Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre

dimanche 12 avril 2009.
 

La violence humaine est-elle innée ou induite par le contexte ? Les recherches anthropologiques et archéologiques permettent aujourd’hui de répondre un peu mieux à cette question qui divisa les plus grands philosophes. La guerre ne semble apparaître qu’avec la naissance de l’économie de production et le bouleversement des structures sociales du néolithique, il y a environ dix mille ans.

Sur la question de la violence chez les humains, deux conceptions radicalement opposées s’affrontent. Le philosophe anglais du XVIIe siècle Thomas Hobbes pensait que la « guerre de tous contre tous » existait depuis l’aube des temps (Léviathan, 1651). Pour Jean-Jacques Rousseau, l’homme sauvage était sujet à peu de passions et a été entraîné dans « le plus horrible état de guerre » par la « société naissante » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755).

L’image de l’homme préhistorique violent et guerrier résulte d’une construction savante élaborée par les anthropologues évolutionnistes et les préhistoriens du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Elle a été gravée dans les esprits à la faveur du présupposé selon lequel l’humanité aurait connu une évolution progressive et unilinéaire (1). Dès la reconnaissance des hommes préhistoriques, en 1863, on a rapproché leur physique et leurs comportements de ceux des grands singes, gorilles et chimpanzés. Pour certains savants, cet « homme tertiaire » représentait le chaînon manquant entre la « race d’homme inférieur » et le singe. Puis la théorie dite « des migrations », apparue dans les années 1880, a soutenu que la succession des cultures préhistoriques résultait du remplacement de populations installées sur un territoire par d’autres ; elle a enraciné la conviction que la guerre de conquête avait toujours existé.

Sans avoir procédé à une analyse précise de leurs usages, les premiers préhistoriens donnent aux objets taillés des noms à connotation guerrière : massue, casse-tête, coup-de-poing, poignard... Les expositions universelles et les premiers musées reproduisent ce parti pris. Ainsi, le Musée d’artillerie (devenu Musée de l’armée), installé aux Invalides en 1871, propose des collections d’armes pré- et protohistoriques, antiques, historiques et ethnographiques, et, pour chaque période, des mannequins grandeur nature armés, en costume de guerre. Cette présentation instille dans la tête du visiteur l’idée d’une continuité culturelle de la guerre depuis la période la plus reculée de l’humanité. Pourtant, d’après les études actuelles, ces armes étaient utilisées pour tuer des animaux, et non des humains.

Bienveillance envers les infirmes

Davantage encore que les travaux scientifiques, les œuvres d’artistes et d’écrivains ont construit l’image des préhistoriques et de leur mode de vie : les sculptures d’Emmanuel Frémiet ou de Louis Mascré, les peintures de Paul Jamin ou de Fernand Cormon ; les Etudes antédiluviennes de Pierre Boitard ; et bien sûr La Guerre du feu de J.-H. Rosny aîné, paru en 1911. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, cette image demeure, à de rares exceptions près, celle d’un singe anthropomorphe, souvent une sorte de gorille, espèce considérée alors comme particulièrement sauvage et lubrique. On le représente maniant des armes primitives comme le gourdin ou le coup-de-poing, pratiquant l’esclavage et s’adonnant au meurtre, voire au cannibalisme. Cette vision se retrouve dans la plupart des romans qui fleurissent à partir de 1880.

Ces fictions installent dans l’imaginaire populaire un archétype du préhistorique : un héros masculin, viril, confronté à des animaux de grande taille, comme le mammouth, ou féroces, tel le tigre à dents de sabre. Armé d’une massue et vêtu d’une peau de bête, il vit dans une caverne où il taille des outils en pierre. Révolté, instinctif et violent, notre ancêtre se bat pour conquérir le feu, une femme, ou pour venger un être cher. Les conflits sont omniprésents, comme si la guerre était inexorable, en particulier entre des « races » différentes, dont les types sont souvent puisés dans les récits des explorateurs (2).

