Première partie :
3 - Les fondements psychologiques de la soumission et de la servitude
A- Versant dominés.
Avoir intégré une conception libérale de l’individu pour laquelle l’homme est un loup pour l’homme, un concurrent permanent, un prédateur menaçant, induit une peur latente et inconsciente des autres. Ce terreau est entretenu journellement par les jardiniers du fait divers riche en tueurs en séries, voleurs, violeurs,...Ce journalisme people de la peur réactive sans cesse cette anxiété. L’Etat est alors essentiellement conçu dans ses missions régaliennes : armée, justice, police pour empêcher les individus de s’entre-tuer et assurer la sécurité. On retrouve alors la conception ancienne de l’Etat de Hobbes avec le Léviathan.
Châtier, venger, enfermer doivent être, dans cette perspective, les rôles attendus d’une population apeurée.
A un niveau plus apparent et verbalisé, l’insécurité sociale (sécurité des biens et des personnes, emploi,...) génère une peur qui fragilise l’équilibre intérieur, sollicite protection favorisant ainsi la soumission à l’ordre dominant : tout cela est bien connu, mais ce qui est surprenant, c’est que les politiciens qui instrumentalisent le sentiment d’insécurité fassent encore si fabuleusement recette en ce début de XXIème siècle.
Pour concrétiser ce qui précède, on peut se reporter à l’article : Insécurité et politique de la peur aux Etats-Unis Il ne faut pas non plus oublier que la peur à des bases neurobiologiques, mais cela dépasserait le cadre de ce texte que de s’étendre sur cet aspect. (voir Les racines de la peur dans la revue Cerveau et Psycho n°2 juin 2003 p62 et suiv.)
Pour un exposé assez complet sur la peur : voir leçon de philosophie 98 extrait d’un cours de philosophie en ligne très riche.
Transversale, sciences et culture a publié en avril 2007 un livre intitulé : Gouverner par la peur (Ed.Fayard) http://grit-transversales.org/artic... ?id_article=169
a) Selon Max Weber, le pouvoir et l’autorité reposent sur trois types de légitimations :
la tradition, « croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l’autorité par ces moyens »
le charisme (« reposant sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne, ou encore [émanant] d’ordres révélés ou émis par celle-ci » .
et le conformisme rationnel légal. (« croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens ».
On retrouve, en partie, d’une certaine manière, l’autorité en droit romain définie comme augustus (celui qui renforce par son charisme, comme auctoritas qui exprime l’idée d’augmenter l’efficacité d’un acte juridique ou d’un droit (à l’origine pris par le Sénat chez les romains).
b) Mais ceci ne nous renseigne pas sur les ressorts psychologiques de telles soumissions et la conception de la société par Weber reste libérale. Gérard Mendel, dans son ouvrage Une histoire de l’autorité (Ed. La Découverte poche) souligne cette carence : "On en vient alors à la perspective selon laquelle ce qui a empêché Weber de reconnaître l’ autorité et la légitimité comme de vrais concepts autonomes et de s’interroger sur leurs fondements (de même que sur les fondements des éthiques de la conviction et de la responsabilité), c’est la pauvreté de l’anthropologie qu’il s’était construite et qui se réduisait à une seule composante : la lutte universelle pour la puissance. Weber a placé la subjectivité de l’individu au centre de sa « sociologie compréhensive » au point, à l’intérieur de sa méthodologie, de poser explicitement la société comme seulement constituée par la somme des individus qui la composent. Il y avait alors quelque inconséquence à l’impasse totale sur la psychologie qu’il a faite." (p35)
Le besoin d’autorité repose sur le désir archaïque de protection paternelle, mais cela peut sembler paradoxal du fait que c’est plutôt la mère qui joue ce premier rôle de protection dans notre petite enfance. G.Mendel rappelle alors l’explication freudienne : "Dans L’Avenir d’une illusion, Freud indiquait clairement pourquoi l’individu doit avoir recours à la protection paternelle : « La mère, qui satisfait la faim, devient le premier objet d’amour et de plus la première protection contre tous les dangers indéterminés qui menacent l’enfant dans le monde extérieur ; elle devient [...] la première protection contre l’angoisse. La mère est bientôt remplacée dans ce rôle par le père plus fort [...]. Et quand l’enfant en grandissant voit [...] qu’il ne pourra jamais se passer de protection contre des puissances souveraines et inconnues, alors il prête à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des dieux . ».
Mendel défend la thèse selon laquelle l’autorité liée à l’image paternelle, est la réponse au sentiment abandonnique archaïque de la séparation angoissante d’avec la mère.
Mais la période contemporaine, avec sa crise de l’autorité et du rôle du père, qui touche toutes les organisations sociales, remet quelque peu en cause cette dynamique psychique.
Mendel résume bien dans ce qui suit l’évolution de l’autorité qui a eu des conséquences considérables sur le plan politique. Cette citation, un peu longue certes, a le grand mérite de faire comprendre comment la pieuvre de la domination qui enserrait ses tentacules extérieurement est devenu maintenant un "Alien" cohabitant dans le psychisme du sujet dominé.
Dans les nouvelles techniques de management, dénoncées par C.Dejours (La souffrance en France ), par JP Le Goff (La barbarie douce ), ou encore par L. Boltanski et E. Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme , l’investissement du sujet doit être total, il doit faire sien, c’est à dire une affaire personnelle, les objectifs de l’entreprise (notamment de productivité) : la hiérarchie paternaliste fait place à la séduction, la mystification.
Toujours, dans Une histoire de l’autorité, G.Mendel explique bien la transition vers la situation actuelle (extraits de p229 à 231) " L’autorité s’est d’abord exercée depuis le dehors de l’individu, à partir d’un regard porté en permanence sur lui et dans lequel s’expriment les exigences de conformité des communautés traditionnelles. Toute une partie de la psychologie du sujet se trouvait alors captée dans le réseau de liens exopsychiques des rapports collectifs. Avec la modernité, une partie grandissante de ces rapports s’est progressivement intériorisée. Le fonctionnement psychologique est devenu endopsychique à partir d’images et de fantasmes à figuration d’abord extérieure, puis qui, refoulés en raison de leur tonalité angoissante, vont peupler l’inconscient. L’image du père assure alors la cohérence de la société patriarcale, une image qui est partout : dans les cieux, avec le dieu-Père ; à la tête de l’État, rois ou présidents ; en tant que paterfamilias, au rôle dominant reconnu par la loi ; comme père oedipien, dans l’inconscient, dédoublé en surmoi et idéal du moi. Dans les derniers siècles des Temps modernes, l’autorité a pris le visage d’un père « gaullien » affirmant : « Je te protège (du chaos) si tu te soumets à moi ; ou bien, sinon, je t’abandonne, je te renvoie au chaos. »....
Avec l’époque contemporaine, une nouvelle étape a été franchie. ... Les personnages que l’ autorité (dans néo-management ) concerne - le dominant et le dominé -se retrouvent maintenant tous les deux à l’intérieur du sujet.
De plus, une extraordinaire permutation s’est produite. Ce qui, jusque-là, se trouvait enfoui, caché à l’intérieur du sujet -le sentiment abandonnique et son angoisse -reçoit une figuration extérieure, avec la menace de licenciement qui, outre les angoisses archaïques qu’elle suscite, représente une exclusion capitale et comme la mort sociale. À l’inverse, le rôle du dominant, jusqu’alors tenu par un personnage extérieur, se trouve maintenant, avec l’ « auto-autorité », devoir être tenu par le sujet lui-même.
Pourtant, le plus important n’est pas là, mais dans le fait que l’ancien dominant-père, contrôlant pour l’imaginaire les forces archaïques du chaos (figurées dans nos cultures par les fantasmes concernant la mère archaïque), s’est changé en une domination archaïque (la « maison mère » ). Le sujet, identifié à celle-ci, est contraint de faire sien cet archaïsme et d’intérioriser les normes démesurées de l’entreprise « aux limites toujours déplacées ». Pire encore : jouant à plein le jeu de ces forces archaïques, il lui faut humilier, écraser, « tuer » en lui l’ancienne figure protectrice du père. En définitive, dans l’architecture interne de son moi, le sujet attaque la partie la plus mature de sa personnalité. On comprend les désarrois et les désastres psychologiques rapportés par les observateurs.
