Débat socialiste : Royal et DSK font l’impasse sur l’Europe

jeudi 19 octobre 2006.
 

Mardi 18 octobre : c’est le premier débat public entre les candidats socialistes à l’investiture présidentielle. Beaucoup de questions seront discutées en deux heures par les trois concurrents, sauf l’Europe, qu’abordera uniquement Laurent Fabius.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce débat télévisé. L’exercice comportait sa part de risque. Le camp Royal a beaucoup répandu la hantise qu’il dérape dans de violents affrontements. On peut penser que la plupart de ces mises en garde visaient à jeter la suspicion sur le débat interne accusé d’enclencher une « machine à perdre ». Car les trois compétiteurs se connaissent depuis longtemps, se rencontrent régulièrement, ont participé et participent encore à de nombreuses instances communes sans qu’ils se soient jamais jetés à la gorge.

Un risque bien plus réel était de transformer un débat d’orientation politique en prestations d’étudiants à Science Po, alignant des monologues successifs avec des faces de bons élèves devant des militants réduits à noter, zapette à la main, les qualités cathodiques de leurs champions. Bref, que ce débat soit paradoxalement un moment de dépolitisation ne faisant guère appel à la capacité de raison et d’action qui devrait normalement caractériser tout militant de gauche. Même si cet écueil est loin d’avoir été évité, ce débat où la confrontation directe était interdite aura malgré tout permis de mesurer de nettes divergences sur des sujets aussi fondamentaux que le rapport au capitalisme, la relation aux classes populaires ou encore la conception du rôle de l’Etat. Il devient du coup plus difficile de prétendre, comme a tenté maladroitement de le faire Ségolène Royal en conclusion de la soirée, que la compétition interne au PS se limite à une différence de sexe ou comme le dit à l’extrême-gauche la LCR à une simple Star Academy sans contenu politique.

Pour autant, le débat a souffert d’une absence de taille. Alors que Laurent Fabius s’est exprimé clairement et à plusieurs reprises au cours de l’émission sur la nécessité de réorienter la construction européenne, ni Ségolène Royal ni Dominique Strauss-Kahn n’y ont fait la moindre référence. Ils n’ont tout simplement pas dit un mot de cette question. Or comment peut-on croire que la politique économique que mènera la gauche au pouvoir, le thème de l’émission, est déconnectée du contenu des politiques européennes ?

Royal et DSK, ardents partisans du « oui » à la Constitution européenne, ne peuvent l’ignorer. Si par extraordinaire ils l’avaient oublié, l’actualité immédiate leur a nécessairement rappelé cette réalité. Au moment même où ils passaient cette question sous silence, on débattait des énormes difficultés du groupe européen Airbus, qui a d’ores et déjà entraîné des suppressions d’emplois chez plusieurs sous-traitants français. A l’heure même où ils préparaient leur émission, on apprenait que la Commission européenne engageait une offensive en règle contre La Poste en demandant la libéralisation totale du marché postal au 1er janvier 2009, en exigeant que l’Etat français cesse d’accorder sa garantie à l’entreprise publique, en instruisant une procédure d’infraction contre le monopole du livret A.

Que valent les grandes orientations du projet socialiste sans une réorientation de la construction européenne ? Pourra-t-on défendre et développer le service public, imposer des priorités sociales et écologiques, financer le logement social, défendre l’indépendance énergétique, lutter contre les délocalisations si l’Europe continue à dériver vers une zone de libre échange, où toute intervention de la puissance publique est interdite au motif qu’elle fausserait le libre jeu du marché ? Bien sûr que non. Une politique de gauche digne de ce nom dans notre pays implique nécessairement une réorientation de la construction européenne.

Or pour y parvenir, il faudra affronter la réalité d’un capitalisme financier qui refuse tout compromis et de partis sociaux-démocrates européens blairisés qui ont fait le choix de l’accompagnement du système. En quoi la démocratie participative de Royal et l’alignement sur la social-démocratie européenne promu par DSK permettraient d’y faire face ? C’est la question à laquelle ils ne se sont pas aventurés à répondre. Mais alors qu’elle a été la préoccupation politique principale de l’année 2005, alors que la France prendra la présidence de l’Union en 2008, il n’est pas très raisonnable d’espérer que l’Europe soit la grande absente de la campagne présidentielle. D’autant que faire l’impasse sur l’Europe pendant la campagne, c’est se mettre la gauche et la France dans l’impasse au lendemain de l’élection.


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