Le Manifeste de PRS

dimanche 18 juin 2006.
 

1 Préambule

1.1 Un pays en état d’urgence politique

1.1.1 Depuis 2002, cinq grandes alertes ont manifesté la montée de cet état d’urgence.

1.1.1.1 L’usurpation libérale du vote du 5 mai 2002 par Jacques Chirac

1.1.1.2 Le résultat volé des élections du printemps 2004

1.1.1.3 Le vote populaire du 29 mai 2005 toujours sans lendemain

1.1.1.4 L’explosion violente de la misère dans la crise des banlieues

1.1.1.5 La résistance de tout un peuple dans le mouvement social contre le CPE

1.1.2 L’enjeu national et européen de 2007

2 Des servitudes d’un autre âge

2.0.1 L’emprise du nouvel âge du capitalisme

2.0.2 La paupérisation des populations : un apartheid social planétaire

2.0.3 Le saccage de la planète

2.0.4 La dissolution des peuples et le recul du sentiment collectif

2.0.5 L’enfermement des consciences

2.0.6 La refondation républicaine à l’ordre de jour

3 Le Projet d’émancipation de la République sociale

3.0.1 L’émancipation est l’affaire de tous et de chacun

3.0.2 L’émancipation est nécessairement globale

3.1 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION POLITIQUE SANS SOUVERAINETE POPULAIRE

3.1.3 LA CRISE DE LA SOUVERAINETE

3.1.4 DEMOCRATISER LES INSTITUTIONS INTERNATIONALES

3.1.5 « RECONSTITUER LE PEUPLE » : UN PROCESSUS CONSTITUANT POUR LA FRANCE ET POUR L’EUROPE

3.1.6 UNE CONSTITUANTE POUR L’EUROPE

3.1.7 METTRE LE PEUPLE AUX COMMANDES POUR ENGAGER LA REFONDATION REPUBLICAINE DE LA FRANCE

3.1.8 PAS D’UNION POPULAIRE SANS UNION DES GAUCHES

3.2 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION SOCIALE SANS EGALITE

3.2.9 L’URGENCE SOCIALE

3.2.10 LE DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE

3.2.11 LE DROIT AU TRAVAIL ET LE DROIT DE VIVRE DE SON TRAVAIL

3.2.12 LA QUALIFICATION POUR TOUS AU PLUS HAUT NIVEAU

3.2.13 LA RICHESSE REDISTRIBUEE PAR L’IMPOT PROGRESSIF

3.2.14 L’ACCES AUX BIENS COMMUNS GARANTI ET ETENDU

3.3 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION JURIDIQUE SANS LIBERTE

3.3.15 LES LIBERTES EN CRISE : ESCALADE SECURITAIRE ET JUSTICE A DEUX VITESSES

3.3.16 SAUVER LES LIBERTES PUBLIQUES ET RETABLIR L’EGALITE DEVANT LA JUSTICE

3.3.17 ELARGIR LE DROIT A DISPOSER DE SON CORPS

3.3.18 GARANTIR AUX IMMIGRES LA LIBERTE SUR LE SOL FRANCAIS

3.3.19 FAIRE DE L’INTERNET UN ESPACE PUBLIC DE LIBERTE

3.4 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION INTELLECTUELLE SANS LAÏCITE

3.4.20 LA MONTEE DES OBSCURANTISMES

3.4.21 FAIRE UNE ECOLE DU PEUPLE

3.4.22 ETENDRE LA LAÏCITE

3.5 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION CULTURELLE SANS LUMIERES PUBLIQUES

3.5.23 LE NOUVEAU CLERICALISME MEDIATIQUE ET LA CASSE DU SECTEUR CULTUREL

3.5.24 LE DROIT DU PEUPLE A LA REPRESENTATION

3.6 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION ETHIQUE SANS VERTU REPUBLICAINE

3.6.25 LA CRISE EST AUSSI MORALE

3.6.26 EN FINIR AVEC L’IRRESPONSABILITE GLOBALE DE L’ENTREPRISE

3.6.27 CULTIVER LA VERTU REPUBLICAINE

4 Conclusion

4.1 VERS LA REPUBLIQUE SOCIALE


1 Préambule

1.1 Un pays en état d’urgence politique

La politique des libéraux est partout au pouvoir. A la tête de l’Etat, aux commandes de l’Union européenne, dans les entreprises et dans les médias, les pouvoirs libéraux gouvernent malgré et contre le peuple. Chaque jour, les politiques libérales aggravent la crise sociale et détruisent les institutions de la vie collective. En France, depuis la réélection de Jacques Chirac, ce pouvoir s’exerce sur le mode d’un coup de force permanent. Ce décalage entre la direction des affaires publiques et les intérêts comme les attentes du plus grand nombre n’a cessé de se creuser depuis 2002.

Trois composantes se conjuguent pour installer les conditions d’une crise sans précédent de notre société. D’une part c’est bien sûr l’obstination violente des libéraux à mettre en place leurs politiques. D’autre part, c’est l’impuissance de la gauche, sous la direction de la social-démocratie presque partout dans le monde, à contrecarrer l’extension générale du modèle néo-libéral. Enfin c’est l’incapacité des mouvements populaires à changer le cours des évènements en dépit de mobilisations sociales massives et déterminées. En entrant en résonance, la crise sociale, la crise institutionnelle et la crise politique plongent notre pays dans un Etat d’urgence politique. La caractéristique essentielle de cette situation est d’être une crise de légitimité de toutes les institutions représentatives de la vie collective.

1.1.1 Depuis 2002, cinq grandes alertes ont manifesté la montée de cet état d’urgence.

1.1.1.1 L’usurpation libérale du vote du 5 mai 2002 par Jacques Chirac

Après avoir recueilli 19 % des voix et 13 % des inscrits au 1er tour de l’élection présidentielle, le président sortant Jacques Chirac a obtenu le 5 mai 2002 plus de 80 % des voix. Le mode de scrutin ne laissait en effet pas d’autres moyens pour faire barrage à l’extrême droite. Ce vote n’avait en aucune façon le sens d’un appui à la politique libérale dont il se réclamait. C’est pourtant de cette façon qu’il a voulu l’interpréter. Aussitôt réélu, il a engagé un démantèlement sans précédent des droits sociaux (casse de la retraite par répartition), des instituions républicaines (décentralisation Raffarin) et des grands instruments d’intervention économique (privatisations, appauvrissement de l’Etat). Ce coup de force s’est rapidement heurté à la résistance du mouvement social dès le printemps 2003. En dépit d’une des grèves les plus dures et les plus longues jamais enregistrées dans l’Education Nationale, le gouvernement libéral a poursuivi opiniâtrement sa politique.

1.1.1.2 Le résultat volé des élections du printemps 2004

Massivement remportées par la gauche, les élections cantonales, régionales et européennes ont signifié à la majorité gouvernementale un refus sans équivoque des politiques libérales. Le peuple s’est alors saisi des bulletins de vote de gauche pour prolonger dans les urnes la résistance sociale restée sans issue l’année précédente. Il a donné une prime à l’union des gauches, réalisée par le PS et le PCF dès le 1er tour dans 14 régions sur 21. Mais dans le même temps, le Front national, proche des 20 % dans plus de la moitié des régions, a confirmé la course de vitesse engagée entre lui et la gauche pour représenter l’alternative aux politiques libérales. Tournant le dos à ce que signifient de tels votes, la droite, réduite électoralement au score de Chirac le 21 avril 2002, a poursuivi implacablement sa politique.

1.1.1.3 Le vote populaire du 29 mai 2005 toujours sans lendemain

Refusées au niveau national, les politiques libérales le sont aussi au niveau européen. Les électeurs ont lucidement fait le lien entre les deux. Avec le Non massif et populaire exprimé le 29 mai 2005 contre la Constitution européenne, les électeurs ont stoppé la routine de la construction libérale de l’Europe. En dépit de l’engagement de la quasi totalité des médias, des institutions et de la plupart des partis politiques en faveur du Oui, ce vote a constitué une véritable insurrection civique du peuple français. En démontrant clairement le lien entre les politiques libérales au niveau européen et national, la force unitaire du Non de gauche a réussi à reprendre la main en marginalisant l’extrême droite. Ce mouvement de résistance civique au libéralisme a fait se lever un véritable front de classe, où la majorité populaire de notre peuple a massivement voté et massivement voté Non, ouvriers et employés en tête. Mais ce vote lui aussi a été ignoré et à nouveau bafoué avec la poursuite des politiques libérales au plan national comme européen.

1.1.1.4 L’explosion violente de la misère dans la crise des banlieues

En expansion rapide depuis les années 1970, les quartiers dits en difficultés sont devenus de véritables lieux de bannissement où vivent dorénavant plus de 5 millions d’habitants. En novembre/décembre 2005, ce sont précisément dans les quartiers où la misère atteint des niveaux record que la violence s’est aussi développée de la manière la plus extrême. Dans le grand ensemble de Clichy/Monfermeil, dans le quartier de la Madeleine à Evreux ou dans le quartier Saint Jacques de Perpignan, où les violences ont été les plus précoces et les plus fortes, c’est plus d’une personne sur deux qui est sans emploi, sans diplôme, sans moyen de locomotion. Babeuf, s’interrogeant dès 1789 sur le déchaînement de violence créé par la misère concluait : « les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé. ». A la crise sociale, le gouvernement a répondu par des incitations à la xénophobie et des surenchères sécuritaires au nom du rétablissement de l’ordre. Leur but affiché a été de « ramener la situation à la normale », c’est-à-dire précisément l’insupportable pour ceux qui y vivent. Au prix d’une répression souvent aveugle. Pour toute réponse, le gouvernement et la majorité de droite ont adopté à la hussarde la loi « Egalité des chances » qui crée le CPE, l’apprentissage à 14 ans et le contrôle social des familles en difficulté. Une nouvelle fois, le sens de l’intervention populaire a été contrecarré.

1.1.1.5 La résistance de tout un peuple dans le mouvement social contre le CPE

A travers la lutte contre le CPE et la loi dite « égalité des chances », c’est l’ensemble du pays qui comprend que ces nouvelles attaques des libéraux ne sont pas qu’une charge contre les jeunes mais surtout un nouveau recul global de la condition du salariat face au capital. Par sa radicalité et par l’ampleur de sa base sociale, cette lutte sera fondatrice. Elle porte en elle l’affrontement de deux visions du monde où tout un peuple réaffirme son refus déterminé de l’ordre libéral. Face à lui, les institutions de la Ve République finissent de s’effondrer avec un chef de l’Etat qui appelle à ne pas appliquer la loi qu’il promulgue et qui demande à l’UMP de suppléer l’exécutif pour sortir le pays de la crise.