Pour dire les choses en une phrase : le sujet, tout en se livrant corps et âme à son entreprise, doit ouvrir toujours plus largement en lui, dans sa personnalité profonde, les vannes de l’archaïsme. Cette infantilisation, cette autodestruction de soi font naître évidemment une considérable agressivité dans les profondeurs du sujet. Celle-ci, jusqu’à présent, se retourne pour l’essentiel contre soi : stress, dépression, maladies psychosomatiques... Mais elle pourrait bien, un jour, se libérer à l’extérieur dans des formes collectives, et qui risqueraient d’être aussi irrationnelles que les forces aujourd’hui libérées dans les zones archaïques...." Le lecteur dispose ici, par ce texte, d’une grille de lecture des drames sociaux actuels d’une rare profondeur. Ainsi, sans avoir évidemment disparu, l’autorité traditionnelle fondée sur un principe d’extériorité impliquant à la fois soumission et révolte, respect et transgression des règles (rationnalité de la loi) peut faire place à un rapport de fusion-séduction avec le dominant impliquant émotions archaïques et culpabilité.
Nous n’abordons pas en détails les formes de hiérarchies et d’autorité utilisées dans les organisations et notamment les entreprises synthétiquement décrite dans le document Commandement, autorité et pouvoir dans les organisations.
Il faut faire appel à la psychanalyse pour comprendre la source nourricière du charisme qui est le processus d’identification du dominé au dominant. Cette identification permet un profit narcissique et une possession imaginaire de la puissance et se trouve exacerbée dans les rassemblements de foule autour du chef ou de la star. La pression de conformité renforce le phénomène.
c) Autorité et organisation
Nous avons dit dans une autre contribution que les organisations hiérarchiques était liées à une conception autoritaire ou paternaliste des rapports sociaux actuellement en crise.
Ce type d’organisation encore très largement dominant est un héritage séculaire d’une société patrilinéaire et centralisée, adaptée pour assurer une cohérence sociale et politique à l’échelle de petites organisations ou de nations petites et moyennes mais inadaptées pour pouvoir contrôler les hommes à l’échelle planétaire. On assiste donc à un double mouvement conjoint : une planétarisation de la classe dominante et la mise en œuvre de nouveaux types d’organisation pour faire succéder à la société disciplinaire (Foucault) la société de contrôle (Deleuze).
Un individu dans un groupe a tendance, en général,à se laisser influencer par l’avis majoritaire et à s’y soumettre et au niveau de la société a tendance à suivre aussi l’opinion majoritaire et à intégrer les valeurs sociales dominantes : c’est le conformisme.
L’individu qui veut affirmer des idées personnelles minoritaires par rapport à un groupe vit souvent un conflit psychique anxiogène, déstabilisant. Le coût psychologique devient d’autant plus élevé que l’individu peut être l’objet de marginalisation ou de répression.
Le conformisme politique défendant les intérêts de la classe dominante est véhiculé par les grands médias qui réalisent alors une sorte de bio-programmation des cerveaux.
Dans le bimestriel édité par le Monde diplomatique, Manière de voir n°96 de déc.2007, intitulé La fabrique du conformisme, on trouve pas moins de 26 thématiques traitées pour analyser la manière dont se construit le conformisme des comportements alimentaires, culturels, etc
Mais quelles sont les racines de ce besoin de se sentir conforme, en accord avec le groupe ? N’a t-on pas en action le même processus quand on respecte ou on se soumet aux institutions ?
La réponse est donnée par E.Durkheim ; le "père" de la sociologie : "...Car tout ce qu’elle implique (la contrainte sociale), c’est que les manières collectives d’agir ou de penser ont une réalité en dehors des individus qui, à chaque moment du temps, s’y conforment. Ce sont des choses qui ont leur existence propre. L’individu les trouve toutes formées et il ne peut pas faire qu’elles ne soient pas ou qu’elles soient autrement qu’elles ne sont ; il est donc bien obligé d’en tenir compte et il lui est d’autant plus difficile (nous ne disons pas impossible) de les modifier que, à des degrés divers, elles participent de la suprématie matérielle et morale que la société a sur ces membres. Sans doute, l’individu joue un rôle dans leur genèse. Mais pour qu’il y ait fait social, il faut que plusieurs individus tout au moins aient mêlé leur action et que cette combinaison ait dégagé quelque produit nouveau. Et comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu’il y entre une pluralité de consciences), elle a nécessairement pour effet de fixer, d’instituer hors de nous de certaines façons d’agir et de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté particulière prise à part. Ainsi qu’on l’a fait remarquer , il y a un mot qui, pourvu toutefois qu’on en étende un peu l’acception ordinaire, exprime assez bien cette manière d’être très spéciale : c’est celui d’institution. On peut en effet, sans dénaturer le sens de cette expression, appeler institution toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité ; la sociologie peut alors être définie : la science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement" (Les règles de la méthode en sociologie pXXII)
Ce texte demande pas mal de temps pour en comprendre toute la portée. La conscience collective acquière une objectivité qui lui confère la même matérialité que les choses, cette conscience pouvant être celle de groupes plus ou moins réduits ou importants. Le conformisme est un moyen de s’adapter à la société confortant le contrôle social.
Lorsqu’un individu se soumet à une autorité dans le cadre d’un système d’actions supposé œuvrer pour le bien commun ou un quelconque idéal auquel cet individu adhère, alors celui-ci peut perdre tout sens de ses responsabilités ou toute compassion pour son prochain. J. Généreux dans La dissociété, en examinant les ressorts de la soumission à l’autorité, relate l’expérience de Milgram qui s’était interrogé sur les mécanismes psychologiques du comportement barbare des nazis. "L’expérience du psychologue américain Stanley Milgram, en 1960-1961, est sans doute la plus célèbre concernant cette question.. Un sujet croyant participer à une expérience scientifique sur la mémoire doit questionner un élève (un acteur complice de l’ expérience) et sanctionner chaque mauvaise réponse par un choc électrique d’intensité croissante. Milgram constate avec effroi qu’une large majorité des sujets acceptent d’aller jusqu’au choc d’intensité maximale tant que le scientifique menant l’expérience leur enjoint de mener celle-ci jusqu’au bout." (p388).
Cette expérience de Milgram indique combien un individu peut être influençable, soumis à un certain contexte, et se faire "robotiser" à son insu.
La délégation aveugle de son initiative, de ses pouvoirs à une autorité constitue ainsi une déresponsabilisation qui renforce le pouvoir dominant.
B - De la domination et du pouvoir : versant dominants
Expliquer le fait qu’un être humain cherche à dominer, voire assujettir un autre être humain ou qu’un groupe d’homo sapiens domine un autre groupe pour des raisons simplement économiques, culturelles ou idéologique ne peut être suffisant. En effet :
quelques soit le type de formation économique ( R. Fossaert en distingue 17 de puis le néolithique jusqu’ à nos jours, socialisme étatique inclus) un groupe domine toujours l’autre quelque soit le type de formations politiques : chefferies, états féodaux, démocratiques, sociétés théocratiques,étatiques-socialistes...
une partie du groupe dominé, ou l’individu dominé, ayant renversé le groupe dominant et ayant acquis le contrôle sur la société se comporte à son tour comme dominant sur le groupe évincé et même sur l’autre partie du groupe dominé et devient souvent, avec le temps, à son tour, un groupe prédateur, à moins qu’il ne le soit déjà au départ !
