Que veut Ségolène Royal ?

jeudi 15 juin 2006.
 

Il devrait être permis de ne pas aborder les déclarations de Ségolène Royal sur la sécurité du point de vue d’un turfiste mais de celui d’un citoyen. La question qui nous intéresse n’est pas de savoir si ses propos vont lui faire perdre ou gagner quelques mètres dans la course interne des investitures au Parti socialiste. Si le débat politique a encore un sens pour éclairer la République, il est de savoir si les propositions de Royal sont conformes à l’intérêt général.

Qu’a-t-elle donc proposé face à l’insécurité, thème de son déplacement à Bondy ? « Au premier acte d’incivilité » de l’enfant, obliger les parents à suivre « un stage dans des écoles de parents », et la « mise sous tutelle provisoire » des allocations familiales. Au niveau du collège, le placement « d’office » des élèves « qui font la loi et pourrissent la totalité d’un établissement scolaire » dans des « internats-relais », ainsi que l’instauration d’un « nouveau métier », des éducateurs sportifs qui assisteraient dans chaque classe les professeurs pour veiller à la discipline. Enfin, à partir de 16 ans, après la scolarité obligatoire, le placement d’office « au premier acte de délinquance » dans « des établissements à encadrement militaire » pour s’y consacrer, notamment, à des projets « à vocation humanitaire ».

On trouve d’abord dans cette liste un dispositif qui existe déjà : la mise sous tutelle provisoire des allocations familiales. Celle-ci doit être décidée par le juge et consiste à arrêter à la place des parents l’usage de leurs allocations. Cela la distingue du contrat d’autorité parentale de Sarkozy qui prévoit la suspension totale des allocations familiales sur demande du président du Conseil général. Mais cette mise sous tutelle n’est pas décidée « au premier acte d’incivilité ». C’est une décision du juge des enfants lorsqu’il constate l’incapacité de la famille à gérer les allocations dans l’intérêt de l’enfant. « Au premier acte d’incivilité », la suspension devient une sanction disproportionnée et injuste prise contre toute une famille pour la faute d’un seul. En outre, elle ne peut être décidée par la justice puisque nous ne sommes pas dans le cadre de la sanction d’un délit. Nous sommes donc dans la logique de « rééducation des familles » qui inspire aussi le stage obligatoire dans « l’école des parents ». Les incivilités sont vues comme la conséquence d’un défaut d’autorité parentale, qui n’a pas de cause sociale, comme le chômage par exemple, mais vient avant tout de l’incompétence ou de la démission des parents. Royal rejoint donc la philosophie de Sarkozy, mais aussi celle de la bonne société du 19e siècle soucieuse de rééduquer les « classes dangereuses » sans résoudre la question sociale.

Royal propose également des établissements à encadrement militaire pour les jeunes délinquants. Ils ont existé jusqu’à récemment. Des chantiers « Jeunes en équipes de travail » ont été créés en 1986 par l’amiral Christian Brac de La Perrière, à l’initiative des RPR Albin Chalandon, Garde des Sceaux, et André Giraud, ministre de la Défense. JET organisait des « stages de rupture » de 4 mois à l’intention des jeunes délinquants, mineurs ou majeurs de moins de 30 ans. Ces stages étaient proposés par le juge d’application des peines à des jeunes condamnés. Ils pouvaient constituer une alternative à la prison (là encore, de tels placements ne sont pas décidés « au premier acte de délinquance »). 5800 jeunes sont passés par ces centres. Mais ceux-ci ont été fermés en 2004 en raison des faibles résultats obtenus. Selon les chiffres de l’association JET, un tiers des détenus majeurs ne terminaient pas le stage en raison de leur expulsion pour non-respect de la discipline, de leur évasion, ou d’une mesure de libération anticipée. Au bout de 2 ans, seuls 40% des mineurs avaient échappé à la récidive. Il apparaît donc que les militaires ne sont pas les professionnels les mieux placés pour ces missions de réinsertion. Croire le contraire, c’est encore réduire les causes de la délinquance à un problème de « respect de l’autorité » mal inculqué.

Enfin, Ségolène Royal émet une proposition inédite : le recrutement de gardes du corps sportifs pour assister les enseignants dans les classes. L’idée circule depuis quelques temps que l’on pourrait prévoir en cas de besoin deux enseignants par classe. C’est une philosophie très différente. D’un côté, la discipline est issue d’un rapport de force physique, obtenue par la présence menaçante d’un garde du corps au fond de la classe, censé ne pas perturber l’acte d’enseignement. De l’autre, la lutte contre la violence à l’école fait partie du processus éducatif lui-même et réclame que celui-ci soit adapté.

Les propositions de Ségolène Royal constituent donc un net basculement vers l’idéologie sécuritaire. Elle rompent avec la pensée socialiste qui refuse de séparer la question de l’ordre social de la question sociale elle-même et qui pense l’émancipation des personnes comme un processus global et non comme un dressage. Elle est en revanche dans la droite ligne du blairisme qui ayant renoncé à changer la société, s’emploie à mater ceux qui perturbent sa « bonne marche ».


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