1.1.2 L’enjeu national et européen de 2007

Les élections de 2007 donnent à la France une chance sans précédent de peser sur l’avenir de l’Europe et de contribuer au recul des politiques libérales sur tout le continent. Tous les dirigeants européens disent en effet attendre 2007 et l’élection du nouveau président français pour relancer le processus de ratification de la Constitution européenne. S’ils parviennent à leurs fins et que le président élu en 2007 donne raison aux chefs d’Etat européens contre son propre peuple en ratifiant le projet de Constitution, notre pays basculera dans une crise nationale d’une extrême sévérité. Mais cela veut aussi dire qu’un président français qui porterait le « non » majoritaire exprimé par son peuple, ce que Chirac a refusé de faire, serait en situation de proposer une méthode alternative pour sortir la France et l’Europe de la crise où l’ont conduit ses dirigeants actuels. C’est dans ces conditions exceptionnelles que les représentants de Pour la République Sociale, réunis en Convention nationale les 8 et 9 avril 2006 à Montreuil, ont décidé d’adopter le Manifeste politique qui suit. Ce texte décrit l’état d’urgence dans lequel notre pays est plongé en proposant une analyse du capitalisme de notre époque, dont les politiques libérales sont les auxiliaires. Sous couvert des mots de la modernité, ce système enferme les populations dans des servitudes d’un autre âge et détruit la planète. Face à ce recul de la civilisation, le projet de la République sociale propose la refondation républicaine de la France. Il montre ce que pourrait être une politique gouvernementale qui travaille à l’émancipation des personnes, et qui se donne pour objectif le développement humain, en proposant autant de chantiers à engager pour y parvenir.

2 Des servitudes d’un autre âge

Chaque jour le travail humain donne naissance à une quantité gigantesque de biens et de services. Depuis 1950, la production mondiale a été multipliée par 7. En moins de 2 siècles, le niveau de vie a été multiplié par 15, le volume des échanges internationaux par 100, la production mondiale de biens industriels par 200. Jamais au cours de son histoire l’humanité n’aura produit autant de richesses. Jamais elle n’aura connu un tel développement des sciences et des techniques.

Mais, loin d’annoncer une ère nouvelle d’épanouissement, cette période voit le retour en force d’un appauvrissement et d’un enfermement idéologique généralisé des populations.

L’emprise du nouvel âge du capitalisme s’impose partout, sans limites ni frontières, sur les populations humaines comme sur leur environnement, soumettant tout et chacun à la logique de la marchandisation et du profit maximal. Elle réduit partout le travail à une marchandise et pousse des millions d’êtres humains aux limites de la survie.

La paupérisation des populations et le saccage de la planète qui en résultent dégradent les conditions de vie de milliards d’hommes et de femmes, la majorité des populations du Sud sousdéveloppé, comme un nombre considérable et croissant d’habitants du Nord développé.

L’enfermement des consciences par l’idéologie dominante et les obscurantismes soumettent de plus en plus profondément les populations aux normes morales qui servent le système. C’est sans doute la servitude la plus solide car c’est la moins visible. Or il n’est pas d’esclave mieux enchaîné que celui qui se croit libre.

2.0.1 L’emprise du nouvel âge du capitalisme

Le capitalisme de notre époque exerce une domination sans précédent sur l’ensemble des activités humaines. Ralentie durant les Trente Glorieuses et la guerre froide, la puissance destructrice du capitalisme s’est décuplée avec la financiarisation de l’économie dans les années 1980. Puis, en 1989, quand la chute du mur de Berlin a exprimé une irrésistible aspiration à la liberté individuelle, le nouvel âge du capitalisme y a entendu un appel à la concurrence libre et non faussée de chacun contre tous.

Depuis, nous affrontons un processus de marchandisation généralisée du monde. La privatisation et la libéralisation massive des services publics en sont les indicateurs les plus significatifs. Elles en montrent aussi les conséquences. Les services publics étaient les moyens de mettre des secteurs vitaux au service de l’intérêt général. Ils étaient les droits de l’humanité en actes, le droit de se soigner, d’aller à l’école, de se déplacer, de communiquer... Aujourd’hui, ils ont été largement démantelés pour offrir un nouveau terrain de conquête et d’accumulation aux intérêts des actionnaires. Du coup, les droits humains fondamentaux sont remis en cause.

Libéré des règles qui lui étaient jusqu’alors imposées au nom de l’intérêt général, le capitalisme de notre époque a arraché une dégradation considérable de la condition salariale. Pour y parvenir, il n’a pas hésité à se servir du chômage de masse comme d’une stratégie, particulièrement efficace dans une société hautement urbanisée où le salariat est la seule condition sociale possible pour la quasi-totalité de la population. Soumis à une pression croissante, les salariés ont vu le rapport de forces social se dégrader et leurs protections reculer une à une. Le droit du travail et la protection sociale ont été méthodiquement rognés ou détricotés. La majorité travailleuse de l’humanité se trouve alors plus que jamais livrés aux exigences aveugles de la finance et aux variations du carnet de commande. Dans notre pays, la modification spectaculaire du partage de la richesse produite (plus de dix points de valeur ajoutée sont passés en 25 ans des salaires vers les profits) témoigne du basculement des rapports de force entre capital et travail qui caractérisent le nouvel âge du capitalisme. Il y a dans cette inversion un parfum de retour au 19e siècle, avant les vagues émancipatrices victorieuses qui ont jalonnés le 20e. Le rétablissement du contrat journalier et du droit de licencier sans motif avec le Contrat Première Embauche montre l’ampleur du retour en arrière visé. Le sens du progrès se trouve dès lors inversé. C’est d’autant plus absurde que le progrès technique et technologique est mis au service d’un mode de développement qui gaspille les ressources rares et menace les équilibres écologiques de la planète.

Lorsque les intérêts du capital s’imposent au détriment de l’intérêt général, le peuple des citoyens disparaît au profit d’un marché éclaté de clients renvoyés à l’irréductible différence des pouvoirs d’achat et des préférences de consommation individuelle. La mondialisation néo-libérale prétend rapprocher les hommes. En réalité, elle les divise et les oppose, donnant naissance à un monde morcelé et fracturé où la solidarité et l’unité humaines n’ont pas leur place. Un monde où l’Empire états-unien impose sa domination violente.

2.0.2 La paupérisation des populations : un apartheid social planétaire

Le monde ressemble de plus en plus à un océan de pauvreté où se barricadent quelques îlots de richesse.

Sur les 6,6 milliards d’être humains, près de la moitié, 2,8 milliards, vivent avec moins de 2 dollars par jour. 20% de la population mondiale n’a pas d’eau potable, 40% n’a pas d’installations sanitaires, 40% n’a pas l’électricité. 842 millions de personnes sont sous-alimentées dans le monde (1 habitant sur 8). Si l’on ne fait rien, il y en aura 100 millions de plus d’ici 2015. En face, 1% des personnes les plus riches du monde ont désormais un revenu égal aux 57% les plus pauvres. Les trois personnes les plus riches possèdent une fortune supérieure au PIB des 58 pays les plus pauvres, soient 600 millions de personnes.

La pauvreté n’est pas un à-côté provisoire du système mais son principal résultat en même temps que son moteur. C’est l’appauvrissement des uns qui rend possible l’accumulation toujours plus grande dans les mains des autres.

Au Royaume-Uni, on est passé de 7 millions de pauvres au début de l’ère Thatcher à plus de 12 aujourd’hui. Aux Etats-Unis, de 35 millions à la fin des années 1990 à plus de 40 aujourd’hui, sans parler des 50 millions de travailleurs qui n’ont aucune couverture sociale. En France aussi, la pauvreté se développe à grande vitesse. On y compte désormais 7 millions de pauvres dont 2 millions d’enfants. Cette explosion de la pauvreté est alimentée par la croissance rapide du nombre de travailleurs dont les revenus sont dorénavant insuffisants pour leur permettre de vivre dignement de leur travail. Ce sont les « travailleurs pauvres » naguère réservés aux Etats-Unis.

La pauvreté n’est pas une persistance du passé, un phénomène marginal ou le résultat de comportements individuels. Elle découle du chômage de masse et de la précarisation du travail qui constituent le cœur des politiques libérales. Elle est le résultat direct d’un partage des richesses spoliateur. La pauvreté est le fruit logique d’une oppression accrue du travail par le capital.

La loi scélérate dite « égalité des chances » veut approfondir la précarisation généralisée de la population en vue de son exploitation accrue. Avec le CPE pour les jeunes, le retour de l’apprentissage à 14 ans, le travail de nuit et le week-end des jeunes de 15 ans, la suppression des allocations familiales en cas d’absence à l’école, le gouvernement Villepin a voulu casser la jeunesse populaire et l’enfermer dans une spirale de précarité. Que l’on ne s’y trompe pas. Avec la jeunesse populaire, c’est l’ensemble de la population qui a été visée. L’objectif dorénavant avoué est bien de soumettre tous ceux qui travaillent à la peur du lendemain, en s’attaquant d’abord à ceux que le chômage de masse exclut du marché du travail et pousse à accepter n’importe quel emploi : travailleurs âgés, immigrés, femmes qui représentent la grande majorité des personnes au chômage. Le projet de loi dit CESEDA (code de l’entrée et du séjour des étrangers et demandeurs d’asile) veut instaurer une politique d’immigration choisie en sélectionnant les étrangers en fonction des besoins en qualification, sans se préoccuper du pillage des cerveaux des pays pauvres que cela induit, ni des conditions de vie de ces immigrés, en particulier sur le plan familial. C’est une spirale sans fin.

2.0.3 Le saccage de la planète

L’accumulation des profits ne se contente pas d’exploiter les peuples. Elle pille sans vergogne les ressources naturelles, dévaste les écosystèmes, épuise les ressources naturelles, engendre des pollutions désormais irréversibles, multiplie le nombre d’événements climatiques extrêmes et bouleverse l’équilibre des espèces naturelles et du climat. Ainsi la vie de millions de personnes est rendue sans cesse moins vivable. Ce sont les populations les plus dominées qui en souffrent le plus : ouvriers malades de l’amiante et autres produits toxiques, habitants des logements insalubres construits à côté des autoroutes quand ce n’est pas sur les déchetteries, privation d’eau potable, vies emportées en Floride par l’Ouragan Katrina, etc.

