29 avril 1429 : Jeanne d’Arc entre triomphalement dans Orléans

lundi 30 avril 2012.
 

Nous présentons ce petit article à nos lecteurs, non pour célébrer une victoire quelconque mais pour :

- éclairer une première étape dans la constitution d’un sentiment national français

- apporter des faits sur ce personnage mystérieux que représente Jeanne d’Arc

Lorsque commence le printemps 1429, le royaume de France tombe en lambeaux.

1) L’armée anglaise (récit de Jules Michelet, historien)

Les Anglais, bien instruits de cette désorganisation, crurent que le moment était arrivé de forcer enfin la barrière de la Loire, et ils rassemblèrent autour d’Orléans ce qu’ils avaient de troupes disponibles et toutes celles qu’ils purent faire venir. Cela ne faisait guère au total que dix ou onze mille hommes.

L’armée anglaise semblait peu nombreuse pour envelopper Orléans et barrer la Loire. Mais du moins c’étaient les meilleurs soldats que les Anglais eussent en France, et ils suppléaient à leur petit nombre par des travaux prodigieux. Ils formèrent autour de la ville, non une enceinte continue comme Édouard III autour de Calais, mais une série de forts ou bastilles qui devaient surveiller les intervalles qu’on laissait entre elles. Le plan qu’un savant ingénieur a tracé de ces travaux d’après les rapports du temps est véritablement formidable.

Chaque bastille était commandée par un des premiers lords d’Angleterre, du côté de la Beauce par le lord commandant du siège, Salisbury, par les Suffolk, par le brave des braves, le vieux lord Talbot. La forte et triple bastille du sud, au-delà de la Loire, au poste le plus dangereux, était commandée par un homme moins connu, mais déterminé, ennemi furieux de la France, William Glasdale, qui avait juré que, s’il entrait dans la ville, il tuerait tout, hommes, femmes et enfants. Le nom même de ces bastilles anglaises indiquait assez la ferme résolution de ne pas quitter le siège, quoi qu’il arrivât. L’une s’appelait Paris, l’autre Rouen, l’autre Londres. Quelle honte eût-ce été aux Anglais de rendre Londres ?

Ces bastilles n’étaient pas des forteresses muettes, mais comme des ennemis vivants, qui, parmi les injures et les bravades, vomissaient dans la place des boulets de pierre, du poids de cent vingt, de cent soixante livres.

D’autres bastilles plus éloignées, c’étaient les places du voisinage : Montargis, Rochefort, Le Puiset, Beaugency, Meung, dont les assiégeants s’étaient préalablement assurés et qui étaient devenues des places anglaises.

Orléans méritait ces grands efforts. Ce n’était pas seulement le centre de la France, le coude de la Loire, la clef du Midi ; ces avantages sont ceux de la situation ; mais, quant à la population même, c’était la vie même et le coeur d’un parti. A l’époque où les brigandages des Armagnacs firent passer toutes les villes dans le parti bourguignon, Orléans resta fidèle. Lorsque la réaction eut lieu à Paris contre ce parti, c’est à Orléans que les princes envoyèrent les femmes et les enfants des fugitifs, qu’ils voulaient garder en otage.

Les Anglais complétaient lentement leurs fortifications, et l’on pouvait prévoir que la ville finirait par être à peu près fermée. Quelque insouciant que le roi parût de sauver l’apanage du duc d’Orléans, il était clair qu’Orléans une fois tombé, les Anglais avanceraient librement en Poitou, en Berri, en Bourbonnais, qu’ils vivraient aux dépens de ces provinces, qu’après avoir ruiné le Nord ils ruineraient le Midi.

2) Les atouts en faveur d’Orléans

2a) La ville d’Orléans

Les bourgeois montrèrent un zèle extraordinaire. Ils consentirent sans difficulté à laisser brûler leurs faubourgs, c’est-à-dire toute une ville plus grande que la ville, je ne sais combien de couvents, d’églises, qui auraient été autant de postes pour les Anglais. Ils laissèrent faire et ils firent eux-mêmes.

Ils se taxèrent, ils fondirent des canons. Leurs franchises les dispensaient de recevoir garnison ils en demandèrent une, ils reçurent tout ce qu’on leur envoya, quatre ou cinq mille soudards de toute nation, des Gascons, Xaintrailles, La Hire, Albret, des Italiens, le signore Valperga, des Aragonais, don Mathias et don Coaraze, des Écossais, un Stuart, enfin le bâtard d’Orléans, et soixante bouches à feu.

2b) L’isolement progressif des Anglais en France

En France, Bedford ne pouvait tirer d’argent d’un pays si complètement ruiné ; pour attirer ou retenir les grands seigneurs anglais et leurs hommes, il fallait leur faire sans cesse de nouveaux dons de terres, de fiefs, c’est-à-dire mécontenter de plus en plus la noblesse française. Le chroniqueur parisien remarque qu’alors il n’y avait presque plus de gentilshommes français dans le parti anglais ; tous peu à peu avaient passé de l’autre côté.