Au début du XXe siècle, s’appuyant sur le comportement des grands singes, certains sociobiologistes, rejoints par des anthropologues et des préhistoriens, soutiennent la thèse selon laquelle nous descendrions de « singes tueurs ». L’Homo sapiens, animal brutal car prédateur, se serait répandu hors d’Afrique à travers l’Eurasie en éliminant les autres grands singes bipèdes. Cette hypothèse, avancée en 1925 par le préhistorien Raymond Dart, fut popularisée en 1961 par Robert Ardrey dans Les Enfants de Caïn (Stock). Chasseurs, donc prédateurs, les préhistoriques auraient été agressifs par nature, et la guerre n’aurait été qu’une chasse à l’homme.

La mise à mort de l’animal peut apparaître comme l’expression d’une violence humaine intrinsèque. Pourtant, plusieurs études ethnographiques montrent que, dans la majorité des cas, elle exclut toute agressivité de la part du chasseur (3) ; au contraire, elle socialise cette violence nécessaire sur le mode de l’échange cosmologique entre l’homme et la nature (4). En outre, elle contribuerait à la constitution d’un lien social à travers le partage de la proie. Aujourd’hui, l’hypothèse selon laquelle l’homme, parce que prédateur, descendrait de « singes tueurs » est abandonnée, de même que celle de la « horde primitive » proposée par Sigmund Freud en 1912.

Défenseur de la théorie de Jean-Baptiste de Lamarck sur l’hérédité des caractères acquis, le père de la psychanalyse soutenait que, en des temps très anciens, les humains étaient organisés en une horde primitive dominée par un grand mâle tyrannique. Celui-ci s’octroyait toutes les femmes, obligeant les fils à s’en procurer à l’extérieur par le rapt. Puis, un jour, « les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à l’existence de la horde paternelle », écrit-il dans Totem et Tabou, en 1912. Freud développe également les notions de « primitif intérieur » et de « pulsion sauvage » ; les conflits internes représenteraient l’équivalent de luttes extérieures qui n’auraient jamais cessé.

Cette « sauvagerie intérieure » ne serait-elle pas en réalité, comme le suggère l’épistémologue et anthropologue Raymond Corbey (5), une « construction mentale imaginaire influencée par les idéologies du XIXe siècle comme le racisme ou l’eugénisme » ? Plusieurs études en neurosciences affirment que le comportement violent n’est pas génétiquement déterminé (6). Même s’il est conditionné par certaines structures cognitives, le milieu familial et le contexte socio-culturel jouent un rôle important dans sa genèse (7). En outre, de nombreux travaux, tant en sociologie ou en neurosciences qu’en préhistoire, mettent en évidence le fait que l’être humain serait naturellement empathique. C’est l’empathie, voire l’altruisme, qui aurait été le catalyseur de l’humanisation (8).

En observant les anomalies ou les traumatismes inscrits sur les ossements de plusieurs fossiles humains du paléolithique, on constate qu’un handicapé physique ou mental, même de naissance, n’était pas éliminé. Les restes, vieux de 420 000 à 300 000 ans, d’un enfant Homo heidelbergensis ayant souffert de synostose crânienne précoce ont été retrouvés dans la Sima de los Huesos — la « grotte des os » — sur le site d’Atapuerca, en Espagne. Cette pathologie entraîne un développement anormal du cerveau, ainsi qu’une déformation du crâne. Atteint dès sa naissance d’un retard mental handicapant, cet enfant a survécu jusqu’à l’âge de 8 ans.

Dans la majorité des cas de traumatisme, les blessures sont cicatrisées, ce qui démontre que ces hommes prenaient soin de leurs malades ou de leurs blessés et que, malgré leur handicap, ceux-ci conservaient leur place au sein de la communauté. Autre exemple : l’examen du bassin et de la colonne vertébrale d’un Homo heidelbergensis vieux d’environ 500 000 ans, découvert sur le site d’Atapuerca, a montré qu’il souffrait d’une excroissance osseuse vertébrale et d’un glissement de vertèbres. Cet homme, mesurant un mètre soixante-quinze et pesant au moins cent kilos, était donc bossu et devait particulièrement souffrir lors de ses déplacements. Mais il a survécu jusqu’aux alentours de 45 ans grâce aux soins que lui ont prodigués les siens.