Devant une telle constatation, deux explications courantes, aussi simplistes l’une que l’autre consiste à affirmer : "c’est dans la nature humaine, on n’y peut rien....", ou bien " c’est la lutte de classes, et quand les classes sociales disparaîtront, il n’existera plus de domination d’un groupe sur un autre" faisant ainsi référence à deux systèmes de croyance sans assise scientifique sérieuse. En effet, si l’exploitation économique s’explique principalement par un antagonisme de classes, le processus de domination ne serait se réduire à de pures explications économiques.
Il ne serait être question en quelques lignes de faire le tour des différentes approches analytiques des sources du pouvoir. Anne-Marie Rocheblave-Spenlé, dans son ouvrage Le pouvoir démasqué, en s’appuyant sur le travail de nombreux psychanalystes présente les différentes approches analytiques.
Nous nous contenterons de quelques idée-forces
a) Il est intéressant de relier les différentes instances psychiques freudiennes avec les différents types de pouvoir, de maîtrise. "Les différents systèmes psychiques représentent chacun un type spécifique de pouvoir, : ainsi, nous avons vu que le Surmoi représente le pouvoir social, le pouvoir de la loi, de l’interdit, celui qui juge, critique, observe ou approuve.
Le Ça contient le pouvoir biologique, la puissance à l’état presque brut ; le Moi, lui, incarne le pouvoir de l’intelligence, du contrôle.
Parmi ces instances psychiques, il en est une - relativement peu étudiée - qui représente en quelque sorte à elle seule le rêve du pouvoir ou - plus précisément - de la toute-puissance inconditionnée. Il s’agit de l’instance que Freud et ses successeurs ont appelée le Moi idéal, et qu’il ne faut pas confondre avec l’Idéal du Moi, bien qu’il entretienne d’étroites relations avec lui. " (p71).
En résumé : le ça, c’est la domination par la force brute devenant le pouvoir armé et les pulsions instincto-émotionnelles ; le moi, c’est la maîtrise par l’intelligence, le savoir et l’organisation technicienne, orientée d’abord sur la maîtrise de la nature , le surmoi, c’est le pouvoir sublimé de la loi et de la morale, de l’organisation politique pour la domination des Hommes. Ces trois topiques correspondent, au niveau des fonctions cérébrales à ce que P.Chauchard appelait ; d’une manière un peu différente de celle de P.Mc Lean, cerveau à trois étages : rhinencéphale et système limbique (ou cerveau émotionnel), cerveau noétique (intelligence, langage), cerveau préfrontal ou cortical (conscience, sens moral,...).
L’essor de la physiologie du cerveau, grâce notamment, aux nouveaux moyens de l’imagerie cérébrale, et d’autre part de la psychologie cognitive connexionniste, montrent qu’une telle division fonctionnelle ne correspond pas à des localisations anatomiques spécialisées, notre cerveau étant une totalité fonctionnelle de 100 milliard de neurones interconnectés par dix puissance quinze synapses. Dans un dossier sur
Les traces cérébrales de la morale, le magazine scientifique La Recherche, indiquait (juin 2006, p46)) " La neuro-imagerie révèle que deux réseaux cérébraux sont impliqués dans le jugement moral : le système limbique, siège des émotions, et le réseau de la mentalisation grâce auquel on adopte le point de vue d’autrui."
Le neurophysiologiste américain J.Haldt définit ainsi 4 types "d’émotions morales" remettant ainsi en cause la conception kantienne, devenue courante, selon laquelle le sens moral reposerait sur la raison : en réalité il repose plus sur les émotions.
Cela explique combien il est difficile pour des juristes de faire entendre raison au grand public lorsqu’il s’agit d’un dossier sensible tel celui des multi-récidivistes, pour prendre un exemple d’actualité.
Bref, le 1er étage est bel et bien connecté au premier ! Mais tout pédagogue sait combien l’émotionnel et le cognitif sont étroitement liés dans tout apprentissage ou travail de recherche. En termes de pouvoir, les pouvoirs décrits ci-dessus sont donc inter-reliés même au niveau de "l’économie psychique".
b) Contrairement à une conception atomistique de l’individu, l’approche analytique montre le caractère profondément social du psychisme humain et que les relations sociales, dont celles de pouvoir, sont à la fois intériorisées et projetées par les individus. Concernant le pouvoir et la structuration de l’appareil psychique en ses trois instances précédemment rappelées, A.M Rocheblave écrit : " Comme l’a montré Daniel Lagache, les relations intra- personnelles proviennent pour une large part de l’intériorisation de relations interpersonnelles, tout en pouvant de nouveau être projetées dans des relations inter- personnelles ultérieures. ...Il n’est donc pas étonnant de constater que, de même que les relations entre personnes peuvent s’énoncer en termes de pouvoir, de même les relations entre les .instances psychiques sont marquées par cette signification. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les relations de pouvoir intérieures ont été davantage soulignées, ou, du moins, décrites par Freud que les relations de pouvoir entre les individus, et pourtant, pour expliquer les liens des formations internes entre elles, il emploie souvent des comparaisons énoncées en termes de pouvoir.(idem p60)
- c) Ce besoin d’exercer un pouvoir a des racines profondes
"Le pouvoir apparaît donc en relation étroite avec la vitalité, le dynamisme de l’être vivant, dans ce besoin d’emprise ou de maîtrise, très fondamental et primitif. Secondairement, s’introduisent d’autres modulations de pouvoir, liées au narcissisme, au sadisme ou même à la sexualité. Il semble que le dosage relatif de ces différents « ingrédients » du pouvoir soit en relation à la fois avec l’histoire personnelle de l’individu, et avec le type d’institutionnalisation des relations de pouvoir -dont l’intensité sado-masochique est variable et dépend des cultures et des systèmes socio-politiques...
Comme le soulignait Freud, cette pulsion d’emprise de même que le sadisme sont parfois particulièrement réduits, ce qui peut mener à une apathie ou à une passivité prononcée ainsi qu’à une fuite devant toute responsabilité ou pouvoir" (Idem p 54).
- d) Mais il est important de souligner le caractère réversible de la position dominant/dominé
Le processus d’identification du dominé au dominant peut transformer le dominé en dominant :"S’identifier au personnage dominant, ce n’est pas seulement recueillir en soi ce personnage, mais intérioriser une relation interpersonnelle à deux pôles, ce qui fait que l’individu peut se placer tantôt au pôle soumis et projeter le pôle dominant sur son partenaire, tantôt renverser cette relation et jouer lui-même le rôle dominant. Enfin, on peut également invoquer un fait - que Fromm lui-même mentionne - à savoir : la coexistence chez un même individu de tendances sadiques et masochistes."
On ne connaît que trop bien ce que signifie tout cela en terme de comportement professionnel ou politique dans des systèmes hiérarchiques autoritaires et fascistes.(idem p110)
a) Globalement, c’est là que la réflexion des libertaires et anarchiste est utile, car ce courant de pensée a toujours été sensible, plus que d’autres, à cet aspect de la domination.
On peut ainsi se reporter à un article, parmi d’autres, du Monde libertaire et explorer cette mouvance en se rendant sur le site de la fédération anarchiste où figurent de nombreux liens.
Le site, libertaire.free est une véritable mine d’analyses et de documents intéressants. En l’occurrence, on peut se reporter à :
L’autorité dans les groupes militants, les groupes libertaires ?
Mais oui, les anti-autoritaires s’interrogent pour savoir s’ils sont autoritaires ! (Que le lecteur n’en déduise pas que je suis libertaire : je suis un hybride non transgénique)
b) Résistances à des formes de domination locales
Harcèlement moral :il aura fallu attendre les années 2000 pour que le harcèlement moral au travail soit pris en compte et sanctionné par la loi. Le livre de Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral (Editions Syros) a joué un rôle important pour faire connaître et reconnaître cete forme locale de domination. Exemple d’association contre le harcèlement moral : HMStop ou les abus de pouvoir
domination masculine
Pour comprendre la soumission-respect de la femme à son mari selon...la Bible cliquer sur le lien. Bon article sur la domination masculine sur site LCR Belgique. Voir aussi sur ce thème, ce site de haute résistance : la révolution en charentaises.
