D’un état d’urgence à l’autre (Résolution politique adoptée par la Conférence nationale de PRS les 10-11 décembre 2005)

jeudi 15 décembre 2005.
 

D’un état d’urgence à l’autre

PRS a été fondée sur un diagnostic et un projet. Nous estimions lors de notre fondation, en mai 2004, que la France était entrée en état d’urgence politique. Nous avions caractérisé ce moment comme celui où les différentes crises qui habitent la société (crise sociale, institutionnelle, politique, nationale) convergent et entrent ainsi toutes ensemble en zone critique. Les attaques contre les salariés, les chômeurs, la remise en cause des statuts et des services publics représentent une confrontation sans précédent. Pour mener à bien cette régression, le gouvernement a procédé par ordonnance. Depuis, l’état d’urgence sécuritaire a été très officiellement décrété par le Conseil des ministres et voté par l’Assemblée nationale. A cette heure, la France vit sous une loi d’exception qui porte ce nom. Décrété une première fois en plein milieu des affrontements urbains dans les quartiers populaires, l’état d’urgence a été prolongé pour une durée de trois mois.

Les émeutes urbaines n’ont été que le prétexte à un redéploiement idéologique de la droite préparé de longue main. La droite met en place sa réponse au résultat du 29 mai.

Comme en 2002, minoritaire sur la question sociale, la droite libérale compte reconquérir une légitimité sur le terrain sécuritaire. Elle escompte en particulier renouer sur cette question le fil avec les catégories populaires qui se sont massivement mobilisées contre elle le 29 mai dernier. Elle espère a minima les détourner de la gauche en les renvoyant vers l’abstention ou le vote d’extrême droite. C’était déjà le pari du référendum sur la Constitution européenne : la droite et la gauche d’accord sur le « oui » devaient laisser au Front national le monopole de la contestation de l’Europe libérale. La campagne du « non » de gauche a permis qu’il en soit autrement. La droite devait repartir à l’offensive. C’est ce que Sarkozy a fait en mettant le feu à la poudrière. Depuis, on assiste à une avalanche de déclarations et de mesures sans rapport avec l’explosion des banlieues mais qui dressent la toile de fond que le gouvernement tente d’imposer dans le débat politique d’ici 2007. Montrés du doigt la polygamie, les paroles des chansons de rap, l’immigration (du regroupement familial aux étudiants étrangers), le droit du sol ou les mariages « mixtes », la toxicomanie, le terrorisme... L’amalgame sécuritaire et anti-immigrés fonctionne à plein. Jusqu’ici, il a déjà permis de rejeter à l’arrière-plan des questions sociales pourtant brûlantes comme la privatisation d’EDF. Il a servi à aggraver des attaques contre la forme républicaine de la France.

La République menacée Rarement la droite aura autant parlé de la République, pour mieux la détruire. La référence républicaine n’est en effet mobilisée qu’en appui des trouvailles sécuritaires. Pour eux, l’instrument du retour à « l’ordre républicain », c’est la matraque plutôt que l’égalité des citoyens, la liberté des personnes et la fraternité entre tous. Celles-ci sont au contraire systématiquement attaquées.

Les instruments de l’égalité sociale sont mis à bas un à un. La casse des services publics s’est accélérée après le 29 mai. Dès le mois de juin, le gouvernement a engagé une nouvelle privatisation de France-Télécom. En juillet, c’était au tour de Gaz de France, puis des sociétés d’autoroutes, bientôt suivis par la SNCM et EDF. En attendant, prochainement, ADP. L’impôt républicain progressif a subi lui aussi de nouvelles atteintes avec la réduction des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu et l’instauration du « bouclier fiscal ». Dans le même temps, la taxe sur les plus-values a été réduite au bénéfice des détenteurs de capitaux. Quant aux droits des travailleurs, il sont visés par le Contrat Nouvelles Embauches « Villepin » ou la fin de l’obligation scolaire à 14 ans, en attendant une nouvelle réforme de l’assurance-chômage et de nouvelles attaques contre le Contrat à durée indéterminée.

Les libertés sont également mises en cause. La loi coloniale mobilisée pour instaurer l’état d’urgence autorise de graves restrictions des libertés individuelles et collectives. Cet arsenal répressif a été renforcé par de nombreuses lois comme celle sur le terrorisme qui encourage la vidéosurveillance, les écoutes téléphoniques, le fichage des automobilistes sur les grands axes routiers avec leurs parcours, la surveillance d’Internet. La CNIL dénonce « un risque pour la liberté d’aller et venir et pour la vie privée ». Après le mouvement lycéen, la grève de la RTM décrétée illégale, la condamnation de José Bové, la répression aveugle des affrontements de banlieue, on assiste à la volonté de criminaliser toute forme de résistance à l’ordre néolibéral.

