Les alternatives à l’incarcération : en sursis

vendredi 4 janvier 2008.
 

Les peines de substitution sont nombreuses et efficaces. Elles sont pourtant peu utilisées. Réticences face à l’opinion publique, manque de moyens, les causes de cette frilosité sont multiples. Le point avec Serge Blisko, député de Paris, et Jean-Yves Monfort, magistrat à Versailles.

La vie entre quatre murs. C’est le quotidien de plus de 60 000 Français. Au 1er octobre 2007, la France comptait 61 063 détenus pour 50 000 places de prison. Des chiffres qui disent à eux seuls l’absurdité du système pénitentiaire en France.

La surpopulation carcérale est devenue un fléau.Malgré ce constatmaintes fois établi, malgré les mises en garde répétées de l’Europe, la France persiste à considérer la prison comme la seule sanction valable. « Il faut sortir de ce principe », réagit Jean-Yves Monfort, président du tribunal de grande instance de Versailles et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). D’autant que, comme le souligne Serge Blisko, député de Paris et président du groupe d’études sur les prisons et les conditions carcérales à l’Assemblée nationale, « la prison, c’est l’école du crime. Toutes les études prouvent qu’elle favorise la récidive ».

C’est à l’époque de la Révolution française que l’emprisonnement est devenu la peine de référence. « On lui a assigné différents objectifs, explique Jean- Yves Monfort. D’abord punir puis, à partir de 1945 et la réforme Amor [ancien directeur de l’administration pénitentiaire, NDLR] préparer à la réinsertion. Mais cet objectif humaniste n’a pas été atteint. » Il existe pourtant de nombreuses solutions alternatives à la détention : le placement en semi-liberté qui permet à un détenu de travailler hors de la prison la dernière année de sa peine, le travail d’intérêt général, le contrôle judiciaire, le sursis avec mise à l’épreuve, la libération conditionnelle. Moins coûteuses qu’un placement en prison, ces mesures donnent aussi de meilleurs résultats en terme de réinsertion. Cependant, elles restent très peu utilisées. Dans un récent rapport, la CNCDH estime que 80 % des détenus n’ont pas bénéficié d’aménagements de peine.

Pourquoi ces outils, dont l’efficacité est reconnue, sont-ils si peu employés ? « À cause du populisme pénal, répond sans ambages Serge Blisko. En surfant sur l’émotion suscitée par des crimes épouvantables, le gouvernement parvient à faire croire qu’en mettant 60 000 personnes derrière les barreaux, dans des conditions indignes, la société est protégée.

C’est un cercle vicieux. La France est en voie d’américanisation pénale. Avec la loi de 2007 sur les peines plancher, ce sont 10 000 personnes supplémentaires qui vont se retrouver derrière les barreaux. » Le projet de loi pénitentiaire élaboré par Rachida Dati prévoit en effet la construction de sept nouvelles prisons, dont trois pour mineurs.Signe que c’est encore l’emprisonnement qui sera privilégié. « Ces programmes de construction font gagner beaucoup d’argent aux entreprises du BTP. Comme Bouygues par exemple », note Serge Blisko.

De son côté, Jean-Yves Monfort déplore le manque de volonté politique concernant les alternatives à la prison : « Il y a toujours une forme de schizophrénie chez les responsables politiques. Ils se disent favorables à des mesures alternatives et, dans le même temps, tiennent un discours de fermeté. Ils devraient pourtant nous aider dans nos efforts de pédagogie à l’égard de nos concitoyens. » Une sensibilisation qui vise notamment à faire comprendre qu’une peine exécutée en milieu ouvert n’est pas une faveur. « Ces dispositifs sont très contraignants, insiste Jean-Yves Monfort. Ils impliquent une intrusion dans la vie de l’intéressé qui peut être très pénible. » Mais le président du TGI de Versailles reconnaît également que les magistrats eux-mêmes sont peu enclins à opter pour ces mesures : « C’est un pari de maintenir les gens en liberté. Si le pari rate, le juge en porte la responsabilité. »

Et pour que les chances de réussite soient les plus grandes possible, il faut des moyens. « Ces mesures ne nécessitent pas de nouvelles structures, mais engendrent de nouveaux besoins », estime Jean-Yves Monfort. Le prix à payer ? Trois fois plus de conseillers d’insertion et de probation pour commencer. Un point qui ne figure pas dans le projet de loi pénitentiaire de la Garde des Sceaux.

Élisabeth Philippe


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