On ne peut énumérer ici tous les sites féministes : on peut se reporter à ce que je considère comme site de référence en ce domaine : Les Pénélopes, à cet annuaire
violences conjugales : bon descriptif d’ensemble du phénomène ; lutte contre les violences conjugales Texte du Sénat (les parlements peuvent parfois être des lieux de résistance, ne l’oublions pas)
enfants maltraités : et plus généralement sur
la maltraitance : voir annuaire.
Evidemment cette liste n’est malheureusement pas exhaustive ! Car il faudrait énumérer toutes les formes de persécutions ! Ces exemples montrent que les dominés peuvent exercer une domination, parfois violente, entre-eux par intégration des modèles dominants.
4- Les fondements cognitifs de la domination
a) La violence symbolique et une émancipation autonome quasi-impossible
Selon Bourdieu, la domination ne s’exerce pas simplement par la force ou le consentement, elle imprègne, structure les actes de la vie quotidienne, structure la perception du monde, et ce, à l’insu du dominé. Bourdieu est initiateur de deux concepts : celui d’habitus et de violence symbolique pour expliquer la domination.
"On ne peut donc penser cette forme particulière de domination qu’à condition de dépasser l’alternative de la contrainte (par des forces) et du consentement (à des raisons), de la coercition mécanique et de la soumission volontaire, libre, délibérée, voire calculée. L’effet de la domination symbolique (qu’elle soit d’ethnie, de genre, de culture, de langue, etc.) s’exerce non dans la logique pure des consciences connaissantes, mais à travers les schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui sont constitutifs des habitus et qui fondent, en deçà des décisions de la conscience et des contrôles de la volonté, une relation de connaissance profondément obscure à elle-même." (p43) La domination masculine Bourdieu . Ed ; Seuil
Dans une telle situation de structuration mentale, on voit mal comment les dominés peuvent échapper à cette domination car leur pensée, même si elle se veut critique, est structurée par les représentations de la classe dominante. "Lorsque les dominés appliquent à ce qui les domine des schèmes qui sont le produit de la domination, ou, en d’autres , termes, lorsque leurs pensées et leurs perceptions sont structurées conformément aux structures mêmes de la relation de domination qui leur est imposée, leurs actes de connaissance sont, inévitablement, des actes de reconnaissance, de soumission, Mais pour étroite que soit la correspondance entre les réalités ou les processus du monde naturel et les principes de vision et de division qui leur sont appliqués, il y a toujours place pour une lutte cognitive à propos du sens des choses du monde et en particulier des réalités sexuelles." (idem p19).
Charlotte Nordmann, dans son ouvrage intelligemment critique de Bourdieu /Rancière La politique entre sociologie et philosophie (Ed. Amsterdam poches) montre que la position du sociologue aboutit à une voie sans issue pour l’émancipation. " Le discours des dominés, et même des « militants ou des plus politisés des ouvriers » témoigne donc d’une dépossession entière : le sens pratique engendre une parole dont la singularité est indépassable, qui n’a donc de valeur ni théorique ni politique, puisqu’elle ne peut assurer une mobilisation collective ; tandis que les essais d’appropriation du langage légitime produisent un discours qui n’a pas de sens, qui dépossède en fait les individus de leur expérience propre tout en échouant à leur assurer la légitimité qu’ils recherchent par là. La réappropriation, c’est-à-dire l’acquisition d’instruments de pensée légitimes permettant d’universaliser une expérience singulière, est définie comme théoriquement possible ; mais dans les faits, ou plutôt dans la description qu’en offre Bourdieu, elle est impossible. À force d’invoquer toujours les « plus démunis » pour décrire la position typique des dominés, on en vient à ne plus bien distinguer ce qui relève d’une situation extrême, donc particulière, et ce qui vaut pour l’ensemble des dominés. On a d’ailleurs le sentiment que cette confusion n’est pas vraiment problématique pour Bourdieu, puisque « tendanciellement » la logique de la dépossession s’applique de la même manière à tous les dominés. À propos de l’accession à la parole politique des dominés, Bourdieu affirme tantôt que ce sont « les plus démunis » qui n’ont le choix qu’entre « la démission pure et simple » et la « délégation », tantôt « les classes dominées » dans leur ensemble (aussi peu défini que soit cet ensemble), de sorte que la dépossession paraît ne pouvoir être qu’entière, les dominés, dans leur ensemble, étant incapables d’aucune autonomie politique"(p 103)
Selon l"auteur, Bourdieu considère les dominés comme des individualités isolées vulnérables et démunies sans les considérer dans leur diversité et leurs modes variés d’organisations de résistance à l’hégémonie de la classe dominante. Les mouvements sociaux de 1995 pour Bourdieu "relèvent ainsi du miracle". Certes l’Histoire donne souvent raison à Bourdieu mais il n’empêche que la même Histoire donne des exemples où les dominés ont pu briser leurs chaînes physiques et mentales.
b) Rôle des intellectuels
Mais cette possibilité d’émancipation survient lorsque les intellectuels, ou du moins, une part non négligeable d’entre-eux, mettent leurs compétences au service des opprimés. On rejoint alors la position de Gramsci. Mais pourquoi une telle solidarité serait-elle possible ? " Il est par ailleurs un autre principe de la solidarité possible des intellectuels avec les dominés, que Bourdieu nomme effet d’« homologie » : les intellectuels sont dans une position homologue à celle des dominés ; ils subissent comme eux une forme de domination. Ils ne peuvent en effet être assimilés simplement à des dominants, car le capital qu’ils détiennent n’est pas le plus valorisé. Les détenteurs de capital culturel sont dans une position inférieure par rapport aux détenteurs de capital économique. Cela implique que les intellectuels, comme les dominés, ont intérêt, dans une certaine mesure, à contester l’ordre social.
Leur solidarité avec les dominés n’est pas pour autant un calcul : cette « stratégie » découle au contraire de principes pratiques, d’un « sentiment » de solidarité immédiat." (idem p74)
Mais une telle association peut-elle être solide, durable ? "L’association qui découle d’une telle homologie a nécessairement ses limites ; elle est « paradoxale », parce que les dominants-dominés que sont les intellectuels sont objectivement dominants à l’échelle de l’ordre social dans son ensemble. ..Les intellectuels étant à la fois dominants, sous un certain point de vue, et dominés sous un autre, ils peuvent changer de bord selon que l’une ou l’autre de ces déterminations prendra le dessus. Et l’une des choses qui peuvent minorer leur sentiment de solidarité envers les dominés est que leur pouvoir propre se voie contesté. « En révolte contre ceux qu’ils appellent les « bourgeois », ils sont solidaires de l’ordre bourgeois, comme on le voit dans toutes les périodes de crise où leur capital spécifique et leur position dans l’ordre social sont véritablement menacés. »" (p74-75)
Mais le terme "intellectuels" est trop général pour apprécier avec plus de précisions comment concrètement certains intellectuels, notamment ceux qui sont aussi victimes d’exploitation et de domination peuvent se rallier à "la cause du Peuple".
Il existe en fait une division du travail intellectuel pour faire fonctionner la société et la plupart des auteurs font l’impasse sur cette analyse nécessaire. De qui parle-ton ? Ingénieur, poète, philosophe, artiste, enseignant, magistrat, médecin, journaliste, économiste... ? De quoi vit-il ? De ses rentes, de cachets, d’honoraires, d’un salaire (faible ou élevé ?), de placements boursiers ? Quelle disponibilité lui reste-t-il en dehors de son travail professionnel ? A-t-il une fonction de direction ? (cadre).