Si, aujourd’hui encore, dans l’imaginaire populaire, les hommes préhistoriques apparaissent comme des êtres en perpétuel conflit, la réalité archéologique autorise à porter sur eux un tout autre regard. L’analyse des impacts de projectiles sur les os humains, des blessures, de l’état de préservation des squelettes et du contexte dans lequel ils ont été découverts permet de caractériser un acte violent. Actuellement, les plus anciennes traces de violence ont été observées dans un contexte particulier, celui du cannibalisme. Plusieurs preuves archéologiques attestent cette pratique, durant le paléolithique, mais peu témoignent de la mise à mort des individus consommés. En outre, il est impossible de différencier les groupes d’appartenance des « mangeurs » et des « mangés ».

Quant aux autres marques de violence, l’examen de plusieurs centaines d’ossements humains datant de plus de 12 000 ans a permis de constater leur extrême rareté (9). En outre, elles sont souvent difficiles à interpréter, car elles peuvent tout aussi bien résulter d’un coup porté intentionnellement que d’un accident, en particulier de chasse. Le plus ancien témoignage de violence hors contexte cannibalique a été découvert sur le crâne d’un Homo sapiens archaïque trouvé dans une grotte près de Maba, en Chine méridionale, et vieux de 200 000 à 150 000 ans. La fracture observée au niveau du temporal droit résulterait d’un coup porté à l’aide d’un objet contondant en pierre. Plus de 100 000 ans plus tard, dans la grotte de Shanidar, en Irak, un crâne de néandertalien âgé de 30 ou 40 ans (Shanidar I) présente deux écrasements : l’un au niveau de l’écaille frontale droite et l’autre au niveau de l’orbite gauche. Cependant, comme le fait observer le fouilleur, ces marques peuvent avoir été produites par l’éboulement du plafond qui a eu lieu après l’ensevelissement du corps.

En Europe, le frontal d’une néandertalienne adulte, exhumé dans un banc de graviers de la rivière Vah, près de Sala, en Slovaquie, porte la marque d’un objet tranchant ayant entraîné une blessure non mortelle. A Saint-Césaire, en Charente-Maritime, une jeune femme néandertalienne a elle aussi reçu un coup sur la partie droite avant de son crâne. Porté avec un instrument très aiguisé, il aurait entraîné une forte hémorragie et une commotion cérébrale, voire un coma. Par ailleurs, des blessures provoquées par l’impact d’un objet pointu en bois ou en pierre ont été observées sur quelques squelettes (vieux de 60 000 à 45 000 ans) de néandertaliens, à Shanidar, et d’hommes modernes, à Skhul, en Israël.

Meurtres ou accidents de chasse ?

Ces blessures résultent-elles d’un accident ou d’un acte de violence lors d’un conflit entre personnes, entre communautés ou entre groupes ? Pour ces périodes anciennes, la distinction est difficile à faire. Cependant, dans plusieurs cas, les blessures, notamment celles dues à un choc ou à un coup porté à la tête, sont cicatrisées. Ces personnes n’ont pas été achevées, ce qui laisse penser qu’elles portent plutôt les séquelles d’un accident ou d’un combat arrêté avant la mort, suggérant davantage une querelle interpersonnelle. Seuls l’homme de Skhul et, peut-être, le garçon de la « grotte des enfants » aux Balzi Rossi, en Italie, semblent avoir subi des violences. Mais de la part de qui ? Un membre de leur communauté ou un individu extérieur à leur groupe ? La question demeure actuellement sans réponse.

