Mieux comprendre d’où l’on parle pour savoir ce que l’on veut dire Le village où j’ai grandi compte 1 502 habitants. Il est considéré comme un bourg rural dans la typologie de l’Insee. A la limite de l’aire d’attraction d’un pôle urbain de 135 000 habitant-e-s, 17.3% des actif-ve-s sont ouvrier-e-s, 15.2 % sont employé-e-s, 7.4% sont des professions intermédiaires. Pour les inactif-ve-s, 39% sont retraité-e-s tandis que 12.5% ne sont ni en emploi, ni au chômage, ni retraité-e-s. Le taux de chômage y est plus fort chez les femmes que chez les hommes et plus fort chez les 15-24 ans que pour la moyenne française. Les 20-40 ans sont beaucoup moins nombreux que la moyenne nationale. Les 65-95 ans, eux, sont bien plus représentés. C’est donc d’un village qui fait partie des 21% de villages classés comme “bourgs ruraux” que je vous écris. Dans sa population active, les ouvrier-e-s et les artisan-e-s sont sur-représenté-e-s, les cadres et les professions intellectuelles supérieures représentent moins de 1% de la population. Les personnes sans emploi et sans chômage sont beaucoup plus présentes qu’au niveau national. C’est aussi un village qui subit un vieillissement important de sa population et la fermeture de services publics (guichet du trésor public, guichet de la Poste, classes d’école primaire, etc). Enfin, c’est un village qui fait l’objet d’une attention particulière de la part de l’Etat du fait de sa structure socio-économique. Il appartient ainsi à une Zone de revitalisation rurale (ZRR) ce qui permet aux entreprises qui s’y implantent de bénéficier d’exonérations d’impôts ou de cotisations sociales.

A priori, on n’est pas vraiment étonné-e quand on entend que le Rassemblement National y a remporté haut la main les élections législatives de 2024. Pourtant, c’est un phénomène nouveau et surtout qui s’accélère. Depuis 1988, la 4e circonscription de Saône-et-Loire est socialiste. Le village dans lequel j’ai grandi, lui, a été dirigé par un maire et vice-président du conseil départemental socialiste également de la fin des années 1990 au début des années 2010. Le maire actuel est encore étiqueté “Divers gauches”. Au premier tour de l’élection législative de 2022, la candidate du Parti socialiste (PS) sortante, obtient 40.12% des voix tandis que la candidate RN n’en remporte que 22.5%. Cependant, au second tour, la candidate RN parvient à 43.6% des voix tandis que la candidate socialiste parvient à rassembler 56.4% des voix. En 2024, lors des élections législatives, la tendance à la montée en puissance du RN se confirme. Le candidat de ce parti obtient 44.2% des voix au premier tour puis 59.4% au second tour. Une bascule s’est donc opérée en deux ans.

Ma famille vit dans ce village depuis au moins trois générations. Mes arrières-grands parents s’y sont installés, mes grands-parents y sont restés, mes parents y ont grandi et y vivent. A ce titre, je bénéficie d’un « capital d’autochtonie »[1] relativement élevé. Celui-ci ne m’a pas desservi pendant mon parcours car il n’a jamais été la seule source de capital à laquelle j’ai eu accès. Ma mère est fonctionnaire territoriale et mon père profession intermédiaire. Dans ma famille, il y a beaucoup de professeurs des écoles et de fonctionnaires. Mes parents ont fait preuve de « bonne volonté culturelle [2] ». Ils croient en l’école comme vecteur d’émancipation et votent à gauche sans pour autant être militants. Ainsi, malgré la situation socio-économique du territoire dans lequel j’ai vécu, je n’ai pas souffert de difficultés particulières pour suivre les études considérées comme sélectives. J’ai été acceptée à Sciences Po Paris en 2017 et j’en suis sortie diplômée du master en Stratégies territoriales et urbaines en 2022. Aujourd’hui, je vis à Paris.

Pour aller plus loin : si toi aussi tu souhaites réaliser le portrait social et économique de ton territoire, je t’invite à utiliser l’outil de cartographie de l’Observatoire des territoires . Tu pourras ainsi réaliser une cartographie de ton territoire grâce aux données publiques.