Il est donc utile de se reporter à la nomenclature des cadres et professions intellectuelles de l’INSEE pour avoir une idée plus précise de cette notion
Gisèle Sapiro a réalisé dans la revue Mouvement social un dossier intitulé Les professions intellectuelles entre l’État, l’entrepreneuriat et l’industrie. Par chance, cet article qui traite largement de la division et de la nature du travail intellectuel, d’un point de vue historique, est en ligne.
Le CNRS et le CEVIPOF ont organisée une table-ronde sur le thème Du travail à la société : Valeurs et représentations des cadres qui aborde notamment la question du rapport des cadres à l’action collective.
c) L’enfermement des dominés dans la pensée pratique
L’apport le plus fondamental de Bourdieu me semble être le suivant : l’une des explications les plus essentielles pour expliquer le fondement global de la domination est de nature cognitive : "l’enfermement des dominés dans leur vie et leur pensée pratiques."
C.Nordmann a raison d’en faire un titre de paragraphe. " Bien qu’on ne puisse assimiler le point de vue des dominants dans leur ensemble à ce que Bourdieu définit comme le « point de vue scolastique » ou théorique, propre aux « savants », il reste que l’expérience « bourgeoise » du monde est infiniment plus proche de celle du théoricien que ne l’est l’expérience des dominés. Si les dominants sont eux aussi porteurs d’une pensée pratique, qui détermine nombre de leurs comportements, ils ont le privilège, par rapport aux dominés, de pouvoir dépasser ce rapport d’immédiateté à leurs choix pour adopter une « vision théorique » sur eux-mêmes, et donc éventuellement opérer une critique de leurs principes pratiques. À mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale, on constate, selon les analyses de La Reproduction, une plus grande « disposition à exprimer verbalement les sentiments et les jugements qui est une manifestation particulière de la disposition à « manifester, dans la pratique même, l’aptitude à prendre ses distances à l’égard de sa propre pratique et de la règle régissant cette pratique ». Les dominés, quant à eux, sont enfermés dans les catégories de la pensée pratique." (p31)
Avant de pouvoir penser, il faut pouvoir manger, s’abriter... et ne pas être épuisé par un travail budgétivore en temps et en énergie. Certes. En outre l’habitus des dominés est structuré par une foule de tâches pratiques quotidiennes : tâches domestiques et d’entretien, transports divers,... . Les dominés ne disposent pas de domestiques à demeure et autres serviteurs. Les loisirs sont le plus souvent encrés dans la vie pratique : sport, bricolage, jardinage.
Reste la "consommation des produits culturels" ou assimilés : spectacles, concerts, télévision, multimédias et très marginalement conférences et lectures. Bref, le temps consacré à la réflexion personnelle et collective sur des problèmes non immédiats et pratiques est très réduit et notamment le temps consacré à la réflexion politique.
On comprend alors sur quel terrain vulnérable opèrent les appareils idéologiques : hier l’Eglise, aujourd’hui les grands médias. C’est donc la vie pratique (fins de mois difficiles, pertes d’emploi,...) qui indiquera à ces gens que leur choix politique n’était pas le bon plus que des arguments fondés sur la réflexion du moins, en général. (Ce fait est confirmé par une analyse fine (CEVIPOV) du vote non au référendum européen en 2005 étroitement corrélé au biveau de revenu et à la qualification. C’est plus en se référant à leurs conditions matérielles de vie qui ne s’étaient pas améliorées avec l’UE que par une lecture critique du TCE, que beaucoup de gens ont voté non.)
Abordons maintenant le cas des dominés qui devraient être les mieux armés pour penser.
Les intellectuels sont, dans leur grande majorité (les cadres notamment) prisonniers eux aussi des contraintes de la vie pratique, même s’ils cherchent à réaliser les meilleurs placements ou profils de carrière, les meilleurs plans de vacances...En dehors de leur spécialité professionnelle, leur cerveau, qui possèdent pourtant tous les outils d’analyse nécessaires pour réfléchir par lui-même, sur des problèmes de société, restent englués dans l’immédiateté de la vie pratique. Leur opinion se façonnera à partir du Point, l’Express, Capital, Le Nouvel Observateur...mais certainement pas par une multitude de lectures d’ouvrages d’économie, de sociologie ou autres.
Les contestataires et autres révolutionnaires, censés avoir tout compris, ou presque, du fonctionnement du système capitaliste sont, eux aussi, englués dans leur pensée pratique que l’on pourrait résumer en un mot : l’activisme ( je ne donne pas ici à ce mot le sens péjoratif courant mais celui du culte de l’action). Manif, collages, distributions de tracts, battre machin aux prochaines élections, constituent l’alpha et l’oméga de "la vie militante". C’est essentiellement par la lutte, la "praxis révolutionnaire" que les dominés et notamment la classe ouvrière acquièrent une "conscience de classe pour soi" et peuvent s’émanciper.
Voici un extrait d’un document de formation du site de formation celeonet FMR de la LCR illustrant cette manière de voir (qui n’est d’ailleurs pas leur exclusivité) :
"Le processus qui va permettre le passage de la classe en soi à la classe pour soi, c’est l’expérience pratique, l’expérience de la lutte sociale et politique, la « praxis révolutionnaire ».
C’est à travers l’expérience de la lutte (pour améliorer ses conditions d’existence et de travail, vire pour sa survie) que la classe ouvrière va acquérir progressivement une conscience de sa situation, de l’état de la société, de l’existence et de la réalité de ses adversaires, de la nature du système qui l’exploite et de la nécessité de le transformer."
Dans un autre document, sur les problèmes actuels, on peut lire : " Vu les divergences stratégiques séparant les organisations politiques, l’unité ne peut prendre que la forme de cadres ponctuels sur un thème (le non à la constitution par exemple), voire même pour une revendication, pour développer l’action. L’objectif est de créer les meilleures conditions pour développer l’action, pour gagner sur la revendication sur laquelle il y a accord, sans faire de divergence sur d’autres sujets un obstacle à l’unité d’action. L’idée de base est que l’action unie permet aux travailleurs de prendre conscience de leur force et de se mobiliser."
Il ne s’agit pas ici pour moi de nier l’utilité de l’action et même de sa nécessité, mais de contester son absolutisation, son caractère magique qui n’est pas sans rappeler les pratiques rituelles.Capitulant sur le fait accompli des "différences stratégiques", en s’épargnant une réflexion théorique en profondeur sur celles-ci, pour ne prendre ici que cet exemple, il ne reste plus qu’à organiser pratiquement les actions ponctuelles de convergence (le plus souvent sans lendemain) et grâce à la magie de l’action, les masses en mouvement, après nombreux "flux et reflux", finiront par devenir conscientes et pourront se prendre en charge avec un petit zest de théorie révolutionnaire car Père Lénine a dit " Sans théorie révolutionnaire, pas de pratique révolutionnaire".
Seul petit problème : "la théorie révolutionnaire" n’est pas figée dans les textes de Marx, Lénine, Trotski, Gramsci,...qui ne constituent pas une bible. Elle demande réflexion critique individuelle et collective en tenant compte non seulement de l’expérience historique mais de l’évolution des sciences de la Nature et des sciences sociales contemporaines, sachant que celles-ci croissent à grande vitesse. Il va de soi qu’un tel travail ne peut plus être réalisé par un seule organisation et encore moins par une poignée d’activistes. Or les textes précédents étaient déjà cités de la même manière il y a 150 ans... : ils reflètent donc, par cet emprisonnement dans la pensée pratique de l’action, la condition aliénante des dominés "critiques"
Un autre exemple d’enfermement dans la pensée pratique est une conception réductrice de ce qu’on appelle la démocratie participative. (cliquer sur le lien pour voir la vidéo) qui réduit la participation citoyenne à des tâches de gestion municipales pour "améliorer la vie concrète des gens".
Certes, il est bien que les citoyens participent activement à la vie de leur commune, mais n’est-il pas aussi nécessaire de s’arracher aux particularismes locaux et de penser ensemble à autre projet de société et de civilisation ou àla création de nouvelles formes d’action collective ? Pour éviter encore tout malentendu : je ne nie pas l’utilité, voire la nécessité de la pensée pratique et de l’action, je veux montrer simplement que celle-ci occupe une trop large place par rapport à la réflexion non assujettie aux particularités des contextes individuels et locaux et monopolise tout le champ mental.
