Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon ont fait le choix de la lucidité et du courage. Leur décision est de nature à écrire une nouvelle page de l’histoire de la gauche (par le courant UNIR de la LCR)

samedi 15 novembre 2008.
 

Le vote des militantes et militants socialistes était annoncé sans surprise. Il aura provoqué une rupture… à gauche. Celle de Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon… Il est vrai que, pour quiconque entend demeurer fidèle aux valeurs transformatrices dont s’est longtemps prévalu le PS - même s’il les a systématiquement mis en charpie dans sa pratique du pouvoir -, ce 6 novembre aura signé une dérive irréversible.

Huit adhérents sur dix, en portant leurs suffrages sur les motions issues du centre de gravité de la machine socialiste, ont en effet confirmé l’orientation responsable du désastre que connaît présentement la gauche française. Par-delà des différences incontestables, Ségolène Royal, Bertrand Delanoë et Martine Aubry ont en commun de refuser toute rupture avec les logiques financières et marchandes qui ont mené à la crise actuelle du système capitaliste. Ils se retrouvent, les uns et les autres, dans l’abdication dont la direction du PS a fait preuve face à la volonté sarkozyenne de détruire un siècle et plus de conquêtes sociales et démocratiques dans ce pays, abdication qu’auront signé les abstentions répétées des parlementaires socialistes sur des dispositions gouvernementales de premier plan (de l’intervention française en Afghanistan au récent plan de sauvetage des banques menacées de faillite, aux frais de la collectivité et sans la moindre mesure de protection des salariés victimes des plans de licenciements, sans parler de ce Revenu de solidarité active qui généralisera la précarité de l’emploi). Dans la foulée du « oui » au traité constitutionnel européen, qui fut le choix majoritaire du parti, ils approuvent à l’unisson le traité de Lisbonne et se sont montrés parfaitement solidaires d’un François Hollande qui exigeait récemment, du président de la République, le respect des critères du Pacte de stabilité.

L’avance prise, dans ce contexte, par Ségolène Royal n’est que l’ultime démonstration de la mutation de cette famille politique en force libérale-démocrate, se ralliant avec retard à l’évolution de l’ensemble de la social-démocratie européenne. Elle atteste de la déréliction politique et de la désintégration idéologique qu’avait amorcées la campagne de l’élection présidentielle. Peut-être, à Reims, la semaine prochaine, ses concurrents distancés se retrouveront-ils dans un « tous sauf Ségolène » destiné à l’empêcher de prendre le contrôle de l’appareil. Mais qu’est-ce qui les distingue vraiment de la présidente de la région Poitou-Charente ? L’alliance avec le Modem ? Martine Aubry l’a elle-même réalisée, lors du scrutin municipal, alors qu’elle n’en avait nul besoin pour conserver son beffroi de Lille. La soumission au libéralisme ? Bertrand Delanoë s’est lui-même illustré par son pitoyable plaidoyer en faveur de la conversion du socialisme français à ce qui est devenu la référence intellectuelle des classes dirigeantes. Les axes de la politique à mettre en œuvre demain pour défaire ce que le pouvoir actuel a entrepris et répondre aux attentes populaires ? Royal ne prononce pas une seule fois le mot « salaire » dans sa motion, tandis que Delanoë se borne à évoquer vaguement la nécessité d’une négociation salariale, et qu’Aubry se dérobe à toute exigence chiffrée d’augmentation du Smic ; tous acceptent, au demeurant, les préceptes du Medef en matière de retraites…

Alors ? Les socialistes de gauche, qui s’étaient regroupés derrière la motion Hamon, se retrouvent devant un choix fondamental. Ils peuvent, bien sûr, entrer dans le grand Mercato qui va décider des équilibres futurs rue de Solferino. Ils ne feraient alors que perdre tout le crédit acquis au fil de leur bataille pour le congrès. Il leur faut au contraire constater que leur parti n’est plus l’instrument à même de faire avancer leurs principales propositions : par exemple, l’augmentation des salaires et leur indexation sur la productivité du travail ; le maintien du droit à une retraite à taux plein à 60 ans ; la redistribution des richesses et la taxation du capital pour financer la réponse aux besoins vitaux de la population ; le refus de l’Europe de la « concurrence libre et non faussée »…

Parlons sans ambages : Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon ont fait le choix de la lucidité et du courage. Leur décision est de nature à écrire une nouvelle page de l’histoire de la gauche.

