De Villepin s’y est engagé publiquement : la fusion entre le groupe privé Suez et GDF n’empêchera pas que le contrôle du prix du gaz par l’Etat et que les salariés de Gdf préservent leurs « garanties sociales ». On peut le croire sur parole ! Il n’aura pas fallu deux ans pour que la majorité de droite dont il est le chef renie la loi, votée en 2004, qui affirmait que la part de l’Etat ne pouvait pas être inférieure à 70 % du capital de Gdf.
Quant à son ministre des finances qui orchestre l’opération, Thierry Breton, il est au moins aussi crédible. C’est le même qui affirmait, il y a 7 mois, lors de l’entrée en bourse de Gdf, que le groupe venait d’acquérir les moyens financiers de « se développer seul » !
Une OPA bidon
Le prétexte à la fusion précipitée de Suez et de Gdf est l’annonce d’une Offre Publique d’Achat (OPA) hostile de l’entreprise italienne Enel sur le groupe Suez. « Patriotisme économique » oblige, il ne restait plus qu’une solution : fusionner Suez et Gdf, pour préserver l’indépendance énergétique de la France... Il est pourtant difficile d’imaginer une histoire plus cousue de fil blanc. Annoncer une semaine à l’avance que l’on va pratiquer une OPA sur une société, n’à pas plus de sens que de prévenir l’armée ennemie de l’embuscade que l’on va lui tendre. Une telle annonce, en effet, permet à la société agressée de préparer la riposte (la fusion Suez-Gdf, par exemple) et fait grimper le prix de l’action, rendant ainsi l’OPA plus aléatoire et de toute façon plus onéreuse.
Il est plus facile maintenant de comprendre pourquoi la droite refusait à tout prix la création d’une entité commune EDF-GDF : la fusion Suez-Gdf était déjà en préparation. Ce que confirment les révélations de la presse sur les discussions menées au plus haut niveau des deux groupes depuis des mois. La capitalisation boursière d’EDF-GDF aurait représenté 110 milliards d’euros. Celle de Suez n’étant que de 43 milliards d’euros, la part de l’Etat (80 %, aujourd’hui, du capital d’EDF et de GDF) aurait été de 88 milliards d’euros sur un total de 153. L’Etat aurait donc été majoritaire dans une société issue de la fusion d’EDF-GDF et de Suez. Les libéraux ne voulaient surtout pas d’une telle situation.
La privatisation de GDF
La part de l’Etat ne sera plus que de 34,6 % dans le capital de la nouvelle société fusionnée. L’entreprise sera donc une entreprise privée.
Il n’y a que « Les Echos » du 28 février pour voir dans cette fusion une nationalisation de Suez, l’Etat ayant une minorité de blocage. En réalité, comme le précise la CGT : « la minorité de blocage « éventuelle de l’Etat ne vaudrait que pour quelques décisions précises (acquisitions, cessions d’entreprises) mais la gestion et les décisions stratégiques seraient dictées par l’actionnariat privé ».
Le dirigeant de Suez Gérard Mestrallet sera d’ailleurs le PDG ou le Président du Directoire de la nouvelle société. Sur un total (aujourd’hui) de 214 000 salariés : 52 950 viendront de Gdf mais 161 000 de Suez. Le chiffre d’affaire (2005) de Suez est de 41,5 milliards d’euros contre 22,4 pour Gdf.
Quant à la capitalisation boursière, elle assure la même suprématie à Suez : 43,2 milliards d’euros contre 29,3milliards pour Gdf (56,7 % et 43,3 %). Les Conseils d’administration des deux groupes ont approuvé et décidé de signer le projet de traité de fusion. Fin 2006 : les assemblées générales extraordinaires des actionnaires de Suez et de GDF, appâtés par les juteux bénéfices annoncés, n’auront plus qu’à approuver la fusion.
Un concurrent pour EDF
Pour Thierry Breton (Libération du 28/02), le nouveau groupe ne « sera pas un concurrent face mais un concurrent à côté d’EDF ».
C’est ridicule sur la forme comme sur le fond. Suez est, en effet, le 5ème producteur d’électricité en Europe. Il a un accès privilégié à l’électricité du nucléaire belge d’Electrabel et aux barrages sur le Rhône. La fusion combinera ces atouts avec le formidable portefeuille de clients (11 millions) que possèdent Gdf. Et le nouveau mastodonte n’utiliserait pas ces atouts !
Non seulement les deux groupes seront en concurrence mais la fusion Suez-Gdf poussera à la privatisation d’Edf qui aura besoin de capitaux pour faire face à cette concurrence. Edf a d’ailleurs dans ces cartons un projet d’achat d’opérateur gazier.
Un risque pour les usagers
« Les tarifs continueront d’être régulés par l’Etat et toutes les obligations de service public seront maintenues » affirme de Villepin qui n’est plus à une promesse près.
Cela n’a aucun sens. Le petit opuscule publié en chœur par Suez et Gaz de France affirme tout autre chose. Il vante une fusion « dans l’intérêt des actionnaires » et « la rentabilité des capitaux investis »... Mais comment préserver l’intérêt des actionnaires et la rentabilité des capitaux sans augmenter le prix du gaz ? Il faudra bien rétribuer les actionnaires et chacun sait qu’ils en veulent toujours plus.
L’augmentation du prix du gaz a d’ailleurs été la suite logique de la privatisation du gaz dans tous les pays où cette énergie a été privatisée.