J’ai la faiblesse ? de croire que tout citoyen de base a suffisamment de neurones dans sa boîte crânienne pour réfléchir au delà de la lisière de son jardin ou de sa commune.
d) L’enfermement dans la pensée pratique : pourquoi l’Ecole n’est pas émancipatrice
Je ne reviens pas ici sur les thèses de Bourdieu concernant le rôle de l’Ecole pour former les élites dirigeantes, la noblesse d’Etat, élites au service de l’Etat ou (et) de la bourgeoisie, etc.
J’ai été surpris, depuis assez longtemps, par la question de nombreux sociologues, se formulant ainsi (mais surtout par leur absence de réponse) : "Pourquoi l’Ecole reproduit-elle les inégalités et les idées dominantes alors que les enseignants ne sont pas, dans leur grande majorité, des défenseurs du système dominant ?"
Plus concrètement, en effet, on peut se demander pourquoi, alors que le niveau de scolarisation a considérablement augmenté depuis les années 1930, les nouvelles générations sont encore si démunies et si facilement manipulables sur le plan politique. Le niveau de formation ne semble avoir que très peu d’effet sur le développement de l’esprit critique. Comme entre les deux guerres, alors que la menace soviétique a quasiment disparu, les thèmes démagogiques de l’époque restent encore d’actualité (racisme, sécurité, immigration,...)
La raison en est pourtant simple : les outils d’analyse acquis au collège, au lycée, à l’université (démarche scientifique, rigueur, analyse littéraire,...) restent cantonnés dans des champs disciplinaires fermés et ne sont pas réinvestis dans le champ social et politique lorsque le jeune est censé devenir citoyen au sein de l’Ecole puis, en dehors de l’Ecole. Cela ne signifie pas obligatoirement que chaque adulte doive devenir adhérent ou militant d’associations, partis, ou autres, mais simplement qu’il utilise ses propres capacités d’analyse pour se forger des opinions politiques, ne serait-ce que pour voter intelligemment.
Même titulaire d’un diplôme de niveau bac+12, il utilisera ses outils conceptuels acquis à l’Ecole dans sa profession mais non pas dans le champ social ou politique (sauf si ce champ est justement celui de sa profession : politicien professionnel, prof à l’ENA ou sciences po, prof de philosophie politique,...). Les domaines connexes à ces champs (histoire, économie) restent par ailleurs très encadrés idéologiquement (combien de lignes sur la Commune, combien de lignes sur la répression des troupes françaises à Madagascar en 1947 dans nos manuels d’Histoire ?...).
L’analyse des réseaux de pouvoir dans une société (sans forcément prendre la nôtre de ses 20 dernières années) est évidemment hors programme. Mais ceci n’est pas forcément le facteur essentiel. Bref, une fois de plus, le dominé inculte ou très cultivé restera prisonnier de sa pensée pratique, comme la plupart des dominés.
Et quand les gens ne réfléchissent pas assez, on utilise leurs émotions, voire leur "intelligence émotionnelle".(voir par exemple : L’intelligence émotionnelle de Daniel Goleman (Ed.Robert Laffont).
Pour Gramsci le rôle des intellectuels, dans une perspective marxiste classique, joue un rôle majeur : ils constituent le ciment entre l’infrastructure économique et la superstructure idéologique de ce qu’il appelle le bloc historique à une époque donnée. Ils sont aussi des créateurs de cette idéologie
Maria Antonietta Macciocchi, dans son ouvrage Pour Gramsci, consacre plus du quart de son livre aux intellectuels (Ed. Points Seuil). Elle écrit : " Non seulement l’intellectuel n’est pas autonome, non seulement il est lié aux autres intellectuels par des privilèges économiques, corporatifs et de caste, mais -et c’est là le point fondamental- tout groupe qui aspire au pouvoir a besoin d’intellectuels à son service, pour renforcer sa domination : « Une des caractéristiques majeures de tout groupe qui tend à la domination réside dans sa lutte pour l’assimilation et la conquête idéologique des intellectuels traditionnels, assimilation et conquête d’autant plus rapides et efficaces que le groupe aura simultanément produit ses propres intellectuels organiques » (p211)
Plus loin, elle précise la répartition des rôles des intellectuels : "Gramsci procède à cette répartition des rôles des intellectuels, aussi bien dans la « société politique » que dans la « société civile » : « Les intellectuels sont les commis du groupe dominant, écrit-il, en tant qu’ils exercent les fonctions subalternes dans le domaine de l’hégémonie sociale et du gouvernement politique, c’est-à-dire :
1.- dans le domaine du consensus "spontané", apporté par les plus larges couches de la population à l’ orientation donnée à la vie sociale par le groupe fondamental dominant...
2 -.dans le domaine de l’appareil étatique de coercition qui impose "légalement " la discipline aux groupes qui refusent, soit activement soit passivement, "d’exprImer leur adhésion " et qui a été mis en place pour l’ensemble de la société, en prévision des moments de crise que pourraient connaître le commandement et la direction, lorsque le consensus spontané fait défaut" (p214).
On a ici une description de l’intellectuel organique selon Gramsci
Pour Gramsci, la conquête du pouvoir politique passe d’abord par la conquête de l’hégémonie culturelle. Dans nos sociétés, il est impossible de conquérir le pouvoir politique sans contrôler d’abord le pouvoir culturel. C’est la raison pour laquelle, selon lui, un parti révolutionnaire doit être une force capable de faire émerger des intellectuels organiques pour les travailleurs, et une hégémonie alternative dans la société civile. (voir Gramsci dans Wikipedia Indiquons que pour cet auteur, la division entre travailleurs manuels et travailleurs intellectuels est un effet de l’idéologie bourgeoise car dans tout travail manuel, il existe une composante intellectuelle qui peut même être très importante.
Néanmoins, il précise : « Tous les hommes sont intellectuels ; mais tous les hommes ne remplissent pas dans la société la fonction d’intellectuels » (Antonio Gramsci, Cahier 12, paragraphe 1)
On constate donc combien les points de vue de Bourdieu et de Gramsci peuvent être convergents vers cette idée : les dominés pour pouvoir se libérer de leur domination ont besoin de l’apport de l’expertise des intellectuels non enfermés dans la pensée pratique.
Nous avons abordé au point 2.2 le partage des représentations du monde des dominants par les dominés. Il nous faut donc approfondir cette notion fondamentale de représentation mentale ou sociale.
La notion de représentation mentale permet de résoudre un problème difficile : comment articuler l’individuel et le collectif ? Comment le monde, et notamment le monde social se présente-t-il à l’esprit et comment influe-t-il sur celui-ci ?
Il existe deux grandes directions de recherche sur cette question :
l’une sur les représentations mentales étudiées au niveau du fonctionnement mental individuel avec les outils dont disposent la psychologie et la sémantique cognitives ou la psychologie connexionniste Une des applications de cette recherche est l’étude des mécanismes mentaux dans la compréhension des textes.
l’autre porte sur les représentations sociales Il n’est évidemment pas question de développer ici ces deux approches.
Une présentation synthétique, précise et claire est donnée pour la première voie par Sandra Jehan Larose dans sa thèse de doctorat (Paris XIII et CNRS Psychologie et pratiques sociales)
L’acquisition de connaissances à partir de textes en fonction des structures de connaissances et de croyances initiales des apprenants.
Pour la deuxième voie, on peut se reporter à l’ouvrage collectif, sous la direction de Denise Jodelet Les représentations sociales (PUF coL sociologie d’aujourd’hui).