2.0.4 La dissolution des peuples et le recul du sentiment collectif

Ainsi, à l’échelle de l’humanité toute entière, le phénomène de paupérisation se renforce, tandis que la planète se dégrade irrémédiablement. L’acceptation de cette situation est l’un des signes majeurs du recul actuel de civilisation. Le fondateur du libéralisme économique, Adam Smith écrivait au 19e siècle : « Aucune société ne peut être florissante et heureuse si une écrasante majorité de ses membres vivent dans la pauvreté et la misère. » Qui dirait cela au 21e siècle parmi ceux qui se réclament du libéralisme d’Adam Smith ? Les néo-libéraux s’efforcent à l’inverse de faire croire que la pauvreté relève de la fatalité ou de la seule responsabilité de ceux qui la subissent. Car pour que la pauvreté devienne tolérable et n’entraîne pas la remise en cause de l’ordre social qui la produit, il faut à la fois que les pauvres se soumettent et qu’une majorité de satisfaits considère la misère comme un fait acceptable. Ceci se passe sous toutes les latitudes par l’incorporation de la morale du « chacun pour soi ».

Il nous faut donc le réaffirmer avec force. Aucun individu ne peut vivre en personne libre lorsque son projet d’existence se résume à la survie. Mais aucune société ne peut être libre tant que règne une pauvreté massive. La gauche mexicaine a comme slogan « pour le bien de tous, les pauvres d’abord ». Sur tout le continent sud-américain, les nouveaux gouvernements de gauche placent leur action sous ce signe. Nous nous plaçons dans la même perspective et voulons attaquer de front la paupérisation de masse. On ne fera pas régresser cette dernière par de simples politiques sectorielles plus ou moins agrémentées de discours compassionnels. Pour s’attaquer aux racines de la misère, c’est le fonctionnement de la société capitaliste dans son ensemble qu’il faut remettre en cause.

Eradiquer la pauvreté, c’est l’objectif prioritaire pour la gauche au pouvoir, pour redonner la dignité et la liberté à des millions de personnes. C’est aussi une condition de la réunification du peuple que le néo-libéralisme a divisé. C’est conjurer le risque de la guerre sans fin de tous contre celui qui est encore plus pauvre que soi, dont se nourrit le racisme, et qui laisse tranquilles et incontestés ceux qui amassent des fortunes considérables en accaparant l’essentiel des richesses produites. C’est pourquoi, en France aussi, nous disons que ce qui est bon pour les pauvres est bon pour tous.

2.0.5 L’enfermement des consciences

En 2006, l’obscurantisme se porte bien. Partout les communautarismes prospèrent sur la destruction du lien social. Ils se présentent souvent comme des moyens de résister au système, de lui opposer d’autres normes morales, de reconquérir autonomie et dignité contre ce qui est ressenti à juste titre comme une négation des personnes. Mais en réalité, les ethnicismes et les intégrismes de toutes sortes marchent main dans la main avec l’ordre néo-libéral. Ils en sont les meilleurs alliés. C’est d’ailleurs une constante des politiques libérales, du 19e siècle à l’Angleterre de Thatcher, de promouvoir la religion comme pansement caritatif aux dégâts sociaux du capitalisme. Les communautarismes sont ainsi parfaitement compatibles avec le marché, et radicalement hostiles à l’existence d’un intérêt général et d’une communauté légale fondée sur l’égalité des citoyens. Le communautarisme, qui repose avant tout sur la domination des membres de la « communauté » par ses chefs, porte la négation de l’espace public. Il laisse alors la marchandise incarner un semblant d’universel.

Ce déferlement obscurantiste s’enracine dans l’idéologie dominante de notre époque. Celle-ci procède en effet à un profond remodelage des identités sociales disponibles et entretient un glissement permanent vers les modèles communautaires. L’idéologie dominante agit en particulier pour invalider l’identité ouvrière qui a constitué pendant des décennies la figure de référence centrale du peuple de gauche. L’ouvrier, et au-delà le peuple populaire, est à la fois rendu invisible et ouvertement méprisé. Dans les médias de la culture de masse, journaux, publicités, séries télévisuelles, les travailleurs n’existent pas ou alors comme des survivances exotiques d’un monde révolu. Dans un pays comme la France, les ouvriers et les employés constituent pourtant la majorité de la population active ! Lorsqu’ils admettent leur existence, les médias les présentent comme une masse sans visages obéissant à des instincts primaires et à des peurs irrationnelles, qui se manifeste de temps en temps par des colères immatures et aberrantes. C’est sous cet angle, qui rappelle la vision que les bien-pensants du 19e siècle avaient des « classes dangereuses », que le récent référendum sur la Constitution européenne a été pensé par les médias dominants français et qu’il continue à l’être depuis la victoire du « non ». C’est ce mépris de classe que diffusent sans même se cacher tous ceux qui préparent le retour de la Constitution européenne et expliquent que la volonté populaire du 29 mai compte pour du beurre. La réalité de l’intelligence populaire et du mouvement de réappropriation civique qui s’est produit lors de la campagne référendaire est soigneusement niée. Tous les jours, des commentateurs politiques et médiatiques, qui se présentent comme l’avant-garde de la démocratie, expliquent sans sourciller que le peuple s’est montré indigne des élites qui lui ont fait l’honneur de le consulter.

La disqualification du peuple décourage le sentiment d’appartenance aux classes populaires. En revanche, les médias dominants et la culture de masse mettent abondamment en scène et en valeur les innombrables identités communautaires à travers lesquelles chacun est sommé de se définir. La négation des identités collectives fondées sur les appartenances sociales ou les valeurs universelles accompagne l’exaltation des particularités individuelles les plus étroites.

Cette disqualification du peuple et de sa réalité travailleuse est aggravée par l’individualisme exacerbé et le mépris du collectif entretenus par la bobocratie. Une partie croissante des élites médiatiques, économiques et politiques impose une vision du monde où seuls comptent la réussite et la satisfaction individuelles. En attestent les innombrables dossiers sur « Ces immigrés qui s’en sortent », « Ces femmes qui gagnent » ou encore « Ces Français qui réussissent à l’étranger ». Nouvel avatar de la mentalité petite-bourgeoise, cette bobocratie se donne bonne conscience en exaltant l’égalité des chances et l’ascenseur social, c’est-à-dire l’exfiltration de leur groupe social pour quelques veinards des classes populaires, qui servent d’arguments pour justifier l’état de la société telle qu’elle est. Se construit ainsi une classe moyenne idéologique, mirage social savamment entretenu par les puissants pour culpabiliser les plus modestes et leur faire honte de leur appartenance sociale. Largement relayée par les médias, cette mentalité conduit une portion croissante de la population à entretenir des relations imaginaires avec ses propres conditions d’existence et à voir dans ses semblables des obstacles dans la course à la réussite individuelle plutôt que des alliés pour améliorer collectivement le sort de ceux qui partagent la même galère. Ainsi, tout devient bon pour marquer sa distance avec le peuple, surtout lorsque l’on partage en réalité ses conditions d’existence.

Divisé à un bout par le développement de la pauvreté, le peuple l’est à un autre par la domination d’élites satisfaites d’elles-mêmes et convaincues l’indignité populaire, qui trouvent en conséquence plus valorisant de penser et voter comme l’éditorialiste du Monde que comme son voisin de palier. On comprend la nouvelle fortune dont bénéficie l’accusation de populisme...

L’alliance des libéraux, des communautaristes et des bobocrates contribue à une fausse conscience qui dissimule les rapports sociaux réels à la base de nos sociétés capitalistes. Elle joue le rôle d’un puissant carcan qui enlève aux citoyens la possibilité de changer le monde dans lequel ils vivent et de se rassembler autour d’un projet émancipateur.

2.0.6 La refondation républicaine à l’ordre de jour

Quand le consentement à l’autorité est trop érodé, quand la crise sociale a mis sur le côté un trop grand nombre de citoyens, les solutions de replâtrage du système ne fonctionnent plus. La stratégie social-démocrate d’accompagnement du cours des choses ne permet plus aucune prise d’avantages pour le plus grand nombre. Partout en Europe, la socialdémocratie se dissout dans le néo-libéralisme à force de l’accompagner. Tony Blair consolide l’héritage du Thatchérisme. Désavoués par une partie de leur base sociale, les sociaux-démocrates allemands finissent par faire programme commun avec la droite. En l’absence d’alternative progressiste, les peuples sont poussés vers l’abstention ou le fascisme.

Seule une refondation globale peut remettre un projet émancipateur à l’ordre du jour. Pour être durable et bénéficier au plus grand nombre, ce projet doit découler d’un double processus constituant en France et en Europe. Un processus qui remette tout le monde dans le jeu démocratique et qui refonde les affaires publiques sur des principes et des règles reconnus par tous.

3 Le Projet d’émancipation de la République sociale

Ce projet s’enracine dans l’histoire de la République laïque, du mouvement ouvrier et du socialisme au pays de la Grande Révolution de 1789-1793. Il vise le dépassement du nouvel âge du capitalisme grâce à l’appropriation par le peuple des moyens politiques et économiques permettant son émancipation. Il construit pour cela la République sociale, au sens de la formule de Jaurès : « le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale ».

L’émancipation est le processus par lequel l’homme s’affranchit de ses servitudes. C’est celui par lequel l’esclave devient homme libre. C’est le chemin que construit chacun pour réaliser pleinement ses possibilités. C’est aussi l’horizon qui donne un sens et une direction d’ensemble aux efforts de tous pour rendre le monde meilleur, pour aller vers un développement plus humain. Le projet d’émancipation s’appuie sur des siècles de progrès humain. Il n’est sûrement pas dépassé. A notre tour, nous voulons le faire vivre.

C’est un projet de transformation sociale et politique. Il vise un nouveau partage des richesses et l’adoption d’un vrai modèle de développement durable et de production maîtrisée garantissant l’accès aux droits et la préservation des biens communs de l’Humanité. C’est un projet républicain, qui garantit la primauté partout de la souveraineté populaire une et indivisible, de la loi, de l’égalité laïque et du développement humain.

3.0.1 L’émancipation est l’affaire de tous et de chacun

L’émancipation est un processus à la fois individuel et collectif.

Elle est toujours individuelle dans le sens où chaque homme est le sujet et l’acteur de sa propre émancipation. L’histoire montre que l’émancipation ne peut être ni concédée ni imposée. C’est ce que nous enseigne l’exemple de la colonisation ou, sur un plan très différent, les échecs rencontrés par bien des expériences révolutionnaires. L’émancipation est d’abord une conquête

sur soi-même car elle implique le dépassement de l’étroitesse des intérêts sociaux et des préjugés dans lesquels baigne chaque homme. L’émancipation n’est pas le fruit d’une nécessité aveugle : elle doit être voulue consciemment. C’est pourquoi l’émancipation ne peut être que l’œuvre de citoyens éduqués et motivés. Les militants de l’émancipation accordent donc une place centrale à l’éducation, à la liberté de conscience, et aujourd’hui à la bataille culturelle contre l’enfermement idéologique dans lequel nous conduit le nouvel âge du capitalisme.