Un blog à visée militante pour combattre l’extrême droite et les libéraux Si j’écris aujourd’hui c’est par militantisme. Membre du Parti communiste français (PCF) depuis 2022, j’ai activement participé aux deux dernières campagnes législatives. Nous avons été nombreux-ses à être frappé-e-s par la carte des résultats au soir du premier tour des élections législatives de juin dernier. Le RN avait conquis tout le territoire, en particulier les circonscriptions rurales et périurbaines. Dans les semaines qui ont suivi les résultats, de nombreuses analyses ont été faites de la montée du RN dans les territoires ruraux et péri-urbains, beaucoup relèvent de poncifs et ne permettent pas d’appréhender sérieusement les dynamiques à l’œuvre.

Pour ma part, j’ai commencé à me documenter sur les enjeux liés aux territoires en dehors des métropoles au cours de la crise des Gilets Jaunes de 2018, crise au cours de laquelle ces territoires ont fait irruption dans le débat médiatique et politique. Cette “France des ronds points” et des “sous-préfectures” est depuis scrutée et fait l’objet d’une documentation qui s’enrichit. Après les élections de 2024, les nombreux échanges avec mon entourage ont mis au jour la méconnaissance des ressources documentaires qui permettraient de comprendre les dynamiques économiques, sociales et culturelles dans ces espaces. Ces ressources existent pourtant et le désir de partager celles qui m’ont été utiles pour identifier les dynamiques à l’œuvre est à l’origine de ce blog.

Ce blog n’a pas vocation à être un travail académique, scientifique, objectif et exhaustif sur l’état de la recherche. Il se pense plutôt comme un outil militant, qui donnera des pistes de réflexion et de recherches plus approfondies pour ceux qui souhaitent comprendre les espaces ruraux et péri-urbains ainsi que leurs habitants.

Je souhaite donc contribuer à :

Donner à voir la difficulté scientifique à définir les territoires en dehors des villes pour montrer pourquoi il est difficile aujourd’hui de comprendre le vécu des habitants des territoires ruraux et péri-urbains ; Comprendre les dynamiques socio-économiques de ces espaces dans une perspective historique ; Faciliter la compréhension des difficultés économiques et sociales que rencontrent les habitants de ces territoires, sans les opposer aux difficultés similaires que rencontrent les habitants de territoires qui leurs sont parfois opposés ; Donner à voir les politiques publiques qui sont mises en œuvre pour répondre à ces difficultés et leurs insuffisances ; Déconstruire des idées reçues, sur ces territoires et leurs habitants qui ne sont ni des victimes à secourir depuis les villes, ni des “beaufs” racistes qui seraient intrinsèquement perdus aux partis de progrès social. A l’heure où leurs habitant-e-s votent de plus en plus massivement pour le RN mais aussi pour Reconquête, la gauche se doit de (re)devenir un acteur audible dans les ruralités et le péri-urbain. Pour ce faire, il me semble nécessaire qu’elle se forme aux enjeux spécifiques des territoires ruraux et péri-urbains afin de porter un projet émancipateur dans lequel leurs habitants pourront se reconnaître. Car c’est une croyance en l’égale valeur des individus libres qui nous anime et que nous devons réaffirmer. C’est donc bien à partir de cette valeur d’égalité que nous devons travailler à notre visibilité, sans compromission et avec détermination.

Agathe Gautheron

[1] Le capital d’autochtonie s’entend comme « l’ensemble des ressources que procure l’appartenance à des réseaux de relations localisés » in RENAHY Nicolas, « Classes populaires et capital d’autochtonie : Genèse et usages d’une notion », Regards Sociologiques, n°40, 2010, pp. 9-26, Consulté en ligne le 22/09/2024. URL : https://www.regards-sociologiques.f...

[2] JOURDAIN Anne, NAULIN Sidonie. Héritage et transmission dans la sociologie de Pierre Bourdieu. Idées économiques et sociales, 2011/4 N° 166, p.6-14. DOI : 10.3917/idee.166.0006. URL : https://shs.cairn.info/revue-idees-....