Les néandertaliens de Shanidar, d’après l’étude menée par le paléoanthropologue américain Erik Trinkaus (10), auraient été victimes d’accidents de chasse. La distribution des lésions — situées principalement à la tête et aux bras — de plusieurs d’entre eux correspond à celle observée sur les os de professionnels du rodéo et révèle des traumatismes résultant de chutes violentes sur le sol. Les néandertaliens étaient des chasseurs de grands mammifères ; leurs armes nécessitaient l’approche, voire le corps-à-corps avec l’animal, et il est donc fort probable que des accidents se produisaient. En outre, lorsque les chasseurs tiraient le gibier, les projectiles pouvaient rater leur cible et frapper un de leurs compagnons.

Quelques rares figurations du paléolithique supérieur montrent des humains transpercés de traits, sur les parois des grottes de Cougnac et du Pech Merle, dans le Lot, et sur le galet de la grotte Paglicci, en Italie. Ces représentations sont souvent appelées « homme blessé » ou « homme fléché », car, pour certains préhistoriens, ces signes symbolisent des pointes de projectile. Mais, là encore, la représentation d’accidents de chasse ne peut être exclue, ni celle de sacrifices symboliques lors d’une cérémonie. L’art paléolithique ne compte aucune scène de guerre, même s’il convient de préciser que les scènes narratives y sont extrêmement rares.

Le tournant de la sédentarisation

Pour certains préhistoriens, le Site 117, situé sur la rive droite du Nil, à la frontière nord du Soudan en Egypte (entre 14 340 et 13 140 ans), apporterait la preuve la plus convaincante de l’existence de conflits meurtriers entre deux communautés à la fin du paléolithique. D’après les fouilles, cinquante-neuf corps de femmes, d’hommes et d’enfants de tous âges ont été déposés, seuls ou par deux, trois, quatre ou cinq, dans des fosses recouvertes de dalles. Selon James Anderson (11), près de la moitié des sujets inhumés auraient connu une mort violente, soit à la suite de coups portés à la tête, soit après avoir eu le thorax, le dos ou l’abdomen transpercé par des pointes de lance ou des projectiles en pierre, dont certains ont été retrouvés encore fichés dans les corps. En outre, d’après la trajectoire des projectiles, on a continué à tirer sur trois des hommes alors qu’ils étaient probablement déjà à terre. Que s’est-il passé ?

A la fin du paléolithique, le nord du Soudan connaît une aridification du climat. Enclavé dans la vallée fertile du Nil et cerné par des milieux naturels hostiles, ce site aurait suscité la convoitise de groupes vivant à l’intérieur des terres (12) ; à moins que, avec l’augmentation de la densité de la population, la diminution des ressources disponibles n’ait mené à une compétition interne pour leur contrôle. Rien dans le matériel archéologique recueilli n’indique une origine allochtone des projectiles. Par ailleurs, les cinquante-neuf squelettes correspondent-ils à un même événement ou à plusieurs ? Quoi qu’il en soit, ce site apparaît comme étant le premier cas avéré de violence collective. Intra- ou intercommunautaire ? Le débat reste ouvert.

D’après les vestiges archéologiques, on peut raisonnablement penser qu’il n’y a pas eu durant le paléolithique de guerre au sens strict, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Une faible démographie, d’abord : en Europe, on estime à quelques milliers d’individus la population durant le paléolithique supérieur. Les communautés étant dispersées sur de vastes territoires, la probabilité qu’elles se soient affrontées est faible, d’autant qu’une bonne entente entre ces petits groupes d’au maximum cinquante personnes était indispensable pour assurer la reproduction.

La sédentarisation s’accélérera au cours du néolithique, avec la domestication des plantes et des animaux. Il en résultera une croissance localisée de la population et une crise démographique. Celle-ci a pu être régulée par des conflits, comme l’indique la présence dans plusieurs nécropoles — à Schletz, en Autriche, et à Thalheim, en Allemagne — de blessures mortelles sur des squelettes d’hommes, de femmes et d’enfants.

