Impôt sur les milliardaires, défiscalisation des pensions alimentaires, baisse des taxes sur l’électricité… L’Assemblée a voté une série de mesures intéressantes, qui risquent toutefois de ne pas être retenues par le gouvernement. Voici pourquoi il faudrait les garder.
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UbuesqueUbuesque. Les discussions sur le volet recettes du projet de loi de finances 2025, dont les deux tiers des amendements ont été examinés entre le lundi 21 et le samedi 26 octobre, sont parties à vau-l’eau en fin de semaine. Après avoir rapidement compris qu’ils seraient mis en minorité sur de nombreux sujets, les députés macronistes ont en effet décidé de venir en très petit nombre aux débats, laissant la voie libre au Nouveau Front populaire (NFP) pour faire adopter ses amendements.
Même le ministre chargé du budget, Laurent Saint-Martin, s’en est ému après l’adoption, vendredi 25 octobre, d’un amendement de la députée insoumise Mathilde Feld instaurant un impôt sur les milliardaires.
Une proposition qui avait pourtant été jusqu’alors rejetée en bloc par le centre, la droite et l’extrême droite : « J’ai du mal à comprendre comment [cet amendement] a pu être accepté alors que tous les amendements précédents ont été refusés… », a lancé le ministre. Et la cheffe du groupe Insoumis, Mathilde Panot, de lui répondre : « Vos amis du Rassemblement national étaient partis à la buvette ! Et comme aucun des députés de votre groupe n’est présent, le Nouveau Front populaire a pu remporter ce vote. »
Ce cas de figure s’est répété. Et le NFP a engrangé les amendements adoptés. Le président insoumis de la commission des finances, Éric Coquerel, s’est ainsi félicité qu’à ce stade, 35 milliards d’euros de nouvelles recettes fiscales sur les plus riches et les grandes entreprises aient été votés, rendant le budget ainsi amendé « NFP compatible », en attendant le dernier tiers des amendements, qui sera discuté à partir du 5 novembre.
Assistons-nous, dès lors, à un grand pas en avant vers plus de justice fiscale ? Pas vraiment. Car il n’est bien entendu pas question, du côté de l’exécutif et du camp présidentiel, arc-boutés sur la politique de l’offre menée depuis 2017, de laisser passer ne serait-ce qu’une seule mesure fiscale d’ampleur provenant des rangs de la gauche. Ils laissent filer les débats à l’Assemblée en attendant l’inéluctable usage de l’article 49-3, voire l’adoption par défaut d’un budget qui serait coconstruit avec la majorité de droite du Sénat.
Mais si l’on fait abstraction des manœuvres qui ont brouillé la lecture des votes, il reste que tout n’est pas à jeter, loin de là, dans ces débats tenus en séance publique. La représentation nationale a notamment pu s’entendre, contre l’avis du gouvernement, sur plusieurs amendements remédiant à des injustices notoires du système fiscal et du projet de loi de finances. Passage en revue, avant probable disparition.
À la lecture du projet de loi de finances, il paraît clair que le gouvernement a la main beaucoup plus lourde lorsqu’il s’agit d’aller chercher des recettes dans les poches de M. et Mme Tout-le-Monde, plutôt que dans celles des plus fortuné·es. La hausse de la taxe sur l’électricité (TICFE) est un exemple criant : elle sera payée par tous les ménages, lesquels ont déjà vu leur facture d’électricité grimper de plus de 40 % depuis le début de la crise énergétique. Le gouvernement compte en tirer 3 milliards d’euros supplémentaires en 2025.
C’est plus que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (supérieurs à 500 000 euros pour un couple sans enfant), qui, en plus d’être temporaire, ne devrait rapporter « que » 2 milliards d’euros en 2025. Une différence de traitement difficilement acceptable. Des amendements provenant des rangs de la droite et de l’extrême droite, soutenus par la gauche, ont ainsi supprimé l’article 7 du projet de loi de finances instaurant la hausse de la taxe sur l’électricité. Et la taxe sur les hauts revenus a, quant à elle, été pérennisée par des amendements votés à l’initiative de la gauche et du MoDem.
Pour remédier à ce qui d’évidence est une importante source d’inégalités entre les hommes et les femmes, la députée socialiste Céline Thiébault-Martinez a déposé un amendement visant à retourner la logique fiscale qui régit les pensions alimentaires. Elle a ainsi proposé que soient défiscalisées les pensions reçues par le parent ayant la garde de l’enfant, « qui est dans près de trois quarts des cas la mère », et en miroir de supprimer l’avantage fiscal dont bénéficie le parent qui les verse.
Car actuellement, « le système repose sur l’idée que c’est aux femmes de s’occuper de leurs enfants et de s’en occuper seules. […] Et qu’un père qui verse un peu d’argent à la femme qui s’occupe de ses enfants peut défiscaliser cette somme. C’est profondément inégalitaire ! », a dénoncé lors des débats Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste. Elle a ajouté qu’« une mère séparée prélève chaque mois 560 euros de son budget pour s’occuper de son enfant. Elle tire cette somme de son revenu, sans possibilité de défiscalisation ». L’amendement, soutenu par tous les groupes de gauche, a été adopté de justesse.
À la surprise générale, les député·es du NFP ont réussi à faire voter vendredi 25 octobre un impôt sur les milliardaires de 2 % sur la partie des patrimoines supérieure à un milliard d’euros. Inspiré par l’économiste Gabriel Zucman, l’amendement de la députée Mathilde Feld s’appuie aussi sur les travaux de l’Institut des politiques publiques (IPP) qui ont démontré que les très grandes fortunes payaient, grâce à divers mécanismes d’optimisation, près de deux fois moins d’impôts (27 %) sur leurs revenus que le reste de la population (50 %), tous prélèvements confondus : TVA, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, CSG, etc.