En même temps, l’émancipation est nécessairement collective. Aucun être ne peut être libre si les conditions sociales et politiques n’en sont pas réunies. La citoyenneté implique une puissante machinerie sociale émancipant l’homme de la soumission aux aléas quotidiens qui dominent l’état de nature. Elle exige une construction politique collective sans laquelle il n’y a pas de formation de l’intérêt général. C’est pourquoi le mouvement ouvrier s’est montré le meilleur continuateur des Lumières lors des deux siècles derniers.

La République sociale est à la fois un objectif et un processus : s’appuyant sur la société motivée, elle rend aux peuples les moyens de leur souveraineté, par la démocratie politique jusqu’au bout et l’appropriation collective des biens communs de l’Humanité, pour un autre mode de développement, soucieux des populations et de la planète.

3.0.2 L’émancipation est nécessairement globale

Le philosophe républicain Henri Pena-Ruiz distingue six registres de l’émancipation : l’émancipation juridique, politique, intellectuelle, éthique, culturelle et sociale. Mais l’émancipation elle-même est un processus global. « Les luttes pour la justice et la liberté privilégient tour à tour un des registres de l’émancipation, avec pour horizon une émancipation totale, concernant l’homme comme tel, compris dans tous ses domaines d’épanouissement. C’est dire qu’un registre isolé d’émancipation reste fragile, voire sujet à retournement, dès lors que demeurent des facteurs dans les autres registres. » Ainsi, l’émancipation juridique toute seule ne suffit pas : l’Etat de droit est insuffisant sans les conditions sociales qui lui donnent corps. De même, l’émancipation sociale est insuffisante sans l’émancipation intellectuelle qui libère de la soumission à l’idéologie dominante. Le projet émancipateur doit donc articuler dans une même dynamique toutes les dimensions de l’émancipation sans en négliger aucune. L’émancipation est donc un projet politique extrêmement exigeant. Elle exige en effet la souveraineté populaire, l’égalité, la liberté, la laïcité, la diffusion des lumières publiques, la vertu républicaine. Le projet émancipateur met à l’ordre du jour la République sociale à chaque endroit où la société est en crise et arrive à son point de rupture.

3.1 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION POLITIQUE SANS SOUVERAINETE POPULAIRE

3.1.3 LA CRISE DE LA SOUVERAINETE

A rebours de l’émancipation politique, le fonctionnement oligarchique des institutions ramène progressivement les citoyens à l’état de sujets. Avec une abstention toujours plus massive et socialement située, on assiste progressivement à une véritable dérive censitaire : les couches les plus aisées votent et déterminent la politique du pays au nom du peuple tout entier. Ces mêmes privilégiés développent la thèse de l’irréductible complexité du monde, pour démontrer l’incompétence politique du peuple et justifier le recours croissant aux experts et aux lobbies. Jamais depuis longtemps la volonté populaire n’avait été aussi clairement piétinée. Tout y concourt : la démission du politique face à la mondialisation libérale, l’affaiblissement du cadre national avec la décentralisation et la dilution de l’espace européen en une zone de libre-échange, le démembrement de la puissance publique en un maquis administratif, la domination à tous les niveaux d’élites technocratiques acquises au libéralisme, la transformation de l’ambition politique de changement en une vision gestionnaire du système.

Face au recul de la capacité des peuples à intervenir dans l’histoire, un rétablissement de la souveraineté populaire doit s’effectuer aux niveaux international, européen et national.

3.1.4 DEMOCRATISER LES INSTITUTIONS INTERNATIONALES

Les institutions financières internationales (OMC, FMI ...) dominent aujourd’hui l’espace mondial et imposent les priorités du commerce et des marchés dans toutes les autres enceintes internationales. Elles fonctionnent selon un régime censitaire, où le poids des Etats dans la décision dépend de leur participation financière ou de leur puissance commerciale. Aujourd’hui marginalisées, les institutions multilatérales classiques fonctionnent au contraire sur la base de l’égalité des Etats et de la souveraineté des peuples comme seule légitimité. L’intégration de l’OMC au système des Nations Unies fondé sur le respect de la souveraineté des Etats, contribuerait à rétablir le principe un État, une voix.

Au niveau international comme au niveau national, la question du contenu des politiques est directement liée à la nature des institutions. Seul un système mondial démocratisé peut ainsi remettre sur le devant de la scène l’intérêt général de l’Humanité et permettre d’inverser la hiérarchie des normes au niveau international. Les normes commerciales et financières seraient subordonnées aux droits humains, aux droits sociaux et aux impératifs environnementaux. Ce renversement des normes va de pair avec le droit des Etats et des ensembles régionaux à mettre en œuvre souverainement leurs propres politiques économiques (services publics, souveraineté alimentaire, droits et tarifs douaniers...), sociales et environnementales, sans se voir opposer la loi d’airain du commerce libre. A nouveau, l’intégration de l’OMC au système des Nations Unies permettrait de rapprocher les règles de droit du commerce international et celles qui protègent la personne humaine et les peuples.

Tant que cette démocratisation de l’ordre international ne sera pas réalisée, chaque peuple sera légitime à ne plus consentir aux normes imposées par des institutions qui ne représentent pas les populations.

3.1.5 « RECONSTITUER LE PEUPLE » : UN PROCESSUS CONSTITUANT POUR LA FRANCE ET POUR L’EUROPE

L’émancipation politique implique la reconnaissance du principe de souveraineté populaire comme fondement de la communauté politique et de l’action des pouvoirs publics. Pour traduire cette souveraineté en actes, il faut d’abord redonner à chaque citoyen sa place dans la vie publique. Il faut en quelque sorte reconstituer le peuple en voie d’éclatement. Un processus constituant est nécessaire en France et en Europe pour réintroduire le plus grand nombre dans le jeu démocratique. La communauté légale retrouvera ainsi les moyens de sa souveraineté. La loi pourra à nouveau s’imposer aux intérêts particuliers dans tous les domaines. Redonner à la communauté légale les moyens de sa souveraineté exige donc de refonder les cadres politiques dans lesquels la communauté de citoyens peut décider de son avenir en commun. Cela passe d’abord par la création d’une véritable Europe politique, comme espace de solidarités et de droits sociaux et non comme zone de libre-échange.

3.1.6 UNE CONSTITUANTE POUR L’EUROPE

C’est l’organisation d’un référendum qui a permis l’irruption des peuples français et néerlandais sur la scène européenne. Il faut un processus similaire au niveau européen. La construction de l’Europe par le haut est en effet vouée à l’échec car les élites européennes gagnées au libéralisme promeuvent désormais un projet contraire aux intérêts de la majorité des citoyens européens. Il faut donc redonder la construction européenne sur la volonté populaire exprimées par le débat puis le vote. Il s’agit de construire progressivement une République fédérale européenne respectueuse de l’intérêt général et non plus esclave des intérêts financiers et des lobbies.

Ceux qui croient que l’on pourrait obtenir une inflexion radicale de la construction européenne sans une nouvelle intervention des citoyens sur le terrain politique se trompent. La stratégie d’une simple renégociation au sommet sans intervention populaire est vouée à l’échec. De même celle d’une pression exercée uniquement par le mouvement social, en l’absence de partenaire politique capable de la relayer majoritairement. L’Europe ne changera pas tant que les citoyens européens ne prendront pas enfin le pouvoir pour imposer leurs choix. C’est pourquoi nous proposons la convocation d’une Constituante européenne, élue par les citoyens pour rédiger la nouvelle Constitution dont l’Union a besoin. Si les conditions n’étaient pas réunies pour engager ce processus dans l’Europe à 25, il pourrait être immédiatement amorcé par un noyau d’Etats, à commencer par le couple franco-allemand.

3.1.7 METTRE LE PEUPLE AUX COMMANDES POUR ENGAGER LA REFONDATION REPUBLICAINE DE LA FRANCE

Mettre le peuple aux commandes, c’est non seulement un objectif en soi, mais c’est la condition nécessaire au succès d’un processus constituant de grande ampleur. Au moment de la Révolution Française, le renversement radical de l’ordre ancien par la loi n’a été possible que grâce à la mobilisation du peuple. Robespierre l’avait parfaitement résumé : « Quand la loi a pour principe l’intérêt public, elle a le peuple lui-même pour appui, et sa force est la force de tous les citoyens dont elle est l’ouvrage et la propriété. ». Aujourd’hui encore, au Venezuela comme en Bolivie, la transformation sociale est d’autant plus radicale qu’elle est fondée sur l’implication populaire.

Dans tout système où s’est installé un apartheid social, la réintégration des pauvres dans le jeu est en particulier un puissant levier de bifurcation de l’ensemble de la société. Dans les processus constituants réellement populaires, les pauvres sont les plus ardents militants du dépassement du système car ce sont ceux qui tiennent le moins à l’ordre en place.

En France, le processus constituant doit solder le déni démocratique de la Ve République. Face à la personnalisation outrancière du pouvoir, la VIe République doit rendre au peuple sa souveraineté. Cela implique de donner au Parlement la prééminence politique pour rendre au législateur la définition de l’intérêt général. Dans cette logique, l’actuel système de contrôle de constitutionnalité des lois qui bride le souverain sans véritable légitimité n’a plus de raison d’être.

Mais ce processus suppose dans le même temps de limiter drastiquement le cumul des mandats et d’aller vers le mandat parlementaire unique afin que les élus puissent se consacrer pleinement à la charge législative.

La représentation élective doit être aux couleurs du peuple. La parité hommes/femmes s’impose pour surmonter les effets de la société patriarcale, qui freine l’accession aux mandats de la moitié de la population. L’élection des plus modestes aux responsabilités publiques doit être la priorité d’un véritable statut de l’élu, assurant une sécurité économique et sociale pendant la campagne, durant le mandat et facilitant une reconversion effective après. Le droit de vote et d’éligibilité des étrangers doit enfin être concrétisé pour les élections locales. Cet élargissement de la citoyenneté sera l’occasion d’ouvrir un grand débat sur le lien entre citoyenneté et nationalité, qui permettra notamment de poser les bases d’une politique d’accès élargi à la nationalité.