Quant aux missions de service public, il suffit d’observer l’évolution de France Télécommunication ou de la Poste, au fur et à mesure de l’extension de la libéralisation dans leurs secteurs respectifs, pour en déduire, sans trop de risques de se tromper, que cette fusion annonce une nouvelle régression du service public et de ses missions.
Un danger pour les salariés
« La fusion sera créatrice d’emplois » affirme de Villepin. C’est plus que douteux. Mais si tel était le cas, dans la perspective de la libéralisation totale des deux secteurs début 2007 et de la concurrence acharnée qui en découle : ce seront d’autres entreprises du secteur qui licencieront. Les fusions, en effet, n’agrandissent pas le marché.
« Le statut des personnels des industries électriques et gazières sera intégralement préservé, y compris naturellement pour les nouveaux salariés » ajoute le premier Ministre. Le « naturellement » vaut son pesant d’or. La concurrence exacerbée dans ce secteur, la dictature de l’actionnaire permettront déjà très difficilement de préserver le statut des anciens salariés, alors les nouveaux...
« Le pôle eau et environnement de Suez sera conservé » affirme, pour faire bonne mesure, Galouzeau de Villepin. En réalité, cette affirmation est à peu prés aussi fiable que celle d’une TVA à 5,5 % car c’est la Commission européenne qui décidera si des cessions sont ou non nécessaires pour que la fusion soit conforme à la réglementation européenne de la concurrence.
Que deviendront, également, les salariés des deux sociétés énergétiques Elyo (Suez) et Cofathec (GDF) qui risquent de faire double emploi. Lors du rachat du groupe Electrabel par Suez, les salariés d’Electrabel avaient déjà subi les conséquences d’une telle situation.
Enfin, que deviendront et quel sera le statut des 55 000 agents aujourd’hui communs à EDF et GDF, assurant l’accueil dans des agences communes, le relevé des compteurs aussi bien que l’entretien des réseaux ?
Une conséquence des directives européennes
La seule politique de l’Union européenne dans le domaine de l’énergie (comme dans les autres les secteurs d’ailleurs), c’est l’ouverture à la concurrence. En 1996, une directive organisait la libéralisation partielle de l’électricité. En 1998, avec l’accord du gouvernement de Lionel Jospin, une autre directive faisait de même pour le gaz. Ces deux directives entraînaient une première vague de fusions.
En 2002, l’Union européenne, toujours avec l’accord du gouvernement de Lionel Jospin, décidait l’ouverture totale des marchés du gaz et de l’électricité au 1er juillet 2004 pour les professionnels et au 1er janvier 2007 pour les particuliers.
Une nouvelle vague de fusion se déclenchait. Les dirigeants de Suez et de Gdf présentent d’ailleurs leur fusion comme une « étape importante dans la préparation de l’ouverture complète des marchés européens de l’énergie ».
L’Union européenne n’a aucune politique énergétique
L’ouverture à la concurrence ne constitue pas une politique et l’Europe subit aujourd’hui les contradictions de ce dogmatisme.
Chacun des gouvernements européens actuels est partisan du libéraliser, mais à une condition, c’est de conserver son indépendance énergétique.
Les Britanniques et les Néerlandais gardent le contrôle à 100 % de leurs productions d’hydrocarbures. Le gouvernement espagnol (pour contrer l’OPA de l’allemand ON) encourage l’OPA de l’espagnole Gas Natural sur son compatriote Endesa.
Le gouvernement portugais veut, malgré la Commission européenne, fusionner EDP (Energias de Portugal) et Gas de Portugal (GDP).
Le gouvernement français accélère la fusion de Suez et de Gdf.
On assiste à un curieux mélange de nationalisme et de libéralisme. Mais le « patriotisme économique » ne profite qu’aux capitaux alors que libéralisme fait payer le prix fort de ce jeu de mécano aux salariés et aux usagers. Il existe pourtant une toute autre solution pour préserver l’indépendance énergétique, non pas nationale mais européenne, et les services publics de l’énergie : des partenariats entre entreprises européennes, quel que soit leur statut. Il n’est nul besoin, par exemple, de fusionner des entreprises pour qu’elles constituent une centrale d’achat commune qui négocie avec le producteur de gaz russe Gazprom.
Un grand secteur de l’énergie
Organiser la riposte, c’est d’abord, avec les organisations syndicales refuser la privatisation de Gdf et agir pour une mobilisation massive des salariés et des usagers.
C’est ensuite, ne pas laisser les salariés de Suez à la merci d’une OPA comme celle d’Enel en faisant entrer des fonds publics, tels que ceux de la Caisse des Dépôts, dans le capital de Suez.
C’est, enfin, en cas de victoire de la gauche, retourner contre la droite et les intérêts qu’elle défend, la politique qu’elle veut imposer aujourd’hui. La droite cherche à tromper les salariés et les usagers de Gdf avec le plus grand cynisme. Il faut lui montrer qu’à jouer avec des allumettes, elle risque de se brûler les doigts et annoncer qu’un gouvernement de gauche nationaliserait la nouvelle société issue de la fusion Suez-Gdf. Cette nationalisation permettrait la constitution d’un pôle public de l’énergie autour d’EDF-GDF-Suez.
Cette nationalisation permettrait, également, grâce au secteur des services l’eau et de traitement des déchets de Suez, de commencer édifier deux autres pôles publics tout aussi indispensables pour répondre aux besoins sociaux actuels et surtout futurs : celui de l’eau et celui du traitement des déchets.
Jean-Jacques Chavigné
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