Dans leur communiqué commun de ce 7 novembre, ils écrivent : « Nous prenons nos responsabilités. Dans la crise du capitalisme, notre pays a besoin d’une autre voix à gauche. Nous voulons lui être utiles. Nous voulons reprendre l’initiative, formuler une alternative, faire reculer et battre Sarkozy. Par fidélité à nos engagements, nous prenons donc notre indépendance d’action. Nous quittons le Parti socialiste. Nous allons porter publiquement notre conception du combat républicain et socialiste, sans concession face à la droite, au capitalisme et leur irresponsabilité destructrice contre la société humaine et l’écosystème. Nous allons la proposer au suffrage universel. Ainsi que nous l’a montré en Allemagne Oskar Lafontaine avec Die Linke, nous décidons d’engager avec tous ceux qui partagent ces orientations la construction d’un nouveau parti de gauche et nous appelons à la constitution d’un front de forces de gauche pour les élections européennes. » Tels sont effectivement les enjeux décisifs du moment. Un moment nullement anodin, puisqu’il voit éclater une crise exceptionnelle du système, une crise porteuse de tous les dangers, une crise face à laquelle des millions d’hommes et de femmes se révèlent en attente d’un projet de nature à leur redonner espoir.

Parce que leur rupture intervient au sein de la formation qui dominait jusqu’alors la gauche, en clair qu’elle se produit au cœur de cette dernière, Dolez et Mélenchon ouvrent ainsi la voie à une possible redistribution des cartes sur le champ politique. Comme nous le faisons, pour notre part, depuis bien des années – avec d’autres, d’ailleurs, au Parti communiste, dans la mouvance alternative, chez les républicains sociaux, ou encore chez les écologistes – ils en viennent à poser la question d’un parti nouveau à gauche, qui rassemblerait l’ensemble des énergies antilibérales et anticapitalistes, et s’inscrirait dans un espace comparable à ceux qu’occupent Die Linke en Allemagne, la coalition Synaspismos-Syriza en Grèce ou le Bloc de gauche au Portugal. Mieux, ils désignent à leur tour les élections européennes de juin prochain comme l’occasion de faire exister une vraie gauche, porteuse de la proposition audacieuse d’une autre construction européenne, au service des peuples et des travailleurs.

Du côté des forces de transformation, il serait d’une tragique irresponsabilité de laisser passer cette occasion de bousculer les routines et les engluements, de révolutionner la physionomie de la gauche pour les prochaines années, d’y changer les rapports de force, d’y battre les tenants du social-libéralisme. La direction majoritaire de la LCR, mais aussi le futur NPA (qui réunit, ces 8 et 9 novembre, ses comités d’initiative pour débattre des orientations de son congrès fondateur) sont en premier lieu interpellés. Ils se doivent de saisir la balle au bond, d’amorcer sans tarder le dialogue avec ces socialistes qui osent le pari de l’avenir, de nouer avec eux un partenariat susceptible d’affirmer une réponse de gauche crédible à la crise capitaliste, de créer en compagnie de tous ceux qui s’y montreront prêts les conditions d’une grande coalition pour les élections européennes. Rien n’est, évidemment, jamais écrit à l’avance. Mais il n’est plus possible aujourd’hui de se réfugier derrière l’argument selon lequel il n’existerait pas de partenaires nationaux pour reconstruire dans ce pays une gauche à la hauteur des défis du moment.

Nous avons, pour ce qui nous concerne, notre feuille de route : ouvrir grand la porte qui vient de s’entrebâiller !


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