Mais la souveraineté du peuple ne doit pas s’exprimer lors de l’élection des représentants pour s’éclipser ensuite quand ils gouvernent. La refondation républicaine du pays suppose que l’intervention populaire se poursuive et se conjugue avec le gouvernement, grâce à de nouveaux processus permettant d’associer la population à la définition du bien commun. Pour que les citoyens soient partie prenante de la définition des objectifs prioritaires de la Nation, le travail législatif doit être préparé et accompagné par la présentation publique et la discussion argumentée des principales lois dans des ateliers civiques, dont le cadre d’organisation pourrait être les circonscriptions électorales. Le Parlement et l’Etat, comme les collectivités locales et les médias doivent dégager les moyens nécessaires à la mise en place de ces procédures participatives. Le recours à des référendums nationaux, mais aussi à des consultations sous la forme d’Etats-Généraux est un autre moyen de rendre le peuple maître des choix engageant durablement le développement du pays. La capacité permanente du peuple à changer ses lois doit enfin être reconnue à travers la possibilité de référendums d’initiatives populaires pour abroger ou proposer une loi. Au niveau local, la mise en place de budgets participatifs doit également devenir un nouveau mode d’élaboration des politiques publiques avec la population.

Revenir sur l’acte II de la décentralisation et renforcer la péréquation financière entre les territoires français sera indispensable pour rétablir la continuité de la puissance publique sur tout le territoire. Pour que la loi s’impose à nouveau partout et pour tous, le démembrement de l’administration en d’innombrables agences et autorités indépendantes devra être stoppé. Certaines devront être réintégrées dans l’appareil d’Etat ; toutes devront être placées sous le contrôle du Parlement et de la population.

A nouveau souverains dans la conduite des affaires publiques, les citoyens ne doivent pas redevenir serfs de retour dans l’entreprise où ils travaillent. La logique « une action une voix » qui prévaut aujourd’hui dans la sphère économique doit s’effacer devant le principe « un homme une voix ». Pour peser sur les grandes décisions économiques ayant un impact social, les institutions représentatives du personnel doivent être étendues là où elles n’existent pas et dotées de nouveaux pouvoirs contraignants.

3.1.8 PAS D’UNION POPULAIRE SANS UNION DES GAUCHES

L’énergie nécessaire à la remise en mouvement de tout un peuple ne peut être puisée que dans une union sans exclusive de toutes les forces de gauche. C’est là aussi un enseignement des bouleversements politiques à l’œuvre dans plusieurs pays latino-américains : pas de mouvement populaire sans rassemblement préalable de toutes les forces de gauche dans un front politique et social. Aucun changement profond et durable ne pourra plus venir de simples cartels électoraux de circonstance qui ne se préoccuperaient ni d’un programme commun, ni de l’implication populaire dans la bataille politique. C’est ce que qu’avait fini par devenir la gauche plurielle. C’est une des causes de son incapacité à poursuivre la transformation sociale du pays.

3.2 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION SOCIALE SANS EGALITE

3.2.9 L’URGENCE SOCIALE

L’état de survie dans lequel est déjà plongé plus de la moitié de l’Humanité menace de s’étendre. Véritables invariants d’échelle du nouvel âge du capitalisme, la misère et la précarité deviennent partout l’horizon du plus grand nombre. La destruction des services publics, la remise en cause des protections sociales et la dégradation de la condition salariale y conduisent.

Dès ses premiers pas en 1793, la République affirmait avec Robespierre que « la première loi sociale est celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister : toutes les autres sont subordonnées à celle-là. », y compris le droit de propriété. L’émancipation sociale suppose en effet de reconnaître les droits sociaux fondamentaux des personnes (se loger, se nourrir, se soigner, être éduqué, se déplacer, pouvoir travailler, vivre dans un environnement sain) et de les garantir par un Etat social.

3.2.10 LE DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE

Pour éradiquer la misère, nous proposons de commencer par assurer le droit au logement, reconnu dans notre Constitution mais largement bafoué dans la réalité. Rendre le droit au logement opposable par chaque citoyen à la puissance publique donnerait à celle-ci une obligation de résultat en la matière, comme pour l’école où la collectivité est obligée de scolariser les enfants, sous peine d’y être contrainte par la justice.

Pour répondre durablement à cette exigence républicaine, l’Etat et les collectivités locales doivent retrouver pleinement la maîtrise des instruments de construction des logements comme la maîtrise du sol. Repenser radicalement le statut du sol stopperait la spéculation foncière galopante qui sévit aujourd’hui dans de nombreuses villes. Les biens de l’Etat seront mobilisés au service du développement du logement social. La loi « de Robien » et la possibilité de vente à la découpe qui favorisent la spéculation immobilière seront abrogées. Les outils fonciers mis au service des collectivités locales seront affectés prioritairement à la réhabilitation du bâti et à la re-densification des villes, afin de garantir la mixité sociale et de stopper le mitage du territoire désastreux pour le développement durable. Les collectivités qui ne respectent pas l’obligation de 20% de logements sociaux seront pénalisées par l’arrêt des subventions publiques et par la possibilité pour l’Etat de se substituer à elles dans la maîtrise de leur sol. En rendant obligatoires au moins 20% de logements sociaux dans tous les nouveaux programmes immobiliers, la loi accélérera ce processus. L’Etat doit enfin retrouver son pouvoir de planification et d’orientation en rétablissant l’aide à la pierre et en égalisant les critères d’attribution des logements.

Parallèlement à la relance de l’effort de construction, des mesures d’urgence s’imposeront pour garantir une véritable couverture logement universelle : recours aux réquisitions de logements vacants, blocage des loyers pour 5 ans, suppression du dépôt de garantie pour les locataires et garantie du maintien dans les lieux.

3.2.11 LE DROIT AU TRAVAIL ET LE DROIT DE VIVRE DE SON TRAVAIL

Le capitalisme et le libéralisme dégradent sans cesse le travail humain en le réduisant au rang d’une marchandise comme les autres. Nous voulons réhabiliter le travail en garantissant son accès à tous et sa juste rémunération.

Nous proposons de mettre en place un nouveau statut du salariat garantissant la continuité du contrat de travail. En cas de difficulté économique de l’entreprise, il ne serait pas mis fin au contrat de travail. Le travailleur continuerait à bénéficier du maintien de sa rémunération, assurée par une nouvelle caisse de Sécurité sociale, d’une protection sociale intégrale ainsi que de la possibilité de choisir une formation prise en charge elle aussi intégralement. Le patronat serait pleinement responsabilisé par une obligation de reprise du salarié en cas de redémarrage de l’activité et un système de cotisations patronales modulées par un système de bonus-malus pénalisant les pratiques de « travail jetable ». Cette réforme permettrait de fondre l’ensemble des contrats de travail dans un contrat unique aligné sur le plus haut niveau de protection sociale. Elle aurait l’avantage de réintégrer pleinement les chômeurs dans le salariat et de rapprocher la situation des salariés du privé de ceux des salariés du public. Ce serait donc un formidable facteur d’unification du salariat, qui permettrait d’améliorer profondément la condition salariale. En particulier, le travail devra être correctement rémunéré, en commençant par porter le SMIC à 1500 euros nets et par aligner automatiquement les minima conventionnels aujourd’hui inférieurs au SMIC. Contre le chômage de masse, la reprise de l’activité créée par cette relance du pouvoir d’achat devra être accompagnée de la réduction homogène du temps de travail à 35 heures pour toutes les entreprises et de la reprise du mouvement progressif et général de réduction du temps de travail.

3.2.12 LA QUALIFICATION POUR TOUS AU PLUS HAUT NIVEAU

Aujourd’hui directement menacée de marchandisation, la qualification est le bien éducatif le plus précieux de notre société. Elle permet l’émancipation sociale de la personne en faisant le lien entre les savoirs acquis et l’insertion dans la société. Elle est un socle du rapport de force social et salarial dans l’entreprise ainsi qu’une condition de la liberté du travailleur. Elle conditionne l’avenir économique et productif du pays. Seule une mentalité petite-bourgeoise de mépris pour le travail, qui fait hélas des ravages à gauche, peut faire croire que l’école n’a pas à apporter de qualification professionnelle. On remarquera d’ailleurs que ceux qui refusent toute dimension professionnalisante dans l’éducation sont souvent les premiers à inscrire leurs enfants dans des formations extrêmement professionnalisées d’où sortent les futurs médecins, avocats, ingénieurs ou hauts fonctionnaires.

L’ambition d’une école du peuple doit plutôt être de rendre la qualification accessible au plus grand nombre et au plus haut niveau. Comme en matière de logement, le droit à la qualification doit devenir opposable par le jeune dans le cadre de l’orientation choisie. Ni les défauts de la carte de formation, ni la situation matérielle difficile de certains jeunes ne devraient leur faire renoncer à poursuivre leur formation vers les qualifications recherchées. L’enseignement professionnel doit ainsi être mobilisé et son réseau renforcé pour faire accéder tous les jeunes qui y entrent au moins jusqu’au bac pro. D’une part, il faudra créer une allocation de formation pour aider les jeunes à aller au bout de leur parcours qualifiant ou à le poursuivre (du bac pro vers le BTS par exemple). D’autre part, à chaque sortie qualifiante devra correspondre une possibilité de poursuites d’études, notamment vers le supérieur. Enfin, pour que l’égalité de tous les jeunes soit assurée, le collège devra préparer à toutes les voies du lycée et pas seulement à la voie générale.

Pour que la qualification profite à tous, y compris à ceux qui sont déjà sortis du système éducatif, la formation continue, l’apprentissage et la validation des acquis ne doivent pas rester aux marges du système éducatif. Les 23 milliards d’euros déversés par la collectivité dans la formation continue et l’apprentissage doivent être remobilisés par la puissance publique au service de l’intérêt général. L’unification des voies d’accès à la qualification est donc indispensable, avec un service public d’éducation élargi et l’institutionnalisation d’un pilotage unique, commun aux ministères du Travail et de l’Education nationale.

3.2.13 LA RICHESSE REDISTRIBUEE PAR L’IMPOT PROGRESSIF

Progressivement détruit par les libéraux, l’impôt républicain a perdu sa capacité à redistribuer la richesse mais aussi à financer correctement la puissance publique. Pour rétablir son efficacité, la progressivité de l’impôt devra être étendu à tous les niveaux, avec des impôts locaux entièrement refondus et assis sur les revenus et le patrimoine réel des habitants, un impôt sur les sociétés rendu progressif en fonction du taux de profit et des choix de répartition des bénéfices effectués par l’entreprise, un impôt sur le revenu renforcé par l’augmentation des taux et du nombre de tranches et l’égalité de traitement des revenus du travail et du capital. Cette révolution fiscale permettrait de rétablir les marges de manœuvre publiques et de réduire les impôts les plus injustes, comme la TVA qui devra être progressivement réduite en veillant à ce que les entreprises le répercutent dans les prix.

3.2.14 L’ACCES AUX BIENS COMMUNS GARANTI ET ETENDU

L’eau, l’air, l’énergie, le vivant et les écosystèmes, mais aussi la culture, les moyens de transports et de communication, ainsi que la recherche et les technologies qui en découlent sont des ressources et services essentiels aux populations. Ce sont des « biens communs de l’Humanité » dont l’accès doit être garanti pour tous. Une loi issue d’un intense débat national devra fixer clairement le périmètre de ces biens communs et l’inscrire dans la Constitution pour les soustraire au règne de la concurrence. Au niveau européen, un moratoire immédiat sur les libéralisations dressera le bilan de la concurrence. Des initiatives de services publics européens seront engagées avec les Etats volontaires.

