Lors de la dernière Conférence régionale du Parti de Gauche en Midi Pyrénées, des adhérents toulousains ont défendu la nécessité d’un droit de tendance reconnu statutairement dans le Parti de Gauche.
En tant que coordinateur régional, je leur ai répondu :
que j’étais pour le droit de tendance dans les organisations du mouvement ouvrier et socialiste
que cette question me paraissait seconde par rapport à la stratégie et au combat politique concrets à développer pour renouer le fil du mouvement social et de l’idéal républicain socialiste
que je ne me battais pas actuellement pour un droit de tendance dans le PG (PG structure transitoire vers une force plus importante type Die Linke ou Syrisa ; parti jeune et divers de type PSU à sa base qui serait incapable de gérer des tendances)
que le PG était effectivement dès sa création un parti creuset né de formes de politisation conjoncturelles diverses, que sa structuration pyramidale (comité, département, national) dès à présent sur des courants représentés à la proportionnelle pouvait anémier le type de vie démocratique actuelle sans enjeu de pouvoir immédiat, pouvait pousser à une homogénéisation hâtive et formelle autour du courant actuellement majoritaire, celui venu de PRS et de la gauche du Parti Socialiste.
que j’écrirais rapidement un petit texte pour justifier ma position. Le petit écrit ci-dessous essaie modestement de répondre à cette promesse.
Les trois organisations dont j’ai été longtemps adhérent fonctionnaient et fonctionnent encore avec un droit de tendance. Quelles sont ces trois organisations ? :
- la Ligue Communiste révolutionnaire dont j’ai été adhérent pendant une douzaine d’années. Ses derniers statuts (2003) précisaient « La LCR reconnaît à ses membres le droit de se regrouper, de se constituer en tendance ou en fraction sur la base d’une plate-forme écrite, y compris en dehors des périodes de préparation de congrès. » Le pourcentage obtenu par les plate-formes lors des congrès donne droit à une représentation proportionnelle.
- le Parti Socialiste dont j’ai contribué à animer la Gauche Socialiste. Celle-ci a majoritairement évolué vers la création du Parti de Gauche. Le Parti Socialiste aussi permettait la constitution de courants représentés dans les directions à la proportionnelle fonction des résultats de congrès. Le Parti socialiste n’aurait jamais réussi à rester au 20ème siècle le parti de gauche principal en France sans ce droit de tendance ; il n’aurait surtout pas réussi à se recomposer lors du congrès d’Epinay après 1968. Quant à la Gauche Socialiste, nous n’aurions réussi ni à nous constituer, ni à défendre nos positions sérieusement, ni à nous homogénéiser politiquement, ni à réussir la scission vers le Parti de gauche sans ce droit de tendance.
la Fédération de l’Education Nationale puis la Fédération Syndicale Unitaire reconnaissent également le droit de tendance.
Je pourrais épiloguer longuement sur les défauts de ce fonctionnement en tendances dans chacune des organisations politiques et syndicales susmentionnées. Quel bilan en tirer ?
Le principal intérêt du droit de tendance, c’est de pousser à la clarté des débats d’orientation politique et permettre aux adhérents de s’en saisir, de se former ainsi plutôt que d’attendre les décisions des dirigeants.
Ceci dit, le droit de tendance n’a pas empêché la LCR puis NPA de connaître un glissement gauchiste d’une partie importante de sa base. Il a encore moins empêché plusieurs scissions.
Le droit de tendance n’a pas empêché le catastrophique glissement néolibéral du Parti Socialiste.
Le droit de tendance dans le syndicat majoritaire de l’Education nationale n’a empêché ni la scission entre FSU et UNSA, ni un affaiblissement considérable du syndicalisme enseignant, ni surtout un affaiblissement de l’enseignement public et de sa capacité émancipatrice.
A l’inverse, la suppression du droit de tendance dans le Parti bolchevik a joué un rôle important pour permettre l’accession au pouvoir de Staline et la dégénérescence stalinienne.
A l’inverse aussi, nous pouvons remarquer que les attaques contre le droit de tendance dans des partis ont généralement correspondu à des choix politiques de trahison du mouvement ouvrier. Tel est le cas par exemple pour Paul Faure, ministre d’Etat du Front Populaire, artisan de l’exclusion des pivertistes qui parrainera bientôt le journal socialiste collaborateur L’Effort.
De plus, le droit de tendance peut être seulement un outil de gestion des débats par une direction de parti la maîtrisant totalement.
Je tire de tout cela seulement le bilan que le droit de tendance ne garantit rien et n’interdit rien.
La vraie question est celle de permettre les débats politiques nécessaires sur le programme, sur l’orientation et même sur les références théoriques sans que cela mange l’énergie nécessaire pour le principal à savoir la lutte syndicale et politique.
Je pose cette question du droit de tendance en terme d’étapes plutôt qu’en terme de principe car je pense qu’elle se posera ainsi dans les années à venir. Personne n’imagine par exemple un petit groupe bordighiste d’une vingtaine de personnes bénéficier abstraitement du droit de tendance dans le PG et en faire son moyen de construction sans s’être profondément impliqué dans nos objectifs politiques communs.
A mon avis, ces étapes dépendent d’une part de l’avancée ou pas des rapports de force que nous voulons construire, en particulier vis à vis du MEDEF, de la droite et du PS, d’autre part de l’évolution de nos rapports avec les autres forces politiques de la gauche de transformation sociale et démocratique.
Dans l’immédiat, nous poursuivons quatre objectifs : aider au rapport de forces social, construire le Parti de Gauche, affirmer et consolider le Front de Gauche, peser dans la recomposition internationale de la gauche de transformation..
Du point de vue de la maturité requise pour construire un parti ou un mouvement apte à vivre avec un droit de tendance, les deux critères essentiels pour les 3 ans à venir, me paraissent être :
Si avant 2012 ou en 2012, le Front de gauche réussit à passer électoralement devant le PS, cela signifiera un bouleversement du rapport de forces à gauche. Dans ce cas, le Front de Gauche attirera beaucoup de militants. La question du droit de tendance se posera tout autrement que comme une nécessité interne au PG ; il sera en effet incontournable pour permettre le rassemblement des forces présentes dans le FG. Mais que va faire le PCF si la période politique évolue ainsi ? Jusqu’à présent, en Europe, aucun parti officiel de l’ancien mouvement communiste réel n’a joué le jeu de la construction d’un mouvement de masse unitaire. Je ne pense pas que le PCF va faire ce choix rapidement, sauf s’il y est vraiment obligé. Et que vont faire les autres forces fondatrices ou ayant rejoint le Front de gauche si le PCF joue en fait seulement sa propre carte ? Vont-elles s’engager dans un processus de construction d’un grand mouvement unitaire démocratique ou jouer leur partition politicienne ? Pour le moment, je ne sais pas.
Si avant 2012 ou en 2012, le Parti de gauche ne réussit pas à passer électoralement devant le PS, preuve du maintien de notre marginalisation, il sera nécessaire de prévoir la formule d’un nouveau PG apte à tenir quelques années sans mise en place d’un Die Linke ou Syrisa. Dans ce cas, nous devrons à mon avis mettre en place des instruments plus performants de vie démocratique interne dont une forme de droit de tendance.
Jacques Serieys
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