Nous indiquerons ici quelques idées-clés :
1. Nous ne percevons pas le monde tel qu’il est réellement : la perception est déjà un acte cognitif.
2. Il y a trois niveaux : le monde réel (ex ; :l’air est objectivement froid) ; le monde conceptualisé (la température est de -2°C) ; le monde expériencé ("j’ai froid"). La sensation de froid n’est sans doute pas la même pour un Inuit que pour un habitant une région équatoriale... "Selon Jackendoff (1983-85), l’un des pionniers de la sémantique cognitive, l’information ne réfère pas directement au monde réel . L’accès au monde réel passe nécessairement par le monde conceptualisé par l’esprit. L’information véhiculée par le langage consiste en des représentations mentales, les représentations sémantiques, qui réfèrent elles-mêmes, à ce stade du traitement de l’information, à d’autres représentations mentales : celles du monde expériencé qui sont produites en amont du système de traitement sémantique. ..."(thèse ci-dessus p13).
3. On distingue des représentations-types qui sont stables, durables, bien mémorisées ou souvent activées des représentations occurentes qui sont moins durables ou très liées à la particularité du contexte.
4. Cette distinction, me semble-t-il, n’est pas sans rappeler un concept très important en théorie des représentations sociales : celui de noyau central et éléments périphériques d’une représentation sociale.
Cette notion de noyau central est importante dans la théorie des représentations sociales. Le système central constitue un « filtre » mental au travers duquel la réalité est perçue et jugée.
Il est constitué de SCB (Schèmes Cognitifs de Base). " Pendant longtemps, la théorie du noyau central d’une représentation autonome est restée hypothétique. Moliner (1988) en a fait récemment la démonstration expérimentale. Il est bien connu que les éléments d’une structure cognitive sont affectés d’un gradient quantitatif de centralité ( ou de saillance, ou d’importance). La théorie d’Abric ajoute la notion de centralité qualitative et structurale, le noyau central. Or, des études empiriques montrent que l’on peut observer des éléments de centralité (très forte) égale quantitativement, mais qui se différencient qualitativement, certains faisant partie du noyau central, les autres non..." (livre précédent p227).
On peut alors se demander quels rôles jouent les éléments périphériques. "Considérer ces schèmes comme éléments périphériques d’une représentation sociale, c’est affirmer qu’ils sont organisés par le noyau central de la représentation (principe d’organisation qui n’a généralement pas d’équivalent dans les théories sus-citées). Les schèmes périphériques assurent le fonctionnement quasi instantané de la représentation comme grille de décryptage d’une situation : ils indiquent, de façon parfois très spécifique, ce qui est normal (et par contraste, ce qui ne l’est pas), et donc, ce qu’il faut faire comprendre, mémoriser... Ces schèmes normaux permettent à la représentation de fonctionner économiquement, sans qu’il soit besoin, à chaque instant, d’analyser la situation par rapport au principe organisateur qu’est le noyau central..." (idem p229).
Comme l’indique Michèle Jouet Le Pors : "Le noyau central est marqué par la mémoire collective du groupe et aussi par le système de normes auquel il se réfère. Le système central constitue la base commune collectivement partagée des représentations sociales. Sa fonction est consensuelle c’est par lui que se réalise et se définit l’homogénéité d’un groupe social." Il résiste au changement. Mais il peut changer....
Le système périphérique peut se modifier de plusieurs manières (résistante, progressive, brutale) et peuvent apparaître alors des schèmes dits étranges ou anormaux pendant le processus de modification, mais c’est la mise en cause d’un élément du noyau central qui est capable de modifier la représentation.
Ajoutons que :
5. "Le sujet n’a pas conscience de ses représentations en tant que telles car elles se présentent comme réalité et en tant que références familières ne suscitent pas d’interrogation particulière" (Représentations, pratiques et identités p78. JF Blin Ed. L’Harmattan 1997)
6. Le rapport entre la notion de représentation et celle d’idéologie peut être problématique.
Plusieurs chercheurs constatent le lien intime entre idéologie et représentations : « [...] nous ne voyons pas de quoi une idéologie peut être constituée sinon d’un système (réseau) de représentations en interconnexion » (Mannoni, 1998 ). « Toute idéologie vit donc, pour l’essentiel, d’images, de représentations, de symboles et d’un maigre dispositif théorique, l’emboîtement entre les deux composantes se trouvant le plus souvent mal assuré », affirme Leclercq-Paulisson (1983 ). Le même auteur écrit aussi que : « [...] l’idéologie se présente comme un ensemble disparate, de faible cohésion. Sous une forme métaphorique, on a pu le comparer à un magma spongieux, à une nébuleuse aux contours imprécis »
On peut donc alors considérer que même si toute représentation n’est pas réductible à de l’idéologie, toute idéologie est représentation et dans ce cas elle peut être un facteur structurant du noyau central.
En revanche, certains auteurs séparant ces deux notions, considérant le noyau central constitué d’éléments non idéologiques constatent curieusement :Claude Flament "...Ce manque apparent d’interaction profonde entre deux secteurs de l’idéel, idéologies et représentations, est intriguant : c’est un problème ouvert. Si nos recherches n’ont pas permis de mettre en évidence une éventuelle action de l’idéologie sur le noyau central d’une représentation, par contre, ces recherches ont montré le rôle prépondérant des pratiques sociales dans le déclenchement de transformations profondes des représentations (au niveau de leur noyau central).
Certaines circonstances, indépendantes d’une représentation, peuvent amener une population à avoir des pratiques en désaccord, plus ou moins violent, avec la représentation (nous donnerons divers exemples dans un instant). Comme nous l’avons suggéré plus haut, ces désaccords s’inscrivent d’abord dans les schèmes périphériques qui se modifient tout en protégeant, pour un temps, le noyau central. ..."(RP p231) Quoiqu’il en soit, il apparaît que la pratique, les circonstances pratiques de la vie peuvent jouer un rôle déterminant dans la modification du noyau central lorsque celles-ci sont en contradiction avec certains éléments de ce noyau.
D’autre part, que le noyau central soit structuré par des schèmes de l’idéologie des dominants ou par des schèmes en contradiction avec cette idéologie, ce noyau possède une relative stabilité et résistance au changement.
7. En pédagogie les enseignants rencontrent un phénomène du même type lorsque les connaissances qu’ils enseignent entrent en contradiction avec les représentations mentales de l’apprenant. En didactique on appelle cela un conflit cognitif.
8. Imaginaire et représentations. Imaginaire social selon Castoriadis
L’imaginaire est souvent véhiculé par l’image et celle-ci n’est pas neutre notamment dans le média publicitaire.
Nicolas Riou décrit bien cela : "Animé par la « volonté de voir ce qui ne se voit pas », Roland Barthes avait montré que les images ne sont pas neutres. Elles dissimulent des signes qui construisent un discours social, propageant les représentations mentales dominantes. Ces représentations courantes structurent chaque marché, chaque moment de consommation, chaque cible. Elles déterminent par exemple l’image que l’on se fait d’être un homme viril ou un bon professionnel. Elles édictent la forme idéale d’un déjeuner dominical en famille."
La sémiologie de l’image explique comment l’organisation iconique des signes produit du sens.
Enseigner la lecture de l’image devrait être une discipline scolaire à part entière L’image publicitaire, au-delà de sa mission marketing, transmet des stéréotypes (femmes-objets, enfants tout puissants, animaux-heureux,...) qui ne sont pas sans influence sur la structuration des représentations sociales. De même, le cinéma et les séries télévisées véhiculent des stéréotypes de comportements qui ne sont pas sans influence sur les représentations des enfants et des adolescents. La concentration industrielle et financière croissante des médias et outils multi-médias au niveau planétaire est évidemment un facteur d’uniformisation culturelle et de destruction des identités culturelles locales. (Voir par exemple, la revue Manière de voir n° 63 L’empire des médias et, en ligne, un bon résumé du groupe Médias de Attac ).
Mais illustrons à partir d’un cas concret et palpable récent, comment la représentation libérale "darwinienne" de l’individu (l’homme est un loup pour l’homme) peut être véhiculée par l’imaginaire contenu dans une production cinématographique.