Toutefois, dans une série de messages sur le réseau social X, Gabriel Zucman a expliqué que la proposition du NFP était à améliorer. Selon lui, il serait notamment préférable de la structurer sous forme d’un impôt minimum plutôt que d’un impôt supplémentaire, afin de sécuriser le dispositif au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Si ces améliorations étaient mises en œuvre, « alors il n’y a aucune raison d’hésiter : les recettes fiscales en jeu sont considérables, de l’ordre de 15-20 milliards d’euros », a-t-il expliqué.
Ce fut un beau cadeau fait par Emmanuel Macron aux exilés fiscaux. Dans la loi de finances 2019, il a réduit le délai d’imposition des plus-values latentes pour les propriétaires d’actions ayant déménagé à l’étranger à seulement deux ans, contre… quinze ans auparavant. Une mesure qui favorise assurément l’exode fiscal. Même la droite le dit ! Un amendement du député de la Droite républicaine Fabrice Brun, voté par tous les autres groupes de l’hémicycle hormis le camp présidentiel, vise ainsi à revenir au délai de quinze ans, instauré sous Nicolas Sarkozy.
C’est une manière de réinstaurer, dans les faits, une exit tax en France. L’idée du député étant bien de « lutter contre les transferts hors de France de domiciles et de sièges sociaux ayant pour seul motif d’éviter l’imposition de la plus-value résultant de la cession d’actions ». Balbutiant, le ministre du budget, Laurent Saint-Martin, a justifié son avis défavorable à cet amendement par le risque de nuire à « l’attractivité » de l’économie française. Comprenne qui voudra.
C’est certainement l’un des dispositifs fiscaux les plus dévoyés par les riches contribuables. Le pacte Dutreil, censé favoriser fiscalement les transmissions d’entreprises de taille moyenne et intermédiaire au sein de la famille, a, année après année, tellement été assoupli qu’il est désormais utilisé pour défiscaliser massivement les héritages les plus élevés. Selon l’IPP, le « Dutreil » limite notamment le taux d’imposition effectif sur les donations de parts de société à seulement 5,625 %. De quoi attiser les convoitises de celles et ceux qui veulent échapper à l’impôt.
La Cour des comptes et le Conseil d’analyse économique (CAE) ont déjà publié des rapports alertant sur ce risque. Et l’administration tente d’évaluer les pertes pour l’État, qui vraisemblablement se chiffrent en milliards.
En attendant, les députés Jean-Paul Matteï (MoDem) et Charles de Courson (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires – Liot) ont fait adopter deux amendements visant à limiter les abus : le premier porte de quatre à huit ans la durée de détention minimale des parts de l’entreprise héritées pour bénéficier du dispositif. Et le second sort du champ du Dutreil les biens personnels des dirigeants qui n’hésitent pas à utiliser ce dispositif pour défiscaliser les héritages bien au-delà de la transmission de leur propre entreprise.
Une mascarade. Dans son projet de loi de finances, le gouvernement a proposé de taxer les rachats d’actions. Une bonne idée, de prime abord : cette pratique très développée au sein des groupes du CAC 40 – les rachats d’actions ont atteint 30 milliards d’euros en 2023, selon Les Échos – sert surtout à doper artificiellement les cours de Bourse et les stock-options des dirigeants. L’exécutif propose ainsi de taxer à 8 % les opérations de rachat d’actions orchestrées par les entreprises réalisant plus de un milliard d’euros de chiffre d’affaires. À la bonne heure ! Problème, les recettes attendues n’atteindraient que… 200 millions d’euros en 2025.
Comment cela est-il possible ? Parce que l’exécutif a pris comme base taxable la valeur comptable d’une action et non sa valeur de marché. Or cela n’a rien à voir. « Un seul exemple suffit : la valeur boursière d’une action L’Oréal est à 394,6 euros, tandis que la valeur comptable d’une action L’Oréal est de 0,2 euro, 20 centimes. C’est 1 973 fois moins », expliquait le député socialiste Philippe Brun. Son groupe a fait adopter un amendement qui permet d’asseoir la taxe sur les rachats d’actions sur la valeur de rachat, et non sur leur valeur nominale, c’est-à-dire comptable, et passe son taux à 4 % au lieu de 8.
« Ces détournements coûtent à la France près de 3 milliards d’euros par an. » En première ligne sur ce sujet, la députée socialiste Christine Pirès Beaune semble avoir convaincu bon nombre d’élu·es de la nécessité de lutter contre les pratiques dites « CumCum ». Celles-ci constituent une quasi-fraude fiscale organisée avec la complicité des banques pour que les dividendes perçus par les actionnaires étrangers d’entreprises françaises ne soient pas taxés à la source en France.
Comment les actionnaires étrangers s’y prennent-ils ? En transférant au moment du versement des dividendes la propriété de leurs actions aux banques françaises, qui leur rétrocèdent ensuite leurs titres moyennant une commission. Ce mécanisme se pratique aussi avec des tiers financiers basés dans les pays dotés d’une convention fiscale avec la France qui ne prévoient pas de retenue à la source.
Pour lutter contre ces pratiques, deux amendements de Christine Pirès Beaune viennent compléter le mécanisme existant de régulation des CumCum en y ajoutant l’échange de la propriété d’une action. Ils ont été adoptés à la quasi-unanimité de l’hémicycle – seulement 5 et 7 voix contre –, le gouvernement ayant toutefois émis un avis défavorable.
Mathias Thépot
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