Le paléolithique disposait par ailleurs d’un territoire de subsistance suffisamment riche et diversifié. Certains anthropologues soutiennent que les sociétés préhistoriques n’auraient connu qu’une « économie de survie » ; mais ce postulat ne repose sur aucune réalité archéologique. De nombreux travaux attestent le contraire, au point qu’on a pu voir en elles non seulement des sociétés autosuffisantes, mais des sociétés d’abondance. Lorsque les territoires sont riches en ressources, les communautés n’entrent pas en compétition, car elles peuvent moduler leurs comportements de subsistance par l’exploitation de divers types d’aliments. Par ailleurs, aucune preuve archéologique n’étaye l’hypothèse de guerres territoriales entre migrants et autochtones.

Là encore, au cours du néolithique, le besoin de nouvelles terres à cultiver entraînera des conflits entre les premières communautés d’agropasteurs, et peut-être entre elles et les derniers chasseurs-cueilleurs, en particulier lors de l’arrivée en Europe de nouveaux migrants, entre 5 200 et 4 400 ans av. J.-C. (à Herxheim, en Allemagne, par exemple). Une crise profonde semble marquer cette période, comme en témoigne aussi le nombre plus élevé de cas de sacrifices humains et de cannibalisme.

Alors que les sédentaires peuvent accumuler des biens matériels, les chasseurs-cueilleurs nomades disposent d’une richesse nécessairement limitée, ce qui réduit également les risques de conflit. De plus, l’économie de prédation, à la différence de l’économie de production, qui apparaît avec la domestication des plantes et des animaux, ne génère pas de surplus. L’histoire a montré que les denrées stockées et les biens pouvaient susciter des convoitises et provoquer des luttes internes ; butin potentiel, ils risquent d’entraîner des rivalités entre communautés et de mener à des conflits. C’est à la faveur du développement de la métallurgie et du commerce à longue distance de biens de prestige, au cours de l’âge du bronze (IIe millénaire avant J.-C.), que le guerrier et l’armement commencent à faire l’objet d’un véritable culte et que la guerre s’institutionnalise.

Par ailleurs, les conflits sont souvent déclenchés par les détenteurs de pouvoirs ou de biens — ce que l’on appelle « l’élite », qui souvent s’appuie sur la caste des guerriers. Or, si une quelconque inégalité socio-économique a existé au paléolithique, les preuves font défaut. Tout indique qu’il s’agissait de sociétés égalitaires et peu hiérarchisées. Ce n’est qu’au cours de la mutation socio-économique du néolithique qu’émergent en Europe les figures du chef et du guerrier, avec un traitement différencié des individus dans les sépultures et dans l’art. L’utilisation de l’arc se généralise ; pour certains préhistoriens, cette arme utilisée pour la chasse aurait joué un rôle dans l’augmentation des conflits, comme semblent l’attester les peintures rupestres du Levant espagnol.

Le développement de l’agriculture et de l’élevage est probablement à l’origine de la division sociale du travail et de l’apparition d’une élite, avec ses intérêts et ses rivalités. En outre, l’exploitation de champs de plus en plus vastes nécessitant un grand nombre de bras, il devient indispensable de trouver de la main-d’œuvre. On constate au cours du néolithique moyen l’apparition simultanée de la caste des guerriers et de celle des esclaves — pour la plupart, probablement, des prisonniers de guerre.

Dernier élément pacificateur au paléolithique : l’absence de sacrifices humains à une divinité. Pour certains archéologues, le culte de la déesse-mère, ou grande déesse, pratiqué au néolithique, aurait succédé à celui d’une déesse primordiale représentée par les « vénus », ces statuettes aux caractères sexuels souvent accentués découvertes sur des sites européens du paléolithique supérieur. Là encore, aucune preuve archéologique n’atteste la pratique de sacrifices d’êtres humains, ni d’ailleurs d’animaux sauvages, à une quelconque divinité. Ceux-ci semblent apparaître durant le néolithique moyen (entre 5 300 et 4 500 av. J.-C.) et être en lien avec des rites funéraires, propitiatoires ou de fondation (à Hârsova en Roumanie, à La Fare-les-Oliviers en France). En outre, plusieurs sites européens datant de cette période témoignent de sacrifices d’esclaves lors de la mort d’une personnalité (Moulins-sur-Céphons, Le Gournier et Didenheim en France). A la fin du néolithique, le culte de la déesse-mère cède progressivement la place à celui de divinités masculines, souvent représentées armées d’un poignard.

