Des forces de l’ordre très bleu marine

dimanche 23 novembre 2014.
 

La mort de Rémi Fraisse est une conséquence logique des politiques de répression actuelles, fondées sur l’impunité des forces de l’ordre – mais aussi aggravées par la radicalisation de celles-ci, de plus en plus séduites par l’extrême droite.

Les forces de maintien de l’ordre font souvent un sale métier, reconnaissons leur une particularité, elles le font salement. La mort de Rémi Fraisse sonne comme une douloureuse piqûre de rappel : en France la police, la gendarmerie peuvent tuer dans le cadre de manifestations. Si un tel événement est heureusement rare, il n’est pas non plus un phénomène isolé. Depuis des semaines, les réseaux sociaux ont charrié leurs vidéos de violences policières, notamment au Testet dans le Tarn. S’inscrivant dans une vague de violences policières, toujours impunies, le décès d’un manifestant n’est donc pas un douloureux accident, mais bien le produit inéluctable des agissements des forces de l’ordre. La même semaine, jeudi 30 octobre, à la suite d’une intervention policière à Blois, un jeune homme de vingt ans, touché par un tir de flashball a perdu un œil.

Aux violences systématiques et disproportionnées de la police et de la gendarmerie s’ajoutent les bien curieuses manières de la police dans les manifestations. Le site Reporterre a publié de nombreuses photos de policiers en civil lors de la manifestation à Nantes, curieusement grimés en autonomes. Infiltration, comme le dit le préfet, ou agent provocateur, la question mérite d’être posée. « À Nantes, les forces de l’ordre ont créé le désordre... sur ordre », pouvait on lire sur la blogosphère. Pour nombre de militants aguerris, cela rappelle furieusement les grandes heures du tandem Pasqua-Pandrau au ministère de l’Intérieur à l’époque de la réforme Devaquet. Des forces de l’ordre gangrenées par l’extrême droite

L’emprise de l’extrême droite au sein de la police et de l’armée n’est pas une donnée totalement nouvelle. Il existe sans doute un tropisme particulier qui pousse les amateurs d’ordre, d’autorité à vouloir l’incarner professionnellement. L’ampleur de la dérive interroge cependant sur la nature fascisante des forces de répression en France.

Lors de la campagne présidentielle, le Cevipof, en partenariat avec Sciences Po et le CNRS, a réalisé une étude sur les intentions de vote des fonctionnaires (voir ici) en janvier 2012. Selon cette enquête, 37% des policiers et militaires (contre 3% des enseignants) affirmaient leur volonté de voter pour le Front National. Ces résultats inquiétants semblent corroborés par les enquêtes réalisées après le premier tour de l’élection présidentielle : en moyenne 23% des fonctionnaires auraient voté pour Marine Le Pen – soit cinq points de plus que sa moyenne nationale. Compte tenu des fortes disparités au sein de la fonction publique, les cadres et le gros bataillon enseignant ayant peu d’appétence pour le vote frontiste, un tel résultat ne peut s’expliquer sans des points de force, notamment dans la police et l’armée.

À ces données produites à partir de sondages, s’ajoute une étude de l’Ifop (lire ici), parue au cœur de l’été et intitulée : Gendarmes mobiles et gardes républicains : un vote très bleu-marine. Gendarmes mobiles et gardes républicains ont cette particularité de résider avec leurs familles dans des casernes. Cette concentration en un même lieu d’effectifs importants offre donc la possibilité d’étudier l’impact de cette présence dans des bureaux de vote où les gendarmes et leurs familles représentent de 15 à 100% du corps électoral.

Deux cas apparaissent comme chimiquement purs avec 100% du corps électoral constitué par les gendarmes et leurs familles : le 10e bureau de Versailles (gendarmerie mobile, camp de Versailles-Satory) et le bureau 14 à Nanterre (gardes républicains). Les résultats sont sans appel. À Versailles, Marine Le Pen obtient 46,1% des voix au premier tour de la présidentielle et 37,5% à Nanterre. Comme il ne serait pas sérieux de construire une théorie statistique sur la base de deux bureaux de vote, l’auteur de l’enquête, Jérôme Fourquet, s’est livré à une étude approfondie des résultats à proximité des différentes casernes. Dans tous les cas étudiés dans cette analyse (à une exception), le bureau où se trouve la caserne est le bureau de la ville qui accorde le plus fort vote à Marine Le Pen. Globalement, l’IFOP estime le vote FN à 46% chez les gardes mobiles et à 34,5% chez les gardes républicains. L’impunité des forces de répression

Ces données pourraient alarmer les autorités de l’État, il n’en est rien. Le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, proche de Manuel Valls et spécialiste des questions sécuritaires, a ainsi expliqué sur son blog : « Cette étude ne m’alarme donc pas plus. Si le pourcentage réalisé par Marine Le Pen chez les gendarmes mobiles atteint le même niveau en France, là je serai inquiet. S’il y a du souci à se faire, c’est plutôt sur la situation globale des forces mobiles en France : avec les baisses d’effectifs de ces forces d’élite, je ne suis pas sûr que la France puisse faire face à des événements tels que ceux de 2005 s’ils se reproduisaient. »

Décidément bien mal inspiré, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve est sorti d’un impensable mutisme de quarante-huit heures après la mort de Rémi Fraisse pour déclarer : « Ce n’est pas une bavure. » Comme on suppose qu’il n’a pas voulu exprimer qu’il s’agissait d’une préméditation, de quoi donc s’agit-il alors ? D’une réalité assez simple : les forces de l’ordre n’ont jamais tort. Il existe une détestable habitude dans ce pays. À peine installés place Beauvau, les ministres de l’Intérieur soutiennent toutes les turpitudes de leurs troupes, envers et contre tout.

La montée des idées d’extrême-droite, doublée de l’assurance d’une quasi impunité, permet – encourage même – la répétition des dérapages. Il est sans doute exagéré de voir dans les agissements des forces de répression l’expérimentation de dispositifs de contre-insurrection, voire les prolégomènes d’une guerre de basse intensité. Il n’en demeure pas moins que la violence des crises sociales, écologistes, économiques, aggravées par le discrédit et la perte de légitimité du politique, nourrit un chaos croissant. Incapable de répondre aux souffrances de la société, se refusant à s’attaquer aux inégalités de toutes sortes, la tentation autoritaire, celle de l’ordre et de la violence d’État, peut alors s’imposer comme une solution pour certains responsables politiques. Il est grand temps de balayer tout cela.

Par Guillaume Liégard, Ensemble Front de Gauche


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