J’ai trouvé des bouts d’un interview d’Alain Krivine sur le site du "Comité International de la Quatrième Internationale".
Vu l’importance du sujet traité, pourquoi donc le WSWS a seulement publié des extraits. Je suis également effaré par le sectarisme terrible des commentaires du WSWS. Le NPA se fixant pour but de rassembler les anticapitalistes, je leur souhaite bon courage avec ce type de courant malhonnête sur le fond. J’écris malhonnête parce que c’est ma réaction spontanée et je maintiens malhonnête parce qu’ Alain Krivine n’a jamais eu cette cohérence pour l’essentiel.
Indépendamment de ce fond, certaines phrases d’Alain Krivine ne me surprennent pas.
Alain Krivine prend pour seule hypothèse stratégique du socialisme anticapitaliste en France, celle d’un mouvement du type 1968.
Premièrement, cette seule hypothèse stratégique me paraît bien restrictive.
Compter sur une crise type 68 pour modifier le rapport de forces entre classe ouvrière et capitalisme, entre réformistes et vrais anticapitalistes peut conduire à préserver le caractère "révolutionnaire" du parti en attendant le Grand Soir et à rater cette échéance parce qu’à trop vouloir conserver ce caractère "révolutionnaire", le parti n’a ni su, ni pu attirer à lui les forces nécessaires pour contribuer réellement à donner un débouché social et politique à la crise révolutionnaire.
Compter seulement sur une crise type 68 pour modifier le rapport de forces entre classe ouvrière et capitalisme, entre réformistes et vrais anticapitalistes, est d’autant plus dommage que les tâches imposées aux anticapitalistes en cas de grève générale, comme en cas de débordement d’un gouvernement de gauche, comme en cas de crise économique ou politique ne diffèrent guère.
La seule hypothèse d’un nouveau Mai 68 entraîne logiquement de ne pas aborder le cas de figure, à mon avis plus envisgeable, d’une victoire électorale de la gauche dans une période mondiale de remontée, même hésitante, de la combativité . Il est vrai que l’orientation et la pratique actuelle du Parti Socialiste ne laissent pas présager d’un 36, d’un 44 ou d’un 81 suite à une victoire électorale possible de la gauche dans les années proches qui viennent ; cela ne fait que renforcer la nécessité pour des anticapitalistes de travailler sur d’autres perspectives stratégiques que la seule grève générale et crise révolutionnaire.
Quand on essaie d’analyser 1936, 1945, 1981,1997, bien des bilans apparaissent comme nécessaires (nationalisations, sécurité sociale, rapport aux institutions, rapport au gouvernement, appropriation sociale...) et bien des questions se posent sur la stratégie à suivre pour les forces anticapitalistes. Une victoire du Parti Socialiste et de ses alliés électoraux en 2012 faisant partie des cas de figure possibles, n’y a-t-il pas des urgences à prendre en compte, par exemple le besoin d’une certaine unité et de clarification des anticapitalistes pour imposer leur rapport de forces dans les luttes, dans le combat idéologique et dans les élections.
En effet, après les longues luttes de 1995, 2003 et 2010, la classe ouvrière aura-t-elle le ressort suffisant pour défendre ses intérêts face à un gouvernement de gauche dont on peut parier qu’il ne changera guère de politique par rapport au quinquennat de Sarkozy. Si nous n’avons pas groupé des forces suffisantes avant 2012, dans quel état serons-nous tous si éclate une crise révolutionnaire ? Je préfère ne pas y penser car nous passerons tous à côté et pourrons conseiller à nos enfants d’attendre encore 40 ans.
Nous connaissons par coeur les faiblesses et trahisons de radicaux et sociaux-démocrates. Faut-il se faire des illusions sur la politique de gauche qu’un Strauss-Kahn, Royal, Valls ou Hollande feraient à l’Elysée ? Surtout pas, et il sera plus difficile de mobiliser en soutien aux luttes et dans la rue.
Si la gauche remporte les élections de 2012, je ne crois donc ni à un progrès venu du pouvoir, ni à un progrès venu du mouvement social. Dans ces conditions essayons au moins de construire le meilleur rapport de force politique possible de la part des forces antilibérales et anticapitalistes. Cette question est peut-être trop concrète lorsque l’on rêve à un nouveau Mai 1968.
