Le grand bond en arrière de la France insoumise – Le « leadership à gauche » ?

mercredi 1er août 2018.
 

Tout en n’étant pas d’accord avec François Cocq, il me paraît logique de diffuser son texte comme ce site le fait largement pour tous les individus et courants qui se situent globalement sur la même orientation que nous.

Comme un symbole, c’est devant le congrès du Parti de gauche que Jean-Luc Mélenchon a annoncé cette rupture. Je l’ai comme toujours écouté avec attention. Il convient donc de repartir de là pour mesurer le retour en arrière qui s’opère.

C’était il y a quatre ans quasi jour pour jour. Le conseil national du Parti de Gauche débattait d’une orientation stratégique pour l’avenir : fédérer le peuple ou rassembler la gauche. En interne, la discussion était vive depuis de longs mois : comment faire face à l’effondrement culturel et électoral de la gauche (35% à l’époque) et permettre malgré tout l’émergence de majorités sociales et politiques. Après un débat de valeur à la tribune, l’assemblée tranchait en faveur de la première option, avant qu’une intervention de couloir vienne remettre le couvercle pour faire comme si rien ne s’était passé. Quatre ans après, après avoir été pourtant finalement tranché par l’élection de 2017, l’ouvrage est donc remis sur le métier.

On aurait pu croire que le lancement de La France insoumise et sa campagne présidentielle validaient a posteriori le positionnement de ceux qui avaient fait un pas en avant en 2014. On aurait pu croire que la nature de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon inscrivait durablement le mouvement dans une démarche à vocation majoritaire en cherchant à définir de nouvelles identités. Las. Alors que la gauche toute mouillée n’atteint plus même 30% dans les intentions de votes (29,5% selon l’enquête Ifop pour les européennes du 29 juin), la ligne stratégique dite « populiste » a été rangée ce week-end au placard pour laisser place au « leadership à gauche » comme ce fût exprimé avec la plus grande clarté par les plus hauts responsables de La France insoumise. Je considère pour ma part qu’il s’agit là d’une erreur terrible et d’un profond retour en arrière.

Comme un symbole, c’est devant le congrès du Parti de gauche que Jean-Luc Mélenchon a annoncé cette rupture. Je l’ai comme toujours écouté avec attention. Il convient donc de repartir de là pour mesurer le retour en arrière qui s’opère. La base de l’analyse exprimée au cours d’un discours fleuve s’arrête désormais à l’effondrement de la social-démocratie. Comme nous l’avions déjà analysé en …2012. C’est faire fi des dernières années et des analyses produites depuis, notamment de l’époque des grandes coalitions qui en a découlé et de l’impasse démocratique que ces dernières ont généré. C’est surtout être aveugle à la vague qui balaie encore durablement l’Europe (du sud notamment). Mais la commodité de passer sous silence ces derniers éléments permet de redresser un panorama politique à l’ancienne ou l’alternative se construit en reprenant la main sur le camp opposé au pouvoir. C’est en cela que le qualificatif affublé depuis plusieurs semaines à Macron de « chef de la droite » permet une relatéralisation qui a donc débouché ce week-end sur cette conclusion qui résonne encore en moi comme un coup de tonnerre : « Plus vite nous aurons repris le leadership à gauche, plus vite nous pourrons réemployer le mot gauche » fût-il énoncé.

Alors bien sûr ce repli repose sur un élément d’analyse mais que je ne saurais partager : la croyance, plus que la conviction, que le fait de basculer jusqu’à 24-25 % au 1er tour de la présidentielle permet non seulement de se qualifier pour le second tour (je suis d’accord) mais aussi de l’emporter (je ne le suis plus). Si tel devait être le cas, ce serait forcément dans un duel avec l’extrême-droite. Or tout dans l’Histoire nous prouve qu’en de pareilles circonstances la droite choisit son camp et que la social-démocratie laisse-aller. La construction de majorités sociales et politiques ne peut être que le fruit d’une hégémonie culturelle (éventuellement en cours de construction), elle-même résultant de la définition de nouvelles identités à même d’agréger les revendications disparates de divers secteurs de la société. S’engager dans le « leadership à gauche », c’est se priver de la possibilité de faire émerger ces systèmes d’équivalence, ou a minima de les racornir à un socle non majoritaire. Il me semblait que la séquence du printemps donnait justement à voir cette incapacité des forces sociales en général, des syndicats en particulier, à lever à elles seules, et fût ce dans leur unité, une telle dynamique. Cette grille de lecture semble pourtant être encore utilisée, comme si l’on ne croyait pas à l’analyse pourtant posée de la mise à distance populaire opérée vis-à vis de ces différents cadres organisés.