Ainsi, la « sauvagerie » des préhistoriques ne serait qu’un mythe forgé au cours de la seconde moitié du XIXe siècle pour renforcer le concept de « civilisation » et le discours sur les progrès accomplis depuis les origines. A la vision misérabiliste des « aubes cruelles » succède aujourd’hui — en particulier avec le développement du relativisme culturel — celle, tout aussi mythique, d’un « âge d’or ». La réalité de la vie de nos ancêtres se situe probablement quelque part entre les deux. Comme le montrent les données archéologiques, la compassion et l’entraide, ainsi que la coopération et la solidarité, plus que la compétition et l’agressivité, ont probablement été des facteurs-clés dans la réussite évolutive de notre espèce.

Marylène Patou-Mathis

Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), département préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle (Paris).

NOTES

(1) Cf. Le Sauvage et le Préhistorique, miroir de l’homme occidental, Odile Jacob, Paris, 2011.

(2) Cf. Préhistoire de la violence et de la guerre, Odile Jacob, 2013.

(3) Pierre Clastres, Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives, Editions de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 2013 (1re éd. : 1977).

(4) Philippe Descola, « Les natures sont dans la culture », dans « Anthropologie : nouveaux terrains, nouveaux objets », Sciences humaines, hors-série, n° 23, Paris, décembre 1998 — janvier 1999.

(5) Raymond Corbey, « Freud et le sauvage », dans Claude Blanckaert (sous la dir. de), « Des sciences contre l’homme, II. Au nom du bien », Autrement, no9, Paris, mars 1993.

(6) Axel Kahn, L’Homme, ce roseau pensant... Essai sur les racines de la nature humaine, NiL, Paris, 2007.

(7) Pierre Karli, Les Racines de la violence. Réflexions d’un neurobiologiste, Odile Jacob, 2002.

(8) Penny Spikins, Holly Rutherford et Andy Needham, « From hominity to humanity : Compassion from the earliest archaic to modern humans » (PDF), Time & Mind, vol. 3, no3, Oxford, novembre 2010.

(9) Ces marques de violence n’ont ainsi été observées que sur cinq des deux cent neuf individus découverts sur des sites du sud-ouest de la France. Cf. Mary Ursula Brennan, « Health and disease in the Middle and Upper Paleolithic of southwestern France : A bioarcheological study », thèse de doctorat, université de New York, 1991.

(10) Erik Trinkaus, The Shanidar Neandertals, Academic Press, New York, 1983.

(11) J. E. Anderson, « Late Paleolithic skeletal remains from Nubia », dans Fred Wendorf (sous la dir. de), The Prehistory of Nubia, Southern Methodist University Press, Dallas, 1965.

(12) Jean Guilaine et Jean Zammit, Le Sentier de la guerre. Visages de la violence préhistorique, Seuil, Paris, 2001.

B) COMPLEMENT VIDEO

Non les hommes n"ont pas toujours fait la guerre !

https://www.youtube.com/watch?v=_H1...

La violence humaine est-elle innée ou induite par le contexte ? Les recherches anthropologiques et archéologiques permettent aujourd’hui de répondre un peu mieux à cette question qui divisa les plus grands philosophes.

