La Slovénie assure actuellement la présidence de l’Union européenne. C’est à ce titre qu’elle vient de tancer le gouvernement portugais susceptible d’organiser un référendum sur le Traité de Lisbonne.
Présentée par beaucoup de médias comme une excellente élève de la démocratie européenne, la réalité est moins rose ; en voici un exemple.
En février 1992, la Slovénie a exclu une partie de sa population "non ethniquement slovène" et jugée indésirable, en la rayant illégalement et secrètement du Registre des résidents permanents. Plus de 18 000 personnes sont ainsi devenues des étrangers dans le pays qu’ils avaient, pour beaucoup, toujours considéré comme le leur.
Se retrouvant pour certains apatrides, pour d’autres citoyens d’un autre Etat avec lequel ils n’avaient aucune attache, les "effacés" ont tout perdu, à commencer par leurs droits humains les plus fondamentaux.
Ils ont été privés du droit de travailler, de toucher une retraite ou des prestations sociales pour lesquelles ils avaient pourtant cotisé à l’époque de la Yougoslavie, ont été privés du droit de scolariser leurs enfants, privés de soins médicaux, de papiers d’identité et de beaucoup d’autres droits.
En 2007, malgré plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle Slovène exigeant que les "effacés" soient réintégrés dans leurs droits, 6 000 personnes sont encore dans cette situation, dans une indifférence presque générale.
"Nous n’existons pas, c’est comme si nous étions morts !"
Alexander Todorovic, originaire de Serbie, vit en Slovénie depuis 1984. Il a fonde en février 2002 avec Matevz Krivic, ancien juge de la Cour Constitutionnelle, l’association des effacés de Slovénie :
"Je n’ai pas fait les démarches nécessaires en 1991 pour obtenir la citoyenneté slovène, par antipathie envers le nationalisme. J’avais mon permis de résidence, ce qui me paraissait le plus important, je ne me rendais pas compte que tout cela aurait de telles conséquences. Et les autorités se sont bien gardées de nous prévenir !
"En 1993, je suis allé déclarer la naissance de ma fille à la mairie, c’est à ce moment que j’ai appris que je n’existais plus. Les fonctionnaires m’ont fait savoir que ma fille slovène serait déclarée de père inconnu !"
Matevz Krivic se bat depuis plus de dix ans avec acharnement pour les "effacés" :
"Ce n’est que progressivement que nous avons pris conscience de l’ampleur du phénomène, et du fait que la situation dramatique de toutes ces personnes était due à un acte administratif unique !
"Nous avons maintenant la preuve que ces effacements sont dus à une action illégale du ministère de l’Intérieur datant du 26 février 1992"
Une famille prise dans un imbroglio administratif
Le cas de la famille Jasarov, Roms originaires de Macédoine, est particulièrement dramatique. Saban raconte :
"J’ai obtenu du travail ici en 1987, à l’époque c’était le même pays, et la Slovénie demandait des travailleurs. Moi, je voulais juste nourrir ma famille, je ne m’occupais pas de politique et je n’ai pas su [en 1991] que j’avais six mois pour me faire régulariser !
"En 1993, nous avons été contrôlés par la police. Sans aucune explication, ils nous ont arrêtés et fait traverser la frontière pour nous déposer au bord d’une route en Croatie (alors en guerre)."
La famille Jasarov commence alors un périple de près de quinze ans. Ils vivent un temps en Allemagne, où Saban trouve un travail, avant d’être brutalement expulsés vers la Macédoine (qui était indiquée comme leur lieu de naissance sur leur ancien passeport yougoslave, leur unique pièce d’identité).
La Macédoine refuse alors de les reconnaître considérant que leur résidence permanente est en Slovénie, ce qui implique selon les autorités qu’ils ont renoncé à leur citoyenneté macédonienne. La famille Jasarov a alors vécu en Serbie avec un permis de résidence temporaire.
Ne pouvant plus prolonger son séjour en Serbie, elle a réussi à revenir clandestinement en Slovénie. Saban est épuisé par cette existence broyée, et, montrant ses enfants, il commente :
"Ils sont maintenant adolescents et n’ont presque pas été scolarisés ! Nous voulons juste pouvoir vivre quelque part ! Il faut bien que nous soyons quelque part !"
Jugeant les "effacements" illégaux, la Cour constitutionnelle slovène a, à de nombreuses reprises, invalidé cet acte administratif, mais le pouvoir slovène n’a depuis pris aucune mesure en faveur des effacés.
Par Guillaume Carré (Journaliste à Budapest)
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