïsmes : le Parti communiste, qui ne peut plus peser, et le NPA qui ne le veut pas…
Laurent Joffrin, érigé en penseur de politique, distribue les bons et mauvais points. Aubry ? Trop ringarde ! Hollande ? Le plus intelligent des socialistes ! Royal ? Originale et proche du peuple ! Mais la palme d’or est réservée à Bayrou, dont on sait d’où il vient, mais qu’on peut imaginer aller loin…
N’avons-nous pas là un de ces articles, rares, qui marquent leur époque et consacrent leur auteur ? Un article qui pulvérise les petitesses journalistiques et les médiocrités politiciennes, bref un véritable ordre de mission ! Un objectif : 2012. Un chemin : une coalition PS-MODEM, qui rende obsolète le clivage gauche/droite et prépare un second tour Sarkozy/Bayrou. Avec le risque probable que celui-là l’emporte sur celui-ci, mais l’assurance que la gauche française s’en trouverait définitivement détruite…
Quelle hauteur de vue, Monsieur Joffrin, et quelle ingéniosité stratégique !
Nous avouerons pourtant quelque déception, de voir notre penseur céder à quelques facilités intellectuelles. Pourquoi, en effet, accompagner un discours si acéré d’enjolivements un tantinet et baroques ? Tel cet axe vertical censé recouper l’axe horizontal gauche/droite, et qui traduirait la proximité ou l’éloignement au regard du peuple et des élites ? Craignons que Laurent Joffrin soit bien le seul où savoir y placer respectivement Aubry et Royal, Bayrou et Villepin, voire Sarkozy et Raffarin…
Et que penser de cette autre théorisation qui, postulant que l’après-Sarkozy sera aussi l’après crise, décrète que la politique de cette coalition sera celle d’un capitalisme ayant rompu avec l’ultralibéralisme ? Certes, le capitalisme moralisé de Sarkozy ce n’est rien, mais cet alter capitalisme dont Joffrin se fait le chantre qu’est-il ?
Bref, on aurait aimé que Laurent Joffrin abatte plus brutalement ses cartes et affirme plus nettement tout ce dont sa proposition de grande coalition permet de se débarrasser.
Nous ne pensons pas trahir sa pensée si nous y voyons une opération triple. 1- D’abord se débarrasser des élections européennes. Tout le monde voit que, loin de correspondre au schéma proposé, elles réactivent le clivage gauche/droite, et au sein de la gauche celui entre le oui et le non à l’ultralibéralisme européen. Bref, elles autorisent le Front de gauche à jouer un rôle un peu plus porteur que celui concédé au dernier des Mohicans. Ce pourquoi, en écho à bien d’autres, Laurent Joffrin décide qu’elles ne sont en rien intéressantes et qu’il convient de les zapper. Pour se tourner dès maintenant vers la présidentielle de 2012.
Pour en convaincre ses lecteurs, il convient de considérer que la situation de 2012 sera dans l’exacte continuité de celle d’aujourd’hui (la crise en moins, pour cause de sortie…), où domine la question qui passionne le Parti socialiste, sinon le monde, à savoir l’alliance avec le MODEM.
2- Raisonnant de la sorte on se débarrasse de la crise et des bouleversements dont elle est porteuse. Inutile de se pencher sur les propositions (ou l’absence de propositions) des uns et des autres concernant par exemple le chômage (selon la Commission européenne, 26,5 millions de personnes pourraient être touchées d’ici 2010 au sein de l’Europe des Vingt-sept, soit un accroissement de plus de 50%, avec 8,5 millions d’emplois supplémentaires détruits )… Mieux vaut disserter à l’infini sur les qualités personnelles de François Bayrou !
3- Enfin, last but not least, ne plus parler des enjeux européens et oublier les défis de la crise autorise à faire taire la gauche, ce qu’il reste de gauche, ce que devrait être la gauche…
L’idée géniale de Laurent Joffrin d’une grande coalition allant du Parti socialiste aux secteurs de l’UMP critiques par rapport au sarkozysme, revient à se débarrasser de la gauche.
Ne voit-on pas poindre le modèle italien ? Si rien ne permet d’assurer que les électeurs choisiront la formule de la grande coalition au centre au nom de l’unique souci d’écarter la droite autoritaire (Berlusconi là-bas, Sarkozy ici), il est sûr en revanche que la gauche en sera détruite. Et c’est dans Libération qu’on nous en annonce la promesse !
C’est dire que pour la gauche, celle qui ne rêve pas chaque minute du MODEM, il y a sérieusement péril en la demeure. Et qu’il convient d’urgence de se bouger :
En combattant la droite, sous ses diverses variantes.
En militant pour une autre Europe que celle que nous impose l’ultralibéralisme.
En affrontant la crise capitaliste, pour opposer l’urgence sociale, démocratique, écologistes et de paix à la volonté de faire payer les travailleurs et les peuples
C’est-à-dire en opposant à la coalition des puissants le front vigoureux du « Que vive la gauche ! »…
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