Enfin, la fraternité républicaine est systématiquement bafouée. Les communautarismes sont encouragés en haut lieu. Un siècle après la loi de 1905, Nicolas Sarkozy reçoit des dignitaires musulmans pour évoquer la révolte des banlieues. Le ministre de l’Intérieur ne lit pas les rapports des Renseignement généraux qui précisent que les islamistes n’ont joué « aucun rôle dans le déclenchement des violences et dans leur expansion » et estiment que « les jeunes des cités étaient habités d’un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d’exclus de la société française » ? Flattant d’une main les responsables religieux, Sarkozy organise de l’autre une surenchère anti-immigrés (mesures contre l’immigration irrégulière en plein projet de loi antiterroriste, déclarations contre le droit du sol...) qui encourage les réflexes xénophobes dans la population. Cette stratégie délibérée vise à provoquer les affrontements identitaires chers aux néo-conservateurs américains tenants du « choc des civilisations ».

Il faut ajouter le mépris constant de la souveraineté populaire. Le vote du 29 mai n’est toujours pas respecté. Chirac n’a pas retiré la signature de la France du Traité Constitutionnel Européen. L’article 88-1 de la Constitution française continue d’indiquer que « la République peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l’Europe signé le 29 octobre 2004 ». L’incivisme manifesté au sommet de l’Etat signe aussi le caractère antirépublicain du régime.

Pour une gauche populaire, républicaine et sociale Ce contexte d’urgence commande à la gauche. Elle doit en prendre la mesure. Des mois de résistance dans la rue et dans les urnes n’ont pas permis d’arrêter l’offensive de la droite. L’élection présidentielle de 2007 impose donc à la gauche de chasser la droite du pouvoir. C’est une nécessité vitale ! Le chemin qui conduit à la victoire électorale n’est pas encore tracé. Contrairement à ce que certains croient, le travail des semaines et des mois qui viennent ne consiste pas simplement à sélectionner des candidats. Il se joue d’abord sur le terrain, pour gagner ou regagner les consciences à la gauche, déjouer le piège sécuritaire, imposer d’autres problématiques. C’est plus particulièrement dans la France populaire que cette bataille des consciences est cruciale. Elle détient en effet les clefs de l’élection. Si elle se mobilise à gauche, comme elle l’a fait le 29 mai, ou dans une moindre mesure, lors des élections cantonales et régionales de 2004, la présidentielle sera gagnée. Sinon, la défaite sera au rendez-vous, ouvrant durablement la voie à la droite libérale-communautaire.

Pour gagner les consciences à gauche, il faut d’abord les arracher à l’emprise sécuritaire et communautariste. La gauche a suffisamment payé d’avoir estimé que l’élection présidentielle de 2002 devrait se jouer sur le terrain de la lutte contre l’insécurité plutôt que de celui de la lutte contre le chômage. Il serait suicidaire pour elle de mettre le doigt dans l’engrenage sécuritaire, au nom d’un consensus qui la soumet pieds et poings liés aux surenchères de l’adversaire. De même, la bataille culturelle contre l’idéologie communautariste n’est pas un à-côté du combat de la gauche. Car, en niant l’existence même d’un intérêt général, le communautarisme renvoie chacun à sa différence et interdit la construction d’une alternative à l’hégémonie néolibérale.

La gauche doit se montrer capable d’imposer ses thèmes et de démontrer que les réponses à la crise du pays passent par plus de solidarité. Il est regrettable qu’aucune campagne de soutien populaire ne soit venue appuyer la lutte des travailleurs de la SNCM ou de la Régie des Transports Marseillais ou que si peu ait été fait en direction des usagers d’EDF privatisée. On ne peut croire en la solidarité que si on la voit en actes. C’est décisif autant pour ceux qui résistent que pour ceux qui peuvent du coup s’impliquer dans leurs luttes, contredisant ainsi la morale funeste du chacun pour soi.

Le projet de la République sociale permet de répondre à la crise d’identité du pays tout en rejetant la voie du communautarisme. Pour les républicains sociaux, l’identité de la France n’est pas ethnique. Elle est politique. C’est la République de l’égalité sociale et de la laïcité qui fonde l’identité du pays. Ce projet s’oppose frontalement au libéral-communautarisme ; il formule une alternative globale à ce dernier.