Deuxièmement, ayant vécu comme lui cette expérience de 1968, je suis surpris qu’il évacue plusieurs questions concrètes auxquelles nous avons été confrontés.
Mai 1968 en Aveyron, une expérience de double pouvoir (article et vidéo de 33 mn)
Lycéens en mai 1968, en Aveyron et ailleurs
Mai 68 vécu en Aveyron… ouvriers, lycéens, employés, paysans, enseignants... séisme politique
Première surprise : Alain Krivine avance en ce cas-là la perspective politique d’un gouvernement PS, PCF, NPA. Diantre, il fait revenir par la porte la question du rapport au PS préalablement évacué. Je suis surpris de l’attitude fréquemment gauchiste du NPA, ville par ville, en ce qui concerne l’analyse du Parti Socialiste alors que la grande idée pour la seule perspective stratégique repose sur un gouvernement avec lui en pleine crise sociale. Je comprends qu’il considère la présence dans un gouvernement plus facile pour des révolutionnaires en s’appuyant sur une grève générale. Cependant :
Mai 68 fut bien court pour crédibiliser une formule de gouvernement type PS PCF NPA
les périodes révolutionnaires passées nous ont légué l’expérience de temporalités bien plus diverses que le cas de Mai 68.
Deuxième surprise : Krivine n’aborde pas une question centrale à laquelle nous avons été confrontés en 68 : si le pouvoir en place prend l’initiative d’élections, dans l’état actuel ou amélioré du rapport de force des anticapitalistes :
* Est-il juste de boycotter au nom de la seule légitimité des comités d’autoorganisation ? Ma réponse est non.
* Le boycott de 1968 avait été justifié par une analyse que j’avais considérée gauchiste du suffrage universel seulement présenté comme une "farce électorale". Qu’en est-il aujourd’hui ?
Troisième surprise : Alain Krivine présente l’auto-organisation du mouvement social et sa centralisation comme indépendants du combat sur le champ politique traditionnel. Sur la base de ma petite expérience aveyronnaise, une auto-organisation de masse est complémentaire de l’existence d’une "coalition impliquant largement d’une part les syndicats, d’autre part les forces politiques de gauche et d’extrême gauche" porteuses d’un programme et d’un projet publics même embryonnaires.
Quatrième surprise : Il met en avant les structures d’auto-organisation de la classe ouvrière, y compris pour le pouvoir d’état. "J’espère d’abord par exemple une association nationale des grévistes, un mouvement de grève dans lequel des partis politiques comme nous joueraient un rôle. » Cela ne me paraît envisageable que si le mouvement révolutionnaire présente un caractère prolongé, permettant d’asseoir la légitimité de coordinations locales, départementales et nationales. De plus, je ne crois pas en une auto-organisation " pure" indépendamment en particulier des syndicats dont il ne parle pas.
Je n’aborde pas ici les attaques du WSWS contre Krivine. Par contre, j’ai préféré ne pas tronquer le texte de cette partie finale qui donne une idée du sectarisme outrancier régnant dans une partie de l’extrême gauche. Si le NPA veut réunir un jour, ce type de noyaux "révolutionnaires", il y sera encore dans trente ans.
Jacques Serieys
Je ne veux pas terminer sur une note négative vis à vis d’Alain Krivine que je considère et du NPA dont l’évolution sera probablement décisive pour l’avenir de la gauche anticapitaliste française.
Sur le fond, par rapport à des déclarations plus anciennes d’Alain Krivine sur les questions d’orientation stratégique vis à vis du pouvoir, la prise de position ci-dessous me paraît laisser place à un approfondissement de la réflexion entre PG, PCF, NPA et d’autres forces.
Dans la retranscription ci-dessous, j’ai laissé les commentaires ultra gauche de ce groupe qui critique le NPA comme électoraliste et fondé sur la perspective d’une "participation à des gouvernements de coalition bourgeois".