La réappropriation sociale des moyens essentiels de la vie en collectivité devra ensuite être engagée et l’emploi public réhabilité. On renouera ainsi avec la conception républicaine selon laquelle « la propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion des biens qui lui est garantie par la loi dans l’intérêt général. »

La constitution d’un grand service public de l’énergie regroupant EDF, GDF mais aussi l’industrie pétrolière et nucléaire permettrait d’infléchir durablement et radicalement la politique énergétique du pays en dégageant des moyens conséquents pour les énergies propres et renouvelables. La taxation exceptionnelle des profits de l’industrie pétrolière contribuera à dégager les marges de manœuvre nécessaires. La pleine propriété publique d’EDF et GDF, cœur stratégique de ce service public, devra être rétablie. En matière d’eau, la structuration d’un service public national à partir des réseaux locaux sera engagée face à l’échec des délégations de la gestion à des firmes privées. Il garantira le droit à l’eau pour tous en rendant gratuit pour chaque ménage l’eau nécessaire aux besoins essentiels, comme en Belgique où les premiers mètres cubes sont gratuits pour les ménages. Pour assurer une vraie péréquation, l’Etat imposera un prix unique de l’eau sur tout le territoire. Il aidera sur le plan juridique, technologique et financier les collectivités à reprendre la production et la distribution de l’eau à l’occasion de l’arrivée à échéance des actuels contrats avec des sociétés privés. En matière de transports, les principaux leviers que sont la SNCF, les transports urbains et les autoroutes devront être maintenus ou ramenés dans le secteur public. La captation par les actionnaires de la manne des péages d’autoroute avec la privatisation des concessions autoroutières n’est pas acceptable. Cette rente doit être mise au service du développement du ferroutage et de l’amélioration des transports en commun. Avec la fin de l’ère du pétrole bon marché et ses conséquences climatiques catastrophiques, la puissance publique doit promouvoir les alternatives à la voiture individuelle. En matière de courrier et de télécommunications, un moratoire immédiat sur l’ouverture à la concurrence sera appliqué. Un bilan de celle-ci sera engagé. Cela conduira à imposer de nouvelles règles au secteur des télécoms (obligations tarifaires, limitation des dépenses commerciales et de publicité, obligations d’investissement) et à renforcer l’unité publique de la Poste. La construction d’un service public de l’accès à Internet sera engagée en mettant à contribution les bénéfices des entreprises du secteur et les financements publics nationaux et locaux. En matière de santé, l’égalité d’accès à des soins de qualité ne pourra être garantie que dans le cadre d’un système de santé vraiment mutualisé et sorti de la logique marchande et concurrentielle. Pour cela, l’unité du service public hospitalier sera renforcée en limitant la concurrence déloyale entre cliniques privées et hôpital public. La logique de déremboursement qui pénalise les plus pauvres sera renversée et la politique de prévention relancée, en particulier grâce à l’élargissement du périmètre du régime obligatoire de l’assurance maladie, auquel les mutuelles seront associées. Pour mettre réellement la médecine de ville au service de la santé 17 publique, il ne faudra pas hésiter à remettre en question le triptyque de la médecine libérale : liberté d’installation, liberté de prescription et paiement à l’acte. L’industrie du médicament doit enfin être intégrée de manière plus contraignante à la politique de santé publique : limitation des dépenses publicitaires et commerciales au profit d’un vrai système public de formation et d’information des médecins et des usagers, obligations renforcées de recherche, écrêtement des profits pour financer la protection sociale.

3.3 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION JURIDIQUE SANS LIBERTE

3.3.15 LES LIBERTES EN CRISE : ESCALADE SECURITAIRE ET JUSTICE A DEUX VITESSES

La lutte contre le terrorisme a conduit les gouvernements occidentaux à élaborer un arsenal répressif toujours plus attentatoire aux libertés publiques. Derrière ce prétexte, c’est surtout une occasion de domestiquer des populations gagnées par la misère et d’y entretenir la peur et le repli sur soi. Aux Etats-Unis, les associations de défense des droits de l’homme considèrent que l’Etat de droit n’existe plus. Moins spectaculaire, ce glissement est aussi à l’œuvre dans notre pays. Il se sert du musellement forcé par l’évident consensus contre la menace terroriste pour grignoter petit à petit le fragile équilibre entre libertés publiques et sécurité. C’est un mouvement sans fin. Car à quel moment pourra-t-on décréter la fin de la menace terroriste ? Déjà, les idéologues de la sécurité déploient leur argumentaire sur de nouveaux risques majeurs, causés par les nouvelles technologies ou issus des catastrophes climatiques. Le siècle à venir sera rempli de menaces collectives, potentielles et réelles, qui fourniront toujours des prétextes à davantage de sécurité contre les libertés.

Dans le même temps, les dysfonctionnements de la justice révélés de manière spectaculaire par l’effroyable affaire d’Outreau ont mis en évidence l’état de délabrement du service public de la justice. Ses réformes successives visant à accélérer le traitement des « dossiers » par des juges soumis à des cadences infernales ont ôté non seulement la capacité de discernement des juges mais aussi les garde-fous que constituaient les droits de la défense. La surenchère pénale dans certains domaines, et notamment la criminalisation croissante de la petite délinquance avec l’application de la doctrine de la tolérance zéro et la multiplication des comparutions immédiates, vise principalement les populations jeunes et pauvres, laissant de côté la sanction d’autres comportements criminels des cols blancs ou des entreprises. De plus en plus, les prisons sont celles de la misère et non de la justice. Cette mise sous contrôle sans précédent démantèle petit à petit l’édifice des libertés publiques constitué depuis la Révolution Française.

Il y a désormais urgence à rétablir l’Etat de droit pour garantir l’émancipation juridique. Elle implique le plein exercice des libertés publiques, l’égalité devant la loi et la justice, la reconnaissance de la présomption d’innocence, l’inviolabilité des personnes. Elle exige aussi l’approfondissement de droits élémentaires comme celui de disposer de son corps ou de vivre librement quand on est immigré sur le sol de France. Elle suppose enfin l’ouverture de nouveaux fronts de droits et libertés dans des domaines comme l’Internet.

3.3.16 SAUVER LES LIBERTES PUBLIQUES ET RETABLIR L’EGALITE DEVANT LA JUSTICE

Les principales mesures d’exception adoptées seront abrogées. L’appareil judiciaire sera mobilisé pour la défense des libertés individuelles et collectives et pas seulement pour la poursuite de la petite délinquance. Le contrôle conjoint du Parlement et de l’autorité judiciaire sur les forces de police sera renforcé pour que leur action contribue à protéger les libertés plutôt qu’à les limiter. Les modalités des contrôles d’identité et des arrestations seront strictement réglementées pour proscrire tous traitements discriminatoires. Le temps de non droit de la garde à vue sera clairement encadré, les procédures conduisant à la détention provisoire profondément réformées.

Les principes élémentaires de l’égalité devant la justice seront rétablis dans les procédures et les moyens d’y accéder. Le système des comparutions immédiates ou des compositions pénales sera radicalement réformé pour en finir avec la justice du pauvre. L’aide juridictionnelle sera étendue et confortée par la création d’un service public de la défense composé d’avocats à la rémunération garantie par l’Etat. Ce nouveau service public offrira une assistance et une défense de qualité à tous ceux dont les conditions sociales ou familiales compliquent l’accès à la justice : notamment les pauvres, les jeunes et les femmes, victimes de discriminations et de maltraitances.

La politique pénale devra être réorientée vers la poursuite de la délinquance patronale et environnementale. Les entreprises délinquantes seront plus facilement mises en cause dans le cadre de procédures pénales adaptées.

L’équilibre entre prévention et répression sera enfin rétabli en investissant massivement dans le travail social qui accompagne la justice, à commencer par la Protection Judiciaire de la Jeunesse aujourd’hui sinistrée.

3.3.17 ELARGIR LE DROIT A DISPOSER DE SON CORPS

Des droits élémentaires comme celui de disposer librement de son corps ne sont toujours que très imparfaitement garantis. Ils sont attaqués par le libéralisme dominant qui pousse à la marchandisation des corps.

Le droit effectif de la femme à maîtriser son corps impose de garantir et élargir le droit à la contraception et à l’avortement, de relancer le planning familial, la gynécologie médicale et la recherche en matière de contraception, de développer une véritable éducation à la sexualité et à l’égalité des sexes à l’école. La pleine émancipation de la femme fixe enfin l’objectif de disparition de la prostitution, qui n’est rien d’autre que l’expression du droit de propriété qu’auraient des humains les uns sur les autres. Le droit à disposer de son corps n’est pas celui de l’aliéner et le droit de se prostituer n’est pas une expression comme une autre de la liberté.

Le droit à disposer de son corps, c’est aussi les droits essentiels du malade à maîtriser son devenir dans l’enceinte de l’établissement de soins. Ces droits du malade, comme ceux des familles, restent encore insuffisants et mal définis, autour du moment de la mort. Un véritable droit de mourir dans la dignité devra être reconnu et concrétisé par des procédures adaptées.

3.3.18 GARANTIR AUX IMMIGRES LA LIBERTE SUR LE SOL FRANCAIS

L’émancipation juridique pose l’exigence élémentaire de liberté, dont tous les êtres humains qui touchent le territoire de la République doivent bénéficier. Pour cela une large refondation de la politique d’immigration s’impose. Les lois Sarkozy doivent avant tout être abrogées. Les conditions de séjour et de délivrance de la carte de résident de longue durée doivent être sécurisées et humanisées pour les personnes admises à séjourner sur notre territoire pour des motifs liés à l’immigration familiale, à la protection au titre de l’asile et des conventions internationales (contre le trafic d’êtres humains). De même, le droit de vivre en famille impose de clarifier les procédures de regroupement familial et de mariage avec des ressortissants français. Enfin, il nous faudra sécuriser la migration temporaire de travail en l’organisant et en protégeant les droits sociaux et sanitaires des saisonniers.