2c) Les renforts et le ravitaillement

Le duc de Bourbon envoya son fils aîné, le comte de Clermont  ; des Écossais, des seigneurs de Touraine, de Poitou, d’Auvergne, devaient, sous ce jeune prince, secourir Orléans, y introduire des vivres, et même empêcher qu’il n’arrivât des vivres au camp anglais.

3) La bataille des harengs

Le duc de Bedford envoyait aussi de Paris des renforts et du ravitaillement sous la conduite du brave sir Falstoff ; il avait profité de la vieille haine cabochienne (populaire) de Paris contre Orléans pour joindre à ses Anglais bon nombre d’arbalétriers parisiens et le prévôt même de Paris. Ils amenaient trois cents charrettes de munitions, de vivres, de harengs surtout, provision indispensable du carême. Troupes, charrettes, tout le convoi venait à la file ; rien n’était plus facile que de les couper et de les détruire ; le Gascon La Hire, qui était en avant des Français, brûlait de tomber sur eux ; mais il reçut défense expresse du prince qui s’avançait lentement avec le gros de la troupe.

Cependant les Anglais avaient pris l’alarme ; Falstoff s’était concentré au milieu de ses charrettes et d’une enceinte de pieux aigus que ces prévoyants Anglais portaient toujours avec eux. A droite les archers anglais, à gauche les arbalétriers parisiens. Quoi que pût dire le comte de Clermont, la haine emporta ses gens ; les Écossais se jetèrent à bas de cheval pour combattre de plain-pied les Anglais ; les Gascons armagnacs sautèrent sur leurs vieux ennemis, les Parisiens. Mais ceux-ci tinrent ferme. Écossais et Gascons ayant ainsi rompu leurs rangs, les Anglais sortirent de l’enceinte, les poursuivirent et en tuèrent trois ou quatre cents. Le comte de Clermont resta immobile. La Hire était si furieux qu’il revint sur les Anglais dispersés à la poursuite et en tua quelques-uns.

Il fallut rentrer dans Orléans après ce triste combat. Les Orléanais, toujours satiriques, l’appelèrent la bataille des harengs ; en effet, les boulets avaient crevé les barils, et la plaine était jonchée de harengs plus que de morts. Quelque léger que fût l’échec, il découragea tout le monde. Les plus avisés s’empressèrent de quitter une ville qui semblait perdue.

4) Le siège d’Orléans paraît sur le point de réussir

Le jeune comte de Clermont eut la faiblesse de partir avec ses deux mille hommes ; l’amiral de France, le chancelier de France pensèrent que ce serait dommage si les grands officiers du roi étaient pris par les Anglais, et ils s’en allèrent aussi.

Les hommes d’armes n’espérant plus de secours humain, les prêtres ne comptèrent pas beaucoup sur le secours divin : l’archevêque de Reims partit ; l’évêque même d’Orléans laissa ses brebis se défendre comme elles pourraient. Ils s’en allèrent tous le 18 février, assurant aux bourgeois qu’ils reviendraient bientôt en force. Rien ne put les retenir. Le bâtard d’Orléans, qui défendait avec autant d’adresse que de vaillance l’apanage de sa maison, leur disait en vain, depuis le 12, qu’on devait attendre un secours miraculeux ; qu’il allait venir des Marches de Lorraine une fille de Dieu qui promettait de sauver la ville. L’archevêque, qui était un ancien secrétaire du pape, un vieux diplomate, ne s’arrêta pas beaucoup à ces histoires de miracle.

Les Anglais avaient achevé leurs travaux autour de la ville. Le 15 avril, ils avaient fini leur dernière bastille du côté de la Beauce, celle qu’ils nommaient Paris ; le 20, ils terminèrent, du côté de la Sologne, celle de Saint-Jean-le-Blanc, qui fermait la haute Loire, d’où les Orléanais tiraient jusque-là leurs approvisionnements. Les vivres entrant avec peine, le mécontentement commença  ; beaucoup de gens trouvaient sans doute que la ville avait fait bien assez de sacrifices pour se conserver à son seigneur ; il valait mieux qu’Orléans devînt anglais que de ne plus être. Les choses n’en restèrent pas là. On trouva qu’il avait été fait un trou dans le mur de la ville ; la trahison était évidente.

5) L’incapacité du dauphin et de la cour à aider Orléans

Dunois ne pouvait rien attendre de Charles VII. Les États assemblés en 1428, avaient voté de l’argent, sommé les tenants-fiefs de leur service féodal. Il n’était venu ni hommes ni argent. Le receveur général n’avait pas quatre écus en caisse. Quand Dunois envoya La Hire pour demander du secours, le roi, qui le fit dîner avec lui, n’eut, dit-on, à lui donner qu’un poulet et une queue de mouton. Quoi qu’il en soit de cette historiette, la situation désespérée de Charles VII est prouvée par l’offre exorbitante qu’il avait faite aux Écossais, de leur céder le Berri pour prix d’un nouveau secours.