Pour autant, nul ne peut prétendre que le leadership à gauche se suffise à lui-même. Le complément serait donc, à ce que j’en ai compris, produit par un discours dégagiste. Mais là encore. Le dégagisme est un pis-aller du populisme. Le dégagisme réduit à sa plus simple expression est tout sauf une construction en soi et ne peut générer qu’un rejet négatif sans capacité d’agrégation. Regardez l’Espagne : la motion de censure de Sanchez et du PSOE a certes permis de dégager Rajoy et le PP. Mais l’absence de retour aux urnes derrière conduit à ce que Sanchez reprenne à son compte à la fois la politique européenne du PP et jusqu’aux budgets préparés par celui-ci. Et qu’on ne vienne pas m’expliquer (c’est l’argument des sociaux-démocrates) que la reprise du budget de Rajoy était la condition sine qua non du vote des nationalistes basques car c’est là au contraire montrer toute la tambouille des petits arrangements entre amis qui au final immobilisent. La mise en exergue du lien avec Podemos est pourtant très à la mode ces dernières semaines, nonobstant cet épisode : les 2 et 3 juillet, Jean-Luc Mélenchon se présentait à Madrid aux côtés de Pablo Iglesias ; au même moment, Sophia Chikirou annonçait qu’elle prenait, à la demande Jean-Luc Mélenchon et de Manuel Bompard, les rênes d’une mission de contact permanent avec les équipes de Podemos pour la campagne européenne. Je le dis tranquillement : ce n’est pas à moi de porter un jugement sur la stratégie définie par ceux de notre camp, ici les amis de Podemos. Mais je considère que nous ne devrions pas avoir à avaler celle-ci au nom de La France insoumise. Si je dis cela, c’est que nous ne pouvons pas ânonner « Souveraineté populaire, souveraineté populaire, souveraineté populaire » et inscrire dès le début de notre campagne notre action dans les pas de ceux qui après avoir permis de dégager Rajoy ont ensuite refusé le retour aux urnes. Restaurer la confiance, le lien, et de fait la souveraineté du peuple, commande d’agir avec principes : la légitimité ne pouvait en la circonstance qu’émaner du peuple. Sauf on le voit à ne rien changer.

Car si le dégagisme est consubstantiel du populisme, il entre à l’inverse en contradiction directe avec l’idée de reprendre le leadership à gauche. Il n’existe pas d’articulation logique entre l’un et l’autre car la relatéralisation a pour corollaire de réduire alors le dégagisme à l’alternance. Le dégagisme n’est plus alors qu’un effet de manche, une forme de radicalité verbale pour masquer le retour à une mièvrerie d’action. Le leadership à gauche pousse même à une surenchère dans l’expression dégagiste pour tenter de compenser ce qui ne peut pourtant pas l’être par ce biais. Il était frappant d’entendre vendredi Jean-Luc Mélenchon tonner, à juste titre, contre l’UE en fin de discours pour essayer de contrebalancer le retour dans le giron de la gauche qu’il venait de développer.

Le dégagisme est surtout incompatible avec l’image des petits jeux politiciens qui ont partie liée avec cette partition comme on a pu le voir depuis ce week-end. Le député PS Régis Juanico décide de rejoindre Benoît Hamon tout en restant au groupe PS ? L’hospitalité au groupe LFI lui est aussitôt proposée par Manuel Bompard dans ce que chacun-e voit bien être une manœuvre pour faire semblant autour de l’unitééééééééé dont personne ne veut pourtant ni d’un côté ni de l’autre. Benoît Hamon se voit lui proposer un « dialogue ambitieux pour établir bilan et perspectives » selon Jean-Luc Mélenchon, un « pacte de non-agression » selon Eric Coquerel. Avant eux, Manuel Bompard avait joué au chat et à la souris pendant des semaines avec EELV. Avant les prochaines danses du ventre, réelles ou surjouées, mais déjà engagées, devant Maurel & co. Bref toujours le même petit spectacle de l’hypocrisie généralisée pour servir le spectacle médiatique car les gens, eux, ne sont pas dupes même s’ils sont par contre las. Car j’ai bien noté la nuance : l’objet n’est pas de rassembler la gauche, mais d’en prendre « le leadership ». La nuance est certes de taille. Mais elle conduit au même rétrécissement, car le problème n’est pas celui des sigles mais de ceux à qui l’on s’adresse : la gauche ou le peuple. Dès lors, les dégâts collatéraux seront tout aussi chers à payer alors même que cette incarnation sur les valeurs est déjà grandement réalisée.

Un ami me disait hier qu’il ne faut jamais perdre espoir et que l’épisode de 2014 au sein du PG n’avait pas empêché deux ans plus tard le lancement de La France insoumise et la campagne que l’on sait. Sans doute. Et je souhaite qu’une pareille réaction salutaire permette le meilleur pour 2022. Mais à l’heure où Macron pose sur la table avec sa souveraineté européenne un objet politique structurant pour son camp, destructurant pour le peuple, à l’heure où est menacée la liberté de pouvoir décider collectivement de ce qui est bon pour le collectif humain (pour nous républicains le corps politique qu’est la Nation) dans lequel on se reconnait, à l’heure où se redéfinissent des identités d’exclusion sur des bases ethnico-culturelles, il est dommage et pour tout dire décevant de commencer ce chemin par un tel retour en arrière.

François Cocq


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