3.3.19 FAIRE DE L’INTERNET UN ESPACE PUBLIC DE LIBERTE

Autre front nouveau de droits, les technologies de l’information posent un problème inouï au capitalisme de notre époque en permettant la multiplication à l’infini de l’information, sans coût supplémentaire ni barrière de péage possible. Or cette information est désormais le support d’une part toujours plus grande de la valeur ajoutée mondiale dans les secteurs de l’industrie culturelle, des logiciels ou de la programmation. Pour instaurer ces droits de péage, les gouvernements édictent des mesures de contrôle empiétant toujours plus sur la vie privée des personnes. Alors que les technologies de l’information constituent potentiellement un formidable espace d’échanges culturels et de mise en réseau des intelligences, elles sont transformées en support d’une mise sous contrôle généralisée des populations au nom du droit inaliénable des entreprises à faire du profit. Un nouveau droit de l’Internet comme espace public doit au contraire être construit pour permettre la diffusion des échanges culturels au plus grand nombre, tout en garantissant la rémunération du travail et de la création.

3.4 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION INTELLECTUELLE SANS LAÏCITE

3.4.20 LA MONTEE DES OBSCURANTISMES

A l’école, l’offensive incessante des religions a rendu nécessaire le rappel aux fondements de la laïcité : pas de signes religieux. Mais l’exigence laïque de cantonnement des particularismes dans la sphère privée n’est plus seulement confrontée aux appareils religieux contre lesquels elle s’est définie dans l’histoire de notre pays. D’autres voies d’enfermement des consciences sont à l’œuvre d’une manière d’autant plus efficace qu’elles ne sont pas reconnues comme telles par tous. Le mercantilisme, l’ethnicisme, religieux ou non, ou le régionalisme sont autant de nouveaux obscurantismes. Ils divisent le peuple en montant les individus les uns contre les autres, entre communautés, entre régions, entre religions, voire entre ceux qui « ont réussi » et les autres dans la nouvelle fable bobocrate du « chacun peut y arriver au sein du grand marché ».

Contre cet enfermement des consciences, l’émancipation intellectuelle vise à libérer les individus en leur donnant une capacité de jugement autonome par l’exercice de la raison. Elle implique une éducation du peuple formant des citoyens éclairés et armant les futurs travailleurs grâce à la qualification. Elle exige l’extension de la laïcité.

3.4.21 FAIRE UNE ECOLE DU PEUPLE Former des citoyens éclairés par l’éducation et armer les futurs travailleurs grâce à la qualification doivent être les deux ambitions d’une école du peuple. Cela suppose de conforter l’objectif de 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, qu’il soit général, technologique ou professionnel, là où les libéraux tentent partout de réduire l’école à la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, voire d’abaisser l’âge de l’obligation scolaire à 14 ans. Dans la perspective d’élever la qualification du plus grand nombre, la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans devra être envisagée. Elle impliquerait notamment l’accès au bac professionnel ou technologique de tous ceux qui renoncent aujourd’hui à aller jusque là. Dans une société et une économie avancées, le baccalauréat est un minimum requis, aussi bien en terme de qualification que de capacité à être un citoyen libre.

Pour rétablir l’égalité de tous devant l’école à tous les niveaux, l’instauration d’un véritable ordre public éducatif devra être une priorité impliquant à la fois l’Etat et l’ensemble des collectivités concernées (communes, départements et régions). L’Etat devra pleinement assumer sa mission de mutualisation et de péréquation pour que les objectifs divers et les moyens inégaux des collectivités locales ne débouchent pas sur une école à plusieurs vitesses. Il lui faut garantir l’égalité des droits contre l’égalité des chances. Il devra imposer des critères de convergence éducative de la maternelle au supérieur. A chaque niveau de scolarisation, l’éducation et l’instruction constituent en effet progressivement les fondements de la qualification tout au long de la vie. Ainsi, dans un enseignement supérieur aujourd’hui féodalisé, droits d’inscription, services offerts aux étudiants, intitulés des diplômes et des parcours de formation doivent être plus étroitement encadrés pour rétablir l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur.

L’école doit fondamentalement être le lieu et le moment de convergence des politiques éducatives, de formation, de qualification et d’insertion. Elle doit également être son propre recours afin de prévenir les sorties précoces du système scolaire par la mise en œuvre des dispositifs adaptés à la prise en charge de tous les jeunes.

3.4.22 ETENDRE LA LAÏCITE

L’espace public n’appartient pas à des groupes ou à des intérêts particuliers. Conformément à l’ambition de la loi de 1905, il doit être rendu à tous, en particulier à l’école, à l’hôpital, dans tous les services publics. Mais aussi sur tout le territoire y compris dans les DOM-TOM, en Alsace Moselle ou en Corse où l’enseignement ici de telle religion, là de telle langue régionale ne doit plus être obligatoire. C’est la condition de l’égalité des droits et du libre exercice de la citoyenneté.

Trop souvent méconnue, la lutte contre la pollution de l’espace public par le mercantilisme est un des fronts sur lesquels doit résolument s’engager la bataille laïque. L’offensive des marques et l’invasion publicitaire ne sont pas une fatalité. Ce sont des lois qui ont par exemple ouvert la télévision à la publicité, autorisé la coupure des films et multiplié la durée des spots publicitaires.

Ce n’est pas un hasard si les rares secteurs qui résistent encore, comme l’école ou la santé, n’ont pu le faire que grâce à des législations particulières qui interdisent ou limitent la publicité. Limiter la place de la publicité par l’auto-modération ou l’éthique professionnelle ne peut conduire qu’à son extension au rythme de la marchandisation de la société.

La loi doit donc intervenir pour arrêter l’invasion publicitaire. Elle commencera par l’école. Parce qu’ils n’y sont pas encore en terrain conquis, les publicitaires prennent l’apparence d’aimables philanthropes avant tout désireux d’apporter leur aide là où la dépense publique est devenue insuffisante. Ils prétendent même agir comme des auxiliaires du service public. Mais l’offensive des marques est d’autant plus intolérable dans le milieu scolaire qu’il s’agit d’une menace pour la liberté de conscience. Ce nouveau cléricalisme développe déjà une morale exécrable de l’apparence, aggravant les conséquences symboliques des inégalités sociales face à la consommation. Nous demandons donc que les marques soient hors-la-loi à l’école. Il faut retirer la circulaire du 28 mars 2001, présentée comme « Code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire », qui remplace la notion de laïcité par celle de « neutralité commerciale ». Jusqu’alors, c’est une circulaire du Front populaire qui régissait les rapports entre l’école et les marques en stipulant qu’ « en aucun cas et en aucune manière les maîtres et les élèves ne doivent servir directement ou indirectement à aucune publicité commerciale ». Il faut y revenir car il n’y aucun mot à en changer.

Cette lutte contre l’invasion de l’espace public par la publicité doit être menée partout. Dans les villes notamment, les implantations d’espaces publicitaires doivent être stoppées de la même façon que le volume de ces espaces doit être restreint dans l’univers médiatique et sur le Net.

3.5 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION CULTURELLE SANS LUMIERES PUBLIQUES

3.5.23 LE NOUVEAU CLERICALISME MEDIATIQUE ET LA CASSE DU SECTEUR CULTUREL

Les individus comme les sociétés se construisent à travers la représentation qu’ils se font d’euxmêmes.

La production abondante d’une culture de masse structure l’ensemble du monde social, alors même qu’elle s’élabore en dehors de toute intervention des citoyens. Ainsi, la production culturelle est aujourd’hui trustée par une poignée de conglomérats qui imposent à la plus grande part de l’Humanité les mêmes référents libéraux. La concentration capitalistique est particulièrement prégnante dans le secteur des médias où les sociétés de presse et de production audiovisuelle sont aux mains de quelques grands groupes d’actionnaires qui gèrent avec le même souci de rentabilité la production de l’information et les activités industrielles auxquelles ces groupes sont souvent liés. L’endoctrinement par la télévision et la publicité a ainsi été clairement théorisé par le patron de TF1 comme devant fournir des temps de cerveaux disponibles pour acheter du coca-cola. Quant au budget mondial affecté au marketing et à la publicité, il permettrait de régler le problème de la pauvreté mondiale.

Dans ces conditions, le pouvoir médiatique est devenu un quatrième pouvoir qui, allié au pouvoir économique, écrase les anciens pouvoirs de la souveraineté populaire. Les nouveaux puissants le gèrent en dehors de tout contrôle citoyen. Les médias dominants exercent en effet un pouvoir exorbitant, véritable droit de vie et de mort sociale sur leurs contemporains, en décidant à leur gré ce qui est vrai ou faux, digne ou indigne d’intérêt, juste ou scandaleux. Ils exercent un quasi monopole sur la production des représentations de la société, d’autant qu’ils ont contribué à dénigrer et contourner toute forme concurrente, en dévalorisant l’engagement politique et en s’autoproclamant porte-parole du peuple par la grâce des sondages. Or le contenu des médias est loin d’être neutre. Il constitue même le principal vecteur de l’idéologie dominante de notre époque : apologie de la construction de soi par la consommation, dissolution des identités collectives, culte d’un hédonisme égoïste, exaltation des fausses rebellions qui ne remettent pas en cause le système. La précarisation des conditions de travail des journalistes, leurs impératifs de rentabilité et d’audimat, rendent progressivement impossible la production d’une information éclairée et éclairante. Se copiant les uns les autres, les médias tournent en boucle en répétant inlassablement l’idéologie dominante, comme une nouvelle liturgie des masses.

Les gouvernements de droite s’emploient à conforter cette domination culturelle en cassant la production artistique indépendante. Ainsi depuis 2002, le maillage culturel de notre pays s’effiloche, notamment par une baisse considérable des crédits accordés à l’éducation artistique en milieu scolaire et par une attaque sans précédent contre les artistes et les techniciens du spectacle : 40 000 intermittents du spectacle sortis du système depuis 2003.

Contre la misère culturelle et l’endoctrinement médiatique qui l’entretient, l’émancipation culturelle forge des esprits libérés du conditionnement des origines et de l’emprise des conditions matérielles d’existence. Elle implique notamment la capacité de la société à maîtriser sa propre représentation. La reconquête de la société par elle-même suppose une offensive assumée contre l’emprise exercée par ces nouveaux cléricaux publicitaires-médiatiques.

3.5.24 LE DROIT DU PEUPLE A LA REPRESENTATION

Il s’agit d’abord de mener la bataille culturelle. Celle-ci peut prendre pour cible les productions et les travers les plus abjects des médias dominants comme les émissions de télé-réalité ou les bidonnages les plus grossiers de l’information. Le renouvellement des contrats de concession des chaînes privées, comme celui de TF1 en 2012, doit aussi être une occasion de remettre en cause leur rôle.

Sans intervenir dans le contenu des médias, un gouvernement républicain devra prendre des mesures dans deux directions : rendre les médias publics au pays, assurer le droit à l’existence des médias alternatifs.

