Un débat, deux dégâts, trois choix

lundi 27 mars 2017.
 

Retour sur le débat présidentiel de ce lundi 20 mars.

Deux candidats avaient beaucoup à perdre dans ce débat. Et ils ont beaucoup perdu. François Fillon et Benoît Hamon, propulsés il y a quelques semaines par la primaire de la droite et par celle du PS, restent bien malgré eux enserrés dans ce cadre initial. Le débat de la présidentielle était pour l’un comme pour l’autre le 4ème exercice médiatique similaire auquel ils se livraient. Et cela s’est vu. Faute de renouvellement, la lassitude gagne. Leur prestation ne fût qu’une resucée de leurs passages précédents alors même que l’environnement autour avait changé. Le vote de rejet au sein de leur camp, contre le virulent Sarkozy et le fade Juppé pour l’un, et contre le 1er Ministre honnis Valls pour l’autre, ne se déclinent pas dès lors que l’on s’adresse aux Français. L’un comme l’autre paraissaient esseulés, prisonniers de leurs affaires, judiciaires pour l’un et politiques pour l’autre. Il faut dire que depuis la primaire, ils ont été largement lâchés par les leurs, le PS tentant encore de colmater les brèches par un bureau national exceptionnel quelques minutes avant le débat. François Fillon est d’abord apparu résigné avant de voir sa parole démonétisée. Un comble pour celui qui a installé sa lucrative auto-entreprise au sein du Parlement. Quant à Benoît Hamon, il semble lui déjà être passé à autre chose : la bagarre pour la prise du vieux PS pour laquelle il faut faire assaut de gages donnés aux siens. Ce faisant ils se rend inaudibles aux oreilles des grandes masses. Les représentants des vieilles formations s’effacent avec elles dès lors qu’il faut sortir de l’entre-soi. Une page se tourne.

Restent alors les trois candidats qui vont se disputer l’accession au second tour. Le débat fût de ce point de vue limpide : d’un côté la règle ethnique de Mme le Pen, de l’autre la règle d’or et d’argent de M. Macron, enfin la règle humaine de Jean-Luc Mélenchon. Chacun a fait usage d’arguments pour décliner en conséquence sa vision de la société.

Mme Le Pen s’est efforcée de tirer le fil de la « préférence nationale » qui sertit son programme. S’adressant d’abord volontiers aux siens sur les thématiques de la sécurité ou de l’immigration, elle n’a d’autre recours que de s’engager dans le communautarisme politique pour élargir sa base : elle cherche alors à parler tour à tour aux différents électorats pris séparément pour les flatter ou leur promettre monts et merveilles. Mme Le Pen fait du patchwork pour substituer à l’indivisibilité du peuple qu’elle récuse le rassemblement autour du rejet de ce qui n’est pas soi qu’elle propose. Bref un discours pour les siens mais pas un programme pour la France.

M.Macron pouvait lui aussi redouter l’exercice et il n’avait pas tort. Les effets de manche et les généralités vides de sens ne résistent pas à trois heures de discussion. Passé 23 heures, les yeux se ferment et les oreilles se bouchent devant tant de lieux communs. Le manège tourne à vide. Et quand enfin il en vient au concret, c’est sous la forme d’un quitus donné là à Jean-Luc Mélenchon, plus loin à François Fillon. Picorer à gauche et à droite et proposer pour seul horizon un « renouvellement » sans décliner de quel bois sera faite la nouveauté ne fait pas une « alternance profonde » comme il l’a évoqué si les idées ne s’agrègent pas dans un cadre cohérent. On comprend mieux que sans substance et sans charpente, le projet de M. Macron ait tant de mal à prendre corps dans un programme. Alors M. Macron revient à lui : interrogé sur le président qu’il serait, il a cru bon de retracer le fil de sa vie. La personne avant la fonction. Les personnes avant le projet : au lendemain de ce débat difficile pour lui, M. Macron, comme il l’avait fait avec la cavalcade des débauchages donnés à voir au mois de janvier, joue à nouveau la diversion pour reprendre la main en organisant la visibilité de ses ralliements. La secrétaire d’Etat Barbara Pompili a annoncé ce mardi matin qu’elle allait, comme à son habitude, à la facilité. Le marketing politique est une chose. La direction du pays en est une autre.

Dans cette arène, Jean-Luc Mélenchon a finalement été le seul à avancer un projet cohérent sans sourciller, en cherchant à convaincre non en assénant des bons mots ou des chiffres mais en élevant les consciences pour en appeler à la raison de ceux qui l’écoutaient. Ce faisant, il a brossé un tableau de l’état du monde et de notre pays et a proposé un chemin pour un avenir en commun. Cette manière d’élever le débat lui a conféré une centralité dans la discussion tant et si bien que les autres candidats revenaient sans cesse vers lui soit pour valider ses analyses, soit pour reconnaître l’existence d’un choix d’orientation stratégique entre sa vision et la leur. Elle lui a également donné la maîtrise des rythmes et des temporalités. Volontiers dans le rôle du présidentiable au début, Jean-Luc Mélenchon est le seul à avoir évoqué les affaires qui salissent la République et brident aujourd’hui la démocratie. Il a lancé l’échange entre les candidats pour redynamiser la soirée, avant d’être celui qui a clos la séquence en en appelant à la force du peuple grâce à laquelle tout est possible. Incontestablement, Jean-Luc Mélenchon a pris un ascendant psychologique à la fois sur les autres candidats mais aussi sur la campagne. Le 18 mars, les 130.000 personnes réunies pour la marche pour la 6e République lui ont donné mandat pour être le porte-parole de l’idée dans la campagne. Deux jours après, il s’est grandi de la porter si haut dans le débat public.

Une nouvelle campagne a débuté samedi dernier avec l’annonce des candidats officiels à la présidentielle. Courte et intense, elle verra se faire les cristallisations quasiment en temps réels. Deux des cinq candidats l’ont constaté hier soir à leurs dépends. Il reste aux trois autres un mois pour essayer d’amener les Français à les départager. Par la peur pour l’une, par la grandiloquence pour l’autre, par la Raison pour le troisième.

Francois Cocq


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