C) Complément écrit : Marylène Patou-Mathis déconstruit le mythe « d’une préhistoire sauvage et belliqueuse »

Dans Le Monde diplomatique de juillet 2015 (N°62), un article de Marylène Patou-Mathis intitulé "Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre" a pour but de "déconstruire le mythe d’une préhistoire sauvage et belliqueuse". C’est un article qui s’inscrit donc, selon moi, directement dans la nébuleuse d’Olivier Maurel, pour qui "la nature humaine est bonne".

On apprend dans cet article que l’image de l’homme préhistorique violent et assoifé de guerre n’est qu’une invention tardive... qui remonte au XIXè siècle. Anthropologues et préhistoriens partent du postulat que l’humanité évolue progressivement et unilinéairement pour arriver à cette construction. Au fur et à mesure du temps des fictions ont figé dans nos société une espèce d’archétype de l’homme préhistorique de base : un homme viril vêtu de peau de bête, armé, qui combat des animaux bien plus grands que lui, pour qui les conflits sont omniprésents...etc... Cela me rappelle personnellement mes livres d’histoire (préhistoire...) de l’école primaire. Comme quoi il faut du temps pour construire un mythe et aussi pour le déconstruire.

Au XXè siècle les préhistoriens annoncent que l’homme préhistorique est agressif par nature. Pourtant, dans cet article, solide d’une bibliographie francophone et anglophone abondante, l’auteure tient à démontrer que "Plusieurs études en neurosciences affirment que le comportement violent n’est pas génétiquement déterminé. Même s’il est conditionné par certaines structures cognitives, le milieu familial et le contexte socio-culturel jouent un rôle important dans sa genèse. En outre, de nombeux travaux, tant en sociologie ou en neurosciences qu’en préhistoire, mettent en evidence le fait que l’être humain serait naturellement empathique. C’est l’empathie voire l’altruisme, qui aurait été le catalyseur de l’humanité."

Marylène Patou-Mathis appuie sa démonstration sur l’exemple des handicapés physiques et mentaux qui n’étaient pas tués. C’est l’archéologie qui vient corroborer tout cela en montrant que les hommes de la préhistoire prenaient soin de leurs infirmes et blessés. Toutefois, ici l’auteure ne ferme pas les yeux et tente de trouver une explication (ou plusieurs) au fait que des squelettes portant des signes de violences ont été retrouvés. Après tout, pourquoi conclure forçément à des réglements de compte belliqueux ? Dans cet article, la question est posée : mais alors quand apparaît vraiment la violence ??? La réponse de l’auteure est simple : c’est la sédentarisation qui est à mettre en cause avec la naissance de l’économie de production ainsi que le bouleversement des structures sociales. On est donc en pleine période du néolithique, il y a 10 000 ans.

Pour résumé je vous note ici le dernier paragraphe :

Ainsi, la "sauvagerie" des préhistoriques ne serait qu’un mythe forgé au cours de la seconde moitié du XIXè siècle pour renforcer le concept de "civilisation" et le discours sur les progrès accomplis depuis les origines. A la vision misérabiliste des "aubes cruelles" succède aujourd’hui - en particulier avec le développement du relativisme culturel - celle, tout aussi mythique, d’un "âge d’or".

La réalité de la vie de nos ancêtres se situe probablement quelque part entre les deux. Comme les montrent les données archéologiques, la compassion et l’entraide, plus que la compétition et l’agressivité, ont probablement été des facteurs-clés dans la réussite évolutive de notre espèce.

On a donc ici un article à lire puisqu’il déconstruit un mythe profondément ancré, qu’il redonne espoir sur la nature humaine, tout en peignant un tableau non idéalisé non plus. Bonne lecture si vous décidez de le lire !

D) Une préhistoire paisible

Source : https://fr.sott.net/article/25507-L...

La mort violente infligée par un humain à un autre apparaît plus tard que l’humanité elle-même et reste longtemps un phénomène très limité. C’est ce qu’indiquent les traces archéologiques. Préhistorienne, directrice de recherche au CNRS, Marylène Patou-Mathis a consacré un livre au sujet en 2013, Préhistoire de la violence et de la guerre. .