... Alain Krivine a tracé les grandes lignes d’une perspective consistant à ne pas appeler à une lutte révolutionnaire, mais au cas où une telle situation se produirait, à l’utiliser pour former un gouvernement de coalition avec les partis bien établis de la gauche bourgeoise française, c’est à dire avec le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PC). Il a dit que le NPA oeuvrerait de façon à ce que « si demain il y a une grève générale, ça dépend pas de nous, comme en 68 ça se termine mieux, c’est-à-dire que cela pose vraiment le problème du pouvoir, quel type de société on construit, y compris comment, on peut changer de pouvoir. »
Interrogé sur la manière dont le NPA essaierait d’agir différemment par rapport à 1968, Krivine a dit, « [En 1968] il aurait fallu que les gens apprennent à élire des collectifs de grève, élire des délégués et les faire monter sur Paris, c’est a dire construire un pouvoir peut-être pas légal, mais légitime, un contre-pouvoir légitime qui aurait pu être candidat au pouvoir. »
« Il y a eu des manifestations fin 68 où des centaines de milliers de gens appelaient le pouvoir aux travailleurs, ça ne voulait rien dire, à qui, pour quoi, donner à qui le pouvoir, et les partis politiques à l’époque n’en voulaient pas, c’était le PC. Le PS était absent. Nous on était tout petits, étudiants, donc il n’y avait personne qui était candidat au pouvoir."
Quand on lui a demandé si le NPA aujourd’hui essaierait de prendre le pouvoir, Krivine a répondu : « Pas forcément, non, mais je dirais que j’espère d’abord par exemple une association nationale des grévistes, un mouvement de grève dans lequel des partis politiques comme nous joueraient un rôle. »
L’orientation principale du NPA se tourne vers la construction d’une nouvelle coalition de « gauche. » Quand les reporters du WSWS lui ont demandé avec quels autres partis le NPA pourrait construire une telle coalition, Krivine a répondu : « J’en sais rien, je sais pas dans quel état sera le Parti communiste. A cette époque, il est en pleine crise ; il y aura peut-être des scissions plus importantes que Mélenchon [qui vient de fonder le Parti de Gauche et qui appelle à une alliance électorale avec le NPA] dans le Parti socialiste. Il y a d’autres groupes de l’extrême-gauche qui ne sont pas au NPA : Lutte ouvrière, les Alternatifs, ils ne sont pas très nombreux, mais il y a des petits mouvements qui ne viennent pas au NPA, bon pour leurs raisons, mais qui ne sont pas négligeables non plus. »
Le but de Krivine, dans une situation de regain révolutionnaire de la classe ouvrière contre le capitalisme français, est donc de travailler avec les partis de gauche de l’establishment pour partager le pouvoir d’Etat.
Une telle perspective est totalement incompatible avec le trotskysme, c’est-à-dire le marxisme révolutionnaire. Des alliances comprenant le PS et le PC, deux défenseurs chevronnés du capitalisme français, ont présidé à la reprise du travail et à la trahison de deux situations révolutionnaires extrêmement prometteuses : la grève générale de 1936 sous le gouvernement de Front populaire comprenant le Parti socialiste et le Parti radical bourgeois et la grève générale de 1968 qui avait été lancée contre le gouvernement du général Charles de Gaulle.
Dans ses écrits après la trahison de la grève générale de 1936, Trotsky insista sur le fait que les luttes révolutionnaires ne pouvaient réussir en France que sur la base d’une rupture politique et organisationnelle d’avec ces partis : « Ce qui peut sauver la situation c’est la création d’une véritable avant-garde révolutionnaire de plusieurs milliers d’hommes, ayant une compréhension claire de la situation, complètement émancipée de l’influence de l’opinion publique bourgeoise et petite-bourgeoise (socialiste, communiste, anarcho-syndicaliste, etc.) et prête à aller jusqu’au bout. Une telle avant-garde saura comment se frayer un chemin vers les masses. »
S’il y a quelque chose de positif à tirer de ce congrès du NPA, c’est précisément qu’il clarifie la position adoptée par Krivine, la LCR et le NPA sur l’héritage politique de Trotsky. L’opinion de Krivine sur l’héritage de Trotsky et l’histoire de la Quatrième Internationale est liée à une orientation politique bien définie : le rejet manifeste du socialisme et la formation d’un « parti anticapitaliste » fourre-tout de la gauche petite-bourgeoise, qui pose les fondations d’une participation à des gouvernements de coalition bourgeois.
***** Fin de l’interview donné par Alain Krivine et des commentaires de WSWS
Cet interview et les commentaires sur celui-ci émanent du WSWS, un site géré essentiellement par des animateurs étatsuniens du Parti de l’égalité socialiste. Il s’agit d’une organisation dirigée par David North, ancien trotskiste, qui, à mon avis, a compris de façon gauchiste et doctrinaire l’héritage théorique de Trotsky.
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