L’année 1936 restera dans la mémoire collective de la gauche en France : elle y représente une mobilisation exemplaire qui permit aux salariés de conquérir de nouveaux droits et une expérience dont la gauche pu tirer et peut encore tirer des leçons pour les luttes sociales et politiques d’aujourd’hui. Elle fait partie du patrimoine identitaire de la gauche. Elle fut le moteur de l’engagement d’une génération militante.
Des conquêtes de 1936 on se souvient surtout des congés payés et de la semaine de 40 heures, qui étaient absentes du programme, très léger, du Front populaire. Ces conquêtes furent celles de la grève générale qui se déclencha avant l’installation du gouvernement Blum. Cette irruption de la grève générale résulta de l’inquiétude que créait le retard pris à installer le nouveau gouvernement : devant la lenteur du processus institutionnel, les salariés ont pris les devants pour assurer la satisfaction de revendications dont la prise en compte n’avait pas été prévue par les responsables du Front populaire.
Les salariés avaient bien perçu que la victoire du Front populaire était celle d’un nouveau rapport de forces entre eux-mêmes et le patronat. Mais ils n’étaient pas du tout convaincus que les dirigeants répondraient à leurs aspirations s’ils ne leur forçaient pas la main. La victoire électorale était leur victoire, mais certains dirigeants élus et certains partis portés au pouvoir, n’étaient pas leurs dirigeants et leurs partis. Les salariés se sont lancés, en mai 36, dans une grève générale parce qu’ils avaient un doute sur la volonté ou la capacité du Front populaire.
On a souvent fait la comparaison entre Mai 36 et Mai 81. Certains s’attendant à ce que le scenario de 36 se reproduise en 81. Ça n’a pas été le cas et pour cause. Le Parti socialiste de 1981 était perçu par la majorité des salariés comme leur parti : il bénéficiait de leur confiance. C’était bien aussi le cas de la SFIO et du Parti communiste en 36. Ce n’était pas du tout le cas du Parti radical qui leur était associé dans ce Front populaire.
Le Front populaire n’était pas une Union de la gauche. Il était une alliance entre les deux partis de la gauche et le principal parti de la droite modérée. La gauche se soumettait au programme de cette droite modérée, son programme était donc aligné sur celui du Parti radical. Le peuple de gauche était fondé à ne pas lui faire pleinement confiance : ce sera la même chambre des députés qui votera les pleins pouvoirs à Pétain en 1940.
Il faudra attendre 1972 pour que la gauche s’unisse, indépendamment de la droite, autour d’un vrai programme commun de gouvernement. Il sera malheureusement déchiré en 1977 par le Parti communiste car, pour Moscou, il n’était pas question de déstabiliser l’équilibre mondial issu du partage du monde réalisé à Yalta. Le Parti socialiste devra aller, seul, à la victoire en 1981.
La victoire de François Mitterrand ne fut pas celle de l’Union de la gauche. De 1977 à 1995, la direction du Parti communiste fut engagée dans une violente division de la gauche, avec une petite accalmie entre 1981 et 1984. Le mur de haine que le stalinisme tenta d’édifier entre le PCF et le PS affaiblit la capacité de mobilisation des salariés, facilita le tournant de 1983 vers la politique d’austérité et fut une composante essentielle de la crise de la gauche.
La division de la gauche, comme sa soumission à la droite, organise ses défaites. La victoire durable demande au contraire l’unité et l’indépendance à l’égard de la droite : l’unité de la gauche autour d’un programme de gauche. Toute la gauche et rien que la gauche autour d’un programme suffisamment audacieux pour mobiliser massivement les travailleurs et leur redonner confiance en la gauche.
Toute concession programmatique au libéralisme rendrait la victoire plus difficile sinon impossible. Surtout après la victoire du « non » du 29 Mai et la victoire contre le « contrat première embauche » (CPE), les exigences des électeurs sont croissantes : un programme de gauche, pas un programme qui cherche l’assentiment de la droite modérée en s’inspirant du néolibéralisme. Un programme discuté publiquement pour qu’aucune composante de la gauche ne puisse s’y soustraire : un programme antilibéral mais pas un programme de la seule « gauche antilibérale », qui autoriserait les « grands » candidats à s’émanciper de tout programme et à dépolitiser la campagne électorale.
Un programme d’urgence sociale, pour les 35 heures réelles par la loi, pour reconstruire les services publics, pour une VIe République sociale, pour une Constitution fédérale européenne.
Pierre Ruscassie, membre de la rédaction du mensuel Démocratie & Socialisme.
Article écrit pour la revue suisse "Pages de Gauche"
dimanche 2 juillet 2006
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