« Je suis partie d’un agacement qui venait du fait d’entendre toujours la même chose - nous sommes violents, c’est la nature humaine, ça a toujours existé - , alors que ces affirmations ne se basent sur rien. En tant que scientifique, je me suis dit : interrogeons les données. »

Résultat ? Si la violence est très rare au paléolithique, elle existe dans des circonstances particulières. « Ses premières traces sont rattachées au cannibalisme. Celui-ci peut être un rite funéraire, mais aussi un rituel lié au sacrifice d’un individu, qu’on mange ensuite pour fédérer le groupe : tout le monde prend une partie de la faute, si l’on peut dire, au cours du repas cannibalique. » Le sacrifice, pourquoi, au juste ? « Pour tenter de répondre à un problème, une crise majeure telle qu’une épidémie ou une famine, on sacrifie quelque chose de très précieux : un membre du groupe. »

Voilà qui tranche avec les idées reçues, où la violence primitive serait activée par la compétition pour les ressources ou par des rivalités des appétits. « Selon un imaginaire largement partagé, la violence commencerait en agressant l’autre pour lui prendre quelque chose. Il y a plusieurs mythes de ce genre qui circulent, sans être basés sur aucune considération archéologique ou anthropologique : celui du rapt des femmes, par exemple, qui est une projection de la société du XIXe siècle. »

Pas d’angélisme, pourtant : on n’est pas dans le jardin d’Eden, on garde les pieds sur terre. « Il ne faut pas confondre violence et agressivité. Cette dernière est un réflexe, quelque chose d’animal, qui nous permet de survivre. » Mécanisme de défense, l’agressivité naturelle est liée à notre statut de prédateur.

« Les chasseurs-cueilleurs tuent des animaux pour s’en nourrir. Mais là aussi, il y a toujours des rituels - avant, pendant et après la chasse. On ne connaît pas un peuple de chasseurs qui n’ait pas de tels rituels. Il les leur faut, pour pouvoir tuer ce proche, ce presque semblable, ce quasi-frère qu’est pour eux l’animal. »

L’absence de violence ne signifie pas qu’il n’y ait pas de conflit : « Les témoignages ethnographiques récoltés auprès des peuples dits traditionnels - tels que les Bochimans, ou San, d’Afrique australe, chez qui j’ai eu la chance de vivre pendant une période - montrent qu’il y a chez eux très peu de violence. Quand on se dispute, tout le monde se réunit. Si on n’arrive pas à une solution, il y a scission : une partie s’en va avec l’un des protagonistes du conflit. »

L’archéologie permet-elle de retracer la préhistoire de l’empathie ? « Oui. On la voit quand on trouve des squelettes qui présentent des blessures handicapantes ou des malformations congénitales. Il y a de nombreux cas, par exemple un Néandertalien retrouvé à Shanidar, en Irak, qui était dépourvu d’un avant-bras et qui avait vécu plus de 40 ans : cela signifie que le groupe l’avait pris en charge, qu’on ne l’avait pas rejeté et laissé mourir. » Que sait-on des attitudes préhistoriques à l’égard des enfants ? « On n’a pas de moyens archéologiques pour savoir comment les enfants du paléolithique étaient éduqués. Mais si on regarde les peuples chasseurs-cueilleurs contemporains, on constate qu’il n’y a pas de violence éducative chez eux. La fessée, la claque, ça n’existe pas. »

Comment l’humanité paisible des débuts devient-elle brutale ? « Dès que les groupes se sédentarisent, la démographie augmente. Cela entraîne un changement économique, la domestication des plantes et des animaux. Du stockage apparaît, des biens. C’est là que, dans les peintures rupestres, on voit surgir des personnages plus grands que les autres : des élites. Je ne veux pas me la jouer Rousseau, mais les faits sont là. » Y a-t-il des peuples sédentaires sans violence ? « Des sociétés dites horticultrices de petite taille. La question du nombre est essentielle. »


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