Si la Suède avait encore quelques illusions sur sa neutralité pendant la seconde guerre mondiale, celles-ci viennent de voler en éclat. L’une des dernières figures de la résistance morale de la Suède face à l’Allemagne nazie, un ministre des finances social-démocrate, a été mise en cause par des révélations publiées dans le quotidien Dagens Nyheter, le 15 février. En avril 1941, Ernst Wigforss a secrètement donné son aval pour que la banque privée de l’empire Wallenberg alloue de gros crédits destinés aux chantiers navals allemands.
"Donner un emprunt aux Allemands signifiait subventionner leur économie, et donc leur machine de guerre", insistent Krister Wahlbäck, diplomate et historien, et Bo Hammarlund, archiviste au gouvernement. C’est en retrouvant un document oublié au fond d’un coffre du ministère des finances qu’ils ont mis au jour le double jeu de celui qui fut titulaire du portefeuille de 1936 à 1949.
Décrit comme "une icône" pour les socialistes, Ernst Wigforss est aussi, écrivent les historiens, "une sorte d’alibi pour le parti dans l’éternel débat sur les concessions faites à l’Allemagne nazie par le gouvernement durant la guerre". Ils ajoutent : "Tout le monde sait que Wigforss était l’opposant le plus virulent, par exemple quand la division allemande Engelbrecht a pu transiter (de la Norvège occupée via la Suède vers le front soviétique en Finlande) durant l’été 1941 et qu’il ne s’est pas gêné pour critiquer son chef de parti et de gouvernement Per Albin Hansson."
Dans son livre Honneur et conscience, publié en 1991, où elle dressait un premier inventaire, l’écrivain Maria-Pia Boëthius avait déjà estimé que les agissements douteux de la très neutre Suède l’avaient de facto placée dans le camp des nazis.
Depuis son entrée dans l’Union européenne en 1995, la Suède a progressivement abandonné la référence à sa neutralité dans le langage officiel pour ne conserver que celle à la "liberté d’alliance".
Le hasard du calendrier veut que cette nouvelle banderille dans la conscience suédoise soit révélée au moment où le ministre conservateur des affaires étrangères, Carl Bildt, a fait devant le Parlement, le 18 février, une déclaration de politique dans laquelle il a fait sauter ce dernier verrou. A la façon des kremlinologues qui interprétaient la politique soviétique en relevant les absents sur les photos, les experts ont noté que M. Bildt, partisan de longue date des Etats-Unis, avait supprimé dans son discours toute référence à la "liberté d’alliance". Une première qui n’a rien d’un oubli, analyse un éditorialiste du Dagens Nyheter. Fin d’une époque.
Olivier Truc
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