Les médias publics n’appartiennent pas à la caste qui les gouvernent : ils appartiennent au peuple. La reconquête de l’audiovisuel public est une nécessité. Elle passe par une moralisation des pratiques. La recherche de l’audience est légitime, celle du profit ne l’est pas. Il faut donc mettre fin à l’ensemble des contrats léonins importés du privé qui permettent à quelques producteurs de s’enrichir au détriment des chaînes financées par le contribuable. De même, il faut interdire la publicité sur les chaînes publiques, dont le financement doit être intégralement assuré par l’impôt.

En complément, une politique volontariste doit être menée afin d’assurer le droit à l’existence des médias dits alternatifs. De très nombreuses initiatives existent, mais celles-ci sont étouffées par un marché médiatique soumis à la concentration privée et à la dictature du profit. Nous proposons de réserver des créneaux sur les ondes aux radios et aux télévisions associatives. Les fréquences hertziennes sont des biens publics. Il est inacceptable qu’elles soient appropriées comme une véritable rente par des groupes privés qui en tirent profit et que les citoyens compétents et motivés qui s’engagent bénévolement dans les médias alternatifs n’y aient pas accès. Il faut sortir de l’hypocrisie législative où une loi concède des droits sans donner les moyens de les exercer. Les télés associatives ont le droit de se porter candidates à l’obtention de canaux hertziens (locaux, nationaux, analogiques et numériques) mais aucun cadre ni modèle économique ne leur permet d’exister réellement face aux mastodontes privés. Des moyens publics doivent donc être mobilisés en faveur des médias alternatifs. Le fond de soutien alimenté par un prélèvement sur les recettes publicitaires qui existe pour les radios associatives doit être étendu aux télévisions associatives. La diffusion des chaînes associatives de radio et de télévision pourrait aussi être prise en charge gratuitement par un établissement public. En contrepartie, la publicité serait interdite sur ces médias, de manière à éviter leur glissement progressif vers une logique commerciale.

Le mouvement associatif doit être une composante du renouveau du service public, trop souvent dans une posture mimétique par rapport au privé. Les associations peuvent jouer dans les médias le rôle qu’elles jouent dans l’espace public en contribuant à une appropriation par la nation de son système public de radiotélévision. A ce titre, les associations d’usagers et les fédérations de médias associatifs devront être associées aux conseils d’administration des chaînes publiques.

3.6 IL N’Y A PAS D’EMANCIPATION ETHIQUE SANS VERTU REPUBLICAINE

3.6.25 LA CRISE EST AUSSI MORALE

Là où la guerre économique envahit toute l’activité humaine et où un nombre croissant d’être humains doivent lutter pour leur survie, le sens de la vie en société se perd progressivement.

L’apologie de la force, de l’égoïsme et de l’irresponsabilité prend alors le dessus dans les têtes. Le sentiment d’être méprisé par les élites et le discrédit des institutions érodent tout consentement à l’autorité. Privés de toute perspective de destin commun, les individus comme les groupes constitués ou les entreprises ne se sentent plus tenus par des règles qui seraient bonnes pour tous. Chacun s’en remet alors à la police pour tenir par la force une société où la paix civile est constamment menacée.

L’émancipation éthique transforme au contraire les individus en personnes. Là où la démocratie demande seulement à chacun de dire ce qu’il croit bon pour lui, la République exige que chacun dise ce qu’il croit bon pour tous. Elle donne la priorité dans chaque être humain à ce qui le fait semblable à son voisin, plutôt qu’à ce qui le fait différent de son prochain. Elle cultive le sens de la responsabilité collective et l’altruisme, fondements de la vertu républicaine.

3.6.26 EN FINIR AVEC L’IRRESPONSABILITE GLOBALE DE L’ENTREPRISE

Le progrès actuel du sentiment d’irresponsabilité doit beaucoup au comportement d’un nombre croissant d’entreprises dans le nouvel âge du capitalisme. La recherche du profit est certes la finalité des entreprises. Mais certaines en ont déduit le droit de s’affranchir de toute responsabilité vis-à-vis de la société et d’usurper la souveraineté populaire en réclamant que les normes communes se plient à leurs exigences particulières. La mise en concurrence des peuples et des territoires dans la guerre économique n’est pas tolérable, pas plus que la règle devenue systématique de privatisation des profits et de socialisation des pertes ou la captation de revenus indécents par un petit nombre dont le seul mérite est d’avoir su mieux exploiter leurs semblables. Il faut donc soumettre les entreprises comme les entrepreneurs aux intérêts supérieurs des peuples, en exigeant qu’ils assument leurs responsabilités sociales, écologiques et de participation à la production des biens communs de l’humanité.

Les entreprises doivent assumer leur responsabilité sociale. La baisse continue des cotisations sociales, l’irresponsabilité dans les politiques de licenciements, au seul but du profit, n’est plus admissible. Il faut mettre fin aux exonérations de cotisation sociale : quand on recrute un salarié, on paie son droit à la santé ou à la retraite et les augmenter au contraire significativement pour les entreprises qui recourent au travail jetable. Les entreprises doivent assumer leur responsabilité écologique. Aujourd’hui, elles ne paient pas pour les impacts environnementaux de leurs actions. De fait, elles scient la branche sur laquelle elles sont assises. De plus en plus de ressources vont se raréfier et se renchérir. Il faut donc intégrer réellement dans le coût des produits l’impact sur l’environnement de leur production.

Cela s’entend de l’extraction des matières premières (en taxant davantage celles non renouvelables), à leur transformation en produits finis (incluant la pollution qu’elle génère) et à l’impact de leur transport.

Les entreprises, enfin, doivent respecter les exigences du bien commun. Les entreprises ne doivent plus pouvoir freiner la diffusion de progrès fondamentaux à l’ensemble de l’humanité. Elles rachètent des brevets pour empêcher des innovations, elles n’investissent plus dans la production mais dépensent pour se racheter entre elles à des fins de profits pour les actionnaires, elles sont responsables d’un mouvement de déqualification générale des travailleurs. Or les besoins à venir sont immenses pour assurer l’accès aux futurs 9 milliards d’humains aux besoins essentiels (eau, énergie, nouvelles technologies, santé, etc.). Dans l’industrie pharmaceutique, plus de moyens sont consacrés à la publicité qu’à la recherche. En refusant de mettre produire et distribuer massivement de médicaments génériques au nom du droit inaliénable de cette industrie à faire des profits, l’OMC laisse mourir des millions de personnes de la tuberculose, du paludisme et du sida. La taxation des entreprises comme le système des brevets doivent donc être radicalement modifiés pour encourager les progrès qui bénéficient à l’humanité et pénaliser les comportements qui s’y opposent.

L’intervention des travailleurs dans la direction des entreprises est un autre moyen qui peut contribuer à mettre les entreprises en conformité avec leurs obligations d’intérêt général. Les décisions à fort impact social ou environnemental pourraient ainsi être soumises obligatoirement à l’avis conforme des comités d’entreprise, là où il n’existe aujourd’hui qu’un simple avis consultatif ou pas d’avis du tout.

3.6.27 CULTIVER LA VERTU REPUBLICAINE

Il n’y a jamais d’Etat républicain sans société républicaine. Il n’y a pas non plus de société républicaine sans citoyens républicains, conscients et motivés. Les vertus de l’engagement et de l’action collective doivent être remises au premier plan. Cela appelle une véritable politique d’extension et de mise en partage des droits et vertus républicains pour tous.

L’instauration du vote obligatoire concrétiserait ce tournant civique, là où la place de chacun n’est plus reconnue aujourd’hui dans la formulation du bien public. On ne vit vraiment en République que quand tout le monde donne son avis. Le vote obligatoire réintègre tous les individus dans la communauté civique et donne à voir au plus modeste que désormais il compte autant que le plus riche. Rendu obligatoire, le vote aura d’autant plus de force et de légitimité s’il est organisé en semaine avec obligation pour les employeurs de dégager les heures nécessaires à son exercice et si les votes blancs sont distinctement comptabilisés. Le vote obligatoire doit enfin s’accompagner du droit des citoyens d’intervenir dans l’élaboration de la loi comme nous l’avons proposé.

L’instauration d’un service civil ou militaire obligatoire pourrait être aussi un instrument puissant de renouveau civique. Destinés à toutes les filles et tous les garçons s’apprêtant à entrer dans la communauté des citoyens, il devrait s’effectuer dans des activités d’intérêt général et permettre de renforcer l’implication civique dans des missions aussi fondamentales que la défense passive, la sécurité civile, la santé publique ou la protection de l’environnement. D’une durée de 6 mois à un an, il pourrait être rémunéré par la collectivité à hauteur du SMIC et comporter gratuitement la préparation du brevet de secourisme et celle du permis de conduire. Ce service d’utilité publique tant pour le jeune que pour le pays permettrait à chacun d’apprendre ainsi la vertu républicaine en actes. Ces périodes de service obligatoire. seraient préparées avec le jeune, accompagnées par des personnels qualifiés et adaptées pour le faire progresser dans la voie professionnelle à laquelle il se destine.

4 Conclusion

4.1 VERS LA REPUBLIQUE SOCIALE

Souveraineté populaire, égalité, liberté, laïcité, lumières publiques et vertu républicaine : tels sont là les principes développés par la Grande Révolution de 1789-1793, des principes qui fondent une politique de l’émancipation que la gauche républicaine et le mouvement ouvrier n’ont cessé depuis de vouloir prolonger. Les révolutionnaires de 1848, les communards, les écrits de Jean Jaurès et le Front populaire disent ainsi leur volonté de mener la Révolution Française à son terme et ont donné à leur espérance le beau nom de République sociale.

Inégalement appliqués depuis dans notre pays comme dans le reste de l’Humanité, ces principes sont aujourd’hui frontalement contrecarrés par la domination planétaire du nouvel âge du capitalisme. Jamais un système économique n’avait atteint une telle hégémonie. Aucun territoire ne peut plus y échapper. Aucun compartiment de l’activité humaine ne peut plus s’y soustraire. Dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord, les ravages sociaux, environnementaux, culturels et moraux qu’il induit mettent la plupart des sociétés humaines en état d’urgence. Les conditions matérielles d’existence comme les consciences y sont contraintes à de nouvelles servitudes.

Notre manifeste montre l’actualité des principes émancipateurs pour répondre à cette crise multiforme qui touche nos sociétés. Il formule des réponses durables et alternatives à l’échelle internationale, européenne et nationale. Il propose la refondation républicaine de notre pays, c’est-à-dire le rétablissement de la souveraineté du peuple sur le cours du développement humain ; en particulier, grâce à l’appropriation citoyenne des moyens essentiels de la vie en société. Pour porter ce projet, notre méthode est l’implication populaire et l’engagement civique et social de chacun. Ce Manifeste en est le premier instrument, que nous proposons au débat public des citoyens et de l’ensemble des forces de gauche.



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