L’indispensable union des gauches Il y a des désaccords idéologiques à gauche, notamment sur les questions républicaines. L’heure n’est pas à la « vérification idéologique préalable ». Ces différences ne doivent pas faire obstacle à la nécessité absolue d’une union des gauches. C’est en particulier la condition de la reconquête sur le terrain des consciences populaires. Le référendum a montré l’énergie populaire et citoyenne, libérée par le rassemblement, pourtant incomplet, de la gauche. Imaginons toute la gauche se retrouvant dans un combat commun ! Tant de nos villes et de nos villages, la division de la gauche signifie tout simplement son absence. Seul le rassemblement de la gauche permet un travail d’éducation populaire et de mobilisation de masse à la hauteur des moyens considérables dont dispose l’idéologie dominante. Sans ce travail préalable, l’élection présidentielle de 2007 s’engagerait dans les pires conditions. Au plan électoral aussi, le rassemblement de la gauche ne peut être que le fruit d’un travail de conviction dans les profondeurs du pays. PRS refuse donc la division et se bat pour une union des gauches sans exclusive.

La volonté unitaire n’est pas encore dominante à gauche. Les partisans du « non » de gauche n’ont pas toujours été à la hauteur des responsabilités confiées par le vote du 29 mai. Au Parti socialiste, les tenants du « non » n’ont pas su se rassembler. Par ailleurs, la stratégie qui consiste à découper un espace « à la gauche de la gauche », défendue en particulier par la direction de la LCR, ne favorise pas une perspective unitaire pour la gauche tout entière. La gauche du « oui » éprouve quant à elle de grandes difficultés à tourner la page. Ainsi, les relations du PS avec le partenaire communiste n’ont pas encore été rétablies sur une base de confiance. Divisée, la gauche a été globalement inaudible au moment des flambées de violence. C’est un signal d’alerte extrêmement préoccupant pour l’avenir.

Pourtant, les conditions existent pour une nouvelle union des gauches. Le Parti Socialiste s’est engagé lors du Congrès du Mans à respecter le vote du 29 mai. A partir de là, un horizon se dégage pour des discussions avec toute la gauche. Le Parti Communiste Français maintient à travers ses forums une démarche de construction ouverte à toute la gauche et s’inscrit dans le cadre d’une majorité parlementaire alternative. Les débats préparatoires au Congrès de la LCR témoignent de l’existence d’un fort courant unitaire au sein de cette organisation. Partout, l’exigence d’union parvient à se frayer un chemin.

Candidat commun, programme d’union populaire Certains comptent aujourd’hui sur la brutalité de la droite pour réveiller les réflexes unitaires et susciter le désistement dans l’électorat de gauche. C’est un pari risqué. Car l’offensive sarkozyenne ne provoque pas seulement la remobilisation. Elle suscite aussi le désarroi et la résignation. Elle encourage le basculement vers l’extrême-droite ou l’abstention. Sans pratique de l’union, sans volonté de rassemblement, la force de la gauche se dispersera immanquablement. L’union est encore un combat dont les partis de gauche ne peuvent faire l’économie.

Les conditions sont-elles pour autant réunies pour que la gauche se rassemble derrière un candidat commun à l’élection présidentielle ? Cette question doit être posée. Car la multiplication des candidatures porte en elle le risque d’un nouveau 21 avril avec l’élimination de la gauche du second tour de l’élection. Malheureusement, faute de pratique unitaire établie à gauche, la perspective d’un candidat commun de la gauche dès le premier tour est sans doute actuellement difficile à atteindre. En revanche, il faudra bien un candidat commun de la gauche présent au second tour pour affronter la droite en 2007 et la battre en rassemblant l’ensemble des voix de gauche.

Il faut un programme commun des gauches. Ceci n’implique en rien que les partis de gauche renoncent à leurs propres objectifs et à présenter leurs propres programmes. Mais un socle d’engagements communs donnerait un sens et un contenu au rassemblement de la gauche en 2007. Le programme commun des gauches devra traduire le rejet du néolibéralisme qui s’est exprimé majoritairement dans le peuple de gauche. Il devra être élaboré en donnant toute sa place à l’intervention citoyenne. Il devra prévoir le contrôle par les citoyens une fois la gauche parvenue au pouvoir, tirant en cela les leçons de la période 1981-1983.

Chaque jour qui passe témoigne des dégâts que provoque la division de la gauche. Les semaines et les mois qui viennent ne feront qu’accroître l’urgence de son rassemblement. Dans moins de 18 mois, la réussite ou non du rassemblement de la gauche scellera le sort de l’élection présidentielle. Il n’y a donc pas un instant à perdre. PRS s’engage immédiatement et sans relâche pour une nouvelle union des gauches sans exclusive autour d’un programme commun des gauches. L’histoire montre qu’il n’y a jamais d’union sans militants de l’union. Nous serons donc de ceux-ci. Nous savons que de nombreux obstacles stratégiques et programmatiques surgiront sur ce chemin. Mais nous agirons avec la volonté de les dépasser car c’est celui de l’intérêt général.


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