Nous ne connaissons pas bien les intrigues qui divisaient cette petite cour. Dans cette extrême détresse, les divisions y avaient naturellement augmenté. Les vieux conseillers armagnacs, éloignés quelque temps par Richemont et par la belle-mère du roi, devaient reprendre crédit. Ce parti méridional aurait consenti volontiers à avoir un roi du Midi, siégeant à Grenoble. Au contraire, la belle-mère du roi, duchesse d’Anjou, ne pouvait conserver l’Anjou si les Anglais passaient définitivement la Loire. Elle était unie en cela avec la maison d’Orléans. Mais la maison d’Anjou avait tant d’autres intérêts, si variés, si divers, qu’elle croyait devoir ménager toujours les Anglais, négocier toujours. Lorsque la défense d’Orléans parut désespérée (mai 1429), le vieux cardinal de Bar se hâta de traiter avec Bedford, au nom de son neveu René d’Anjou, de peur qu’il ne manquât la succession de Lorraine, sauf à se laisser désavouer par René, si les affaires de Charles VII prenaient une autre face.

6) Les débuts d’un sentiment national français dans la bourgeoisie et les milieux populaires

La ruine imminente d’Orléans avait effrayé les villes voisines de la Loire. Les plus proches, Angers, Tours et Bourges, envoyèrent des vivres ; Poitiers et La Rochelle de l’argent ; puis, l’effroi gagnant, le Bourbonnais, l’Auvergne, le Languedoc même, firent passer aux Orléanais du salpêtre, du soufre et de l’acier.

Peu à peu la France entière s’intéressait au sort d’une ville. On était touché de cette brave résistance des Orléanais, de leur fidélité à leur seigneur...

Chose touchante et qui honore la nature humaine, au milieu des plus terribles misères, parmi la désolation et la famine, lorsque les loups prenaient possession des campagnes, lorsque, au dire d’un contemporain, il n’y avait plus une maison debout, hors les villes, depuis la Picardie jusqu’en Allemagne, ce peuple était encore sensible aux maux des autres... Les femmes surtout éprouvaient ces sentiments de pitié. Moins dominées par l’intérêt, elles sont plus fidèles au malheur. En général, elles ne furent pas assez politiques pour se résigner au joug étranger ; elles restèrent bonnes Françaises. Duguesclin savait qu’il n’y avait rien de plus français en France que les femmes, lorsqu’il disait : « Il n’y a pas une fileuse qui ne file une quenouille pour ma rançon. »

L’un des premiers exemples de résistance avait été donné par une jeune femme, la dame de La Rocheguyon ; elle défendit longtemps cette forteresse qui lui appartenait, et forcée de la rendre, refusa d’en faire hommage aux Anglais. Ceux-ci osèrent lui proposer d’épouser un traître, Gui Bouteillier, qui avait trahi Rouen ; ils voulaient mettre un homme à eux dans cette place importante de La Rocheguyon. Il eut la place, mais non la dame ; elle aima mieux laisser tout, et s’en aller pauvre avec ses enfants.

Les femmes étaient restées Françaises ; les prêtres redevinrent Français. Ils avaient fini par apercevoir que les Anglais, avec tous leurs beaux semblants d’égards pour l’Église, en étaient les vrais ennemis. Après avoir essayé d’imposer l’Église d’Angleterre, Bedford fit à celle de France l’exorbitante demande de céder au roi pour les besoins de la guerre tous les biens et rentes qui avaient été donnés à l’Église depuis quarante ans. Ces deux propositions portèrent malheur aux Anglais. Ils succédèrent à la réputation d’impiété qu’avaient eue les Armagnacs. Le pillage de quelques églises attira sur eux l’exécration du peuple...

Par un contraste bizarre, c’est justement à l’avènement d’Henri V que la Chambre des communes commence à rédiger ses actes en anglais. Lorsque ces prétendus Français nous faisaient la grâce de se servir de notre langue, ils la défiguraient et la maltraitaient tellement qu’ils semblaient ennemis de la langue autant que de la nation.

Avec tout cela, les Anglais avaient une chose pour eux, c’est que leur jeune roi, Henri VI, était certainement Français par sa mère et petit-fils de Charles VI ; il ne ressemblait que trop à son grand-père pour la faiblesse d’esprit. Au contraire, la légitimité de Charles VII était bien douteuse ; il était né en 1403, au plus fort des liaisons de sa mère avec le duc d’Orléans ; elle-même avait accédé aux actes dans lesquels il était appelé le soi-disant dauphin. Henri VI n’avait pas encore été sacré à Reims, mais Charles VII ne l’était pas non plus. Le peuple de ce temps ne reconnaissait un roi qu’à deux choses : la naissance royale et le sacre ; Charles VII n’était pas roi selon la religion, et il n’était pas sûr qu’il le fût selon la nature. Cette question, indifférente pour les politiques qui se décident suivant leurs intérêts, était tout pour le peuple : le peuple ne veut obéir qu’au droit. Une femme avait obscurci cette grande question de droit ; une femme sut l’éclaircir.

7) Jeanne d’Arc arrive devant Orléans

Jeanne d’Arc n’est récupérable ni par Nicolas Sarkozy, ni par Marine Le Pen. Jeanne d’Arc, jeune, femme, passionnée et rebelle


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