Voici un dialogue extrait de l’épisode 16 de la série américaine (de bonne qualité dans le genre science fiction ou fantastique) Invasion produit et réalisée par Shaun Cassidy, diffusé par France 4 début mars 2008. J’ai visionné les 2 versions : VO et françaises. Les sous titres et la traduction orale française sont les mêmes. "Les gens m’étonneront toujours. Ils sont surpris quand il y a un meurtre. Mais c’est dans notre nature. Tu crois que l’on descend de ces 3 types qui partagent leur bison ou du 4ème qui se dit : si je fends le crâne à ces 3 crétins, j’aurais plus à manger. C’est lui notre ancêtre. Question de survie. Tout est une question de survie". Cette courte tirade de 30 secondes environ, intègre le champ représentationnel du téléspectateur sans qu’il en ait conscience et véhicule bien l’idéologie que nous avons analysée plus haut..
Le célèbre historien Jacques Le Goff montre comment l’image et l’imaginaire jouent un rôle en Histoire comme représentations mentales et sociales : "Et puis il y a l’imaginaire. L’imaginaire, qu’est-ce que c’est ? Nous savons maintenant que la vie des hommes individuels et collectifs en société, ne se limite pas aux réalités matérielles, tangibles. La vie de ces sociétés comprend et donc s’explique aussi par les représentations qu’ils se sont faites de l’histoire, de leur propre place, du rôle de leur société. Cette imagination, plus exactement cet imaginaire, fait partie des représentations. Et l’histoire de l’imaginaire est un territoire de l’histoire des représentations. Qu’est-ce que ce territoire a de particulier ? Il a de particulier qu’il s’exprime en grande partie par des images au contraire des autres représentations qui peuvent s’exprimer tout simplement par des idées et par des abstractions. Mais, ces images peuvent aussi être des images réelles et c’est pour cela que les historiens actuels et moi-même nous nous intéressons beaucoup à l’image comme document d’histoire. Mais en dehors de l’image objectivée, l’image dessinée, l’image peinte, l’image sculptée, tout le grand territoire de l’image qui déborde l’histoire de l’art proprement dite, il y a aussi des images mentales, des représentations mentales sous leur forme imagée. Sous leur forme abstraite elles appartiennent à l’histoire des représentations en général. Elles peuvent se tourner vers l’idéologie, devenir de l’histoire des idéologies, mais il y a tout un domaine d’images mentales qui fait partie de l’imaginaire." (Source : ici).
L’imaginaire social tel que le définit Castoriadis n’est pas réductible à un système de représentations : il fait appel à la notion de magma. "On appelle imaginaire social un magma de significations sociales à caractère imaginaire dont la production ne se réfère pas à une ou plusieurs élaborations psychiques individuelles ni même de groupes ou d’organisations. Pour les comprendre nous devons nous placer d’emblée dans une perspective sociétale. "les significations imaginaires sociales ne sont ni représentations, ni figures ou formes, ni concepts" écrit C.Castoriadis"(source : lien imaginaire social)
- 9. L’imaginaire aliéné et la société du spectacle selon Guy Debord
Pour G.Debord, l’imaginaire de la société du spectacle contemporaine est intrinsèquement lié aux rapports marchands : "Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n’est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le coeur de l’irréalisme de la société réelle. Sous toute ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant. Le spectacle est aussi la présence permanente de cette justification, en tant qu’occupation de la part principale du temps vécu hors de la production moderne..." (Source : bibliothèque virtuelle : Livre numérisé : La société du spectacle, Debord).
- 10. Une tentative pour se donner des méthodes d’analyse de l’imaginaire
On peut se reporter à l’étude de Pour l’Imaginaire, principes et méthodes par Georges Bertin, sur le site Esprit critique.
Le développement des grands médias, du cinéma, de la publicité ont multiplié les supports du langage. Celui-ci n’est pas neutre et est influencé par l’idéologie ambiante, les stéréotypes.
Eric Hazan a publié un livre intitulé LQR, la propagande du quotidien (Raisons d’agir Ed.) pour expliquer ce phénomène. Mais pourquoi LQR ? "Autre temps, autre langue, mais elle aussi adoptée « de façon mécanique et inconsciente » : celle de la Ve République, que j’appellerai Lingua Quintae Respuhlicae (LQR) en hommage à Klemperer. Elle est apparue au cours des années 1960, lors de cette brutale modernisation du capitalisme français traditionnel que fut le gaullo-pompidolisme. Ses « expressions isolées, ses tournures, ses formes syntaxiques », sans cesse reprises par la chaîne unique de télévision, les radios et les journaux -ensemble qu’on n’appelait pas encore les médias, pluriel latin alors peu employé et qui s’écrivait media -, modifièrent en profondeur une langue publique d’un archaïsme aujourd’hui frappant, mélange d’une rhétorique héritée de la Ille République et du style héroïque de la Résistance.
Mais c’est seulement une trentaine d’années plus tard que la LQR a atteint son plein développement, devenant au cours des années 1990 l’idiome du néolibéralisme, dernier en date des avatars du capitalisme." (p12)
Il serait trop long d’exposer ici les principaux éléments de ce livre. Un notion intéressante est celle "d’essorage sémantique" (p50 et suiv.). Cela consiste à émietter le sens de certains mots clés de l’imaginaire social. L’auteur analyse le cas des mots : république, social, modernité, révolution.
On pourrait aussi mentionner l’élimination de certains mots du langage courant tels : peuple, OS, camarade,...Certains mots sont neutralisés et pris à revers : pensée unique (celle de l’extrême gauche !), réactionnaire (qui s’oppose à La Réforme du pouvoir), conservateur (pour ceux qui défendent des acquis sociaux), etc. Certains mots comme : réforme, croissance, flexibilité, marché,....voient leur fréquence d’utilisation augmenter. Le mot chômeur est remplacé par demandeur d’emploi, balayeur par technicien de surface, ...Nous sommes entrés dans le monde Dysney, lisse et aseptisé. Indiquons que Jean pierre Faye a publié dans les années 70 Langages totalitaires, ( Hermann, Nouvelle édition, 2004)
Heureusement, il existe de nombreux intellectuels qui publient ou créent des sites Internet pour combattre les formes de domination et notamment le néolibéralisme. Les éditions La Découverte avec sa collection Repères notamment publie de nombreux ouvrages critiques pour un prix très abordable.
Des groupes de réflexion existent : espace Marx, Fondation Copernic, fondation Gabriel Péri
Des sites comme : ACRIMED et OFM sont spécialisés dans la critique des médias.
Mais de nombreux sites critiques dans divers domaines existent. Un annuaire comme Antitoo en établit une liste par thème (partielle mais conséquente).
Il existe aussi des universités populaires, des cafés philo, des cafés sciences et citoyens, qui sont aussi des lieux ouverts de formation, de réflexion et de discussion allant au-delà d’une pensée purement pratique, enfermée dans les contingences du moment.
La science étant puissamment instrumentalisée par le pouvoir économique, une vigilance citoyenne s’impose dans ce domaine, notamment lorsqu’il s’agit de définir des organismes d’évaluation indépendants des intérêts privés : sécurité alimentaire et écologique(manipulation génétique du vivant dont OGM, biodiversité,...) sécurité sanitaire, nucléaire....L’interpénétration croissante des pouvoirs économique, financier, politique et administratif rend de plus en plus problématique cette indépendance.
Une fondation comme science citoyenne constitue un outil de réflexion (à examiner de manière critique mais néanmoins intéressant).
Le web Science citoyen de l’ULP de Strasbourg "s’adresse à tous les citoyens en quête d’informations rigoureuse et complète sur des sujets scientifiques actuels, pointus et qui font débat dans la société. Il s’agit de la première initiative de ce type en France."
Fin de la deuxième partie
A bientôt, chers amis, pour la troisième et dernière partie
Hervé
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