LFI, une gauche qui ose affronter les médias – Entretien de Jean-Luc Mélenchon avec Pablo Iglesias

lundi 14 octobre 2024.
 

Mélenchon. L’Insoumission et le média espagnol Diario Red s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours en France, en Espagne et en Amérique du Sud. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et de Diario Red.

Jean-Luc Mélenchon s’est entretenu avec Pablo Iglesias dans le cadre du nouveau cycle d’entretiens « A vueltas », diffusé sur Canal Red (YouTube Canal Red). Lors des dernières élections législatives en France, le Nouveau Front Populaire a été le grand gagnant. Au sein de cette coalition, la principale force politique est La France Insoumise, dirigée par Jean-Luc Mélenchon.

Dans un contexte politique tumultueux, des centaines de milliers de Français sont descendus dans la rue pour protester contre ce qu’ils perçoivent comme un coup d’État institutionnel de la part d’Emmanuel Macron. Ce dernier a nommé un Premier ministre de droite, avec des tendances proches de l’extrême droite, rompant pour la première fois avec la tradition historique qui obligeait le président de la République à choisir le Premier ministre parmi la plus grande force de l’Assemblée nationale. Dans ce contexte de crise, Pablo Iglesias a interviewé en exclusivité pour Canal Red le chef des Insoumis français.

Étant donné que les comparaisons entre la gauche espagnole et celle qui existe de l’autre côté des Pyrénées sont très fréquentes dans les médias espagnols, cette fois, l’accent est mis sur l’un des aspects les plus importants derrière le succès de La France Insoumise : sa stratégie et son discours vis-à-vis des médias. Il est impossible de mener une analyse pertinente sans se pencher sur cet élément crucial dans toute campagne électorale, ainsi que dans la vie politique quotidienne, et de le mettre en relation avec les différentes stratégies qui émergent dans ce que l’on appelait autrefois en Espagne « Unidas Podemos ».

Compte tenu de la profondeur, de la complexité, mais aussi de la clarté des propos de Mélenchon, nous pensons que la meilleure façon de comprendre la stratégie médiatique de LFI est de plonger directement dans ses propres mots. Nous avons simplement pris la liberté de corriger légèrement l’excellent espagnol du professeur, intellectuel et leader politique français, tout en respectant toujours le fond et l’intention de chaque phrase. Entrevue.

Diario Red / Insoumission – L’interview de Jean-Luc Mélenchon par Pablo Iglésias

Pablo Iglesias : Pour nous, à Canal Red, les médias de communication sont les grands acteurs idéologiques dans nos sociétés et, par conséquent, sont des acteurs politiques. Il est très rare que les médias, dans une interview avec un leader politique, lui posent des questions sur les médias en tant que rivaux politiques.

Nous, en revanche, nous aimons le faire. Et lorsque nous analysions, dans La Base et Canal Red, la campagne en France, nous attirions l’attention sur la manière dont les médias, pas seulement de droite, mais aussi les médias progressistes, y compris des médias progressistes espagnols comme El País, étiquetaient la figure de Jean-Luc Mélenchon.

Et nous trouvions des expressions comme « antirépublicain », « poutiniste », « antisémite », « russophile », « ami du Hamas » ou « figure toxique pour la gauche ». Quelles sont les stratégies que vous utilisez pour traiter avec une presse qui vous applique un type de violence médiatique aussi bestiale ?

« El País, c’est comme Le Monde, c’est le journal du Parti démocrate américain, point final. Cela ouvre une nouvelle ère. Quelle nouvelle ère ? Ils ne vous manipulent pas pour que vous pensiez, ils vous manipulent pour que vous ne puissiez pas penser »

Jean-Luc Mélenchon : D’abord, il faut comprendre cela, parce qu’au début, ça te paraît tellement énorme, tu souffres, tu te sens humilié parce que tu avais confiance en ces journaux, tu les lisais, tu rencontrais les journalistes. C’est très difficile, c’est très dur. Mais il faut accepter qu’ils sont les petites mains de Monsieur l’Argent. Et pour Monsieur l’Argent, nous sommes les diables absolus.

Avant, on disait : « sa politique est économiquement très mauvaise, parce qu’on ne construit pas une nation en expliquant que chacun est égal à l’autre, parce que ce n’est pas vrai, il y a ceux qui méritent et d’autres non, etc., etc. » Mais il n’y avait pas, comme aujourd’hui, l’insulte personnelle.

« Antirépublicain » pour moi, qui suis né dans le berceau de la République et n’ai jamais tenu un autre discours de ma vie que celui de la République… « Pro-Poutine », ça c’est… Qui dans ce pays a accueilli les opposants de gauche à Poutine ? Nous payons leur logement, nous payons leur voiture. Eux, ils parlent, mais ne paient rien. Nous le faisons. « Antisémite », c’est le pire de tous. Nous qualifier de racistes… bon… des vies entières dédiées à combattre le racisme.

Alors, cette mauvaise tâche d’El País, de ces journaux qui sont sous influence américaine. El País est comme Le Monde, c’est le journal du Parti démocrate nord-américain, point. Cela ouvre une nouvelle ère. Quelle nouvelle ère ? Ils ne te manipulent pas pour te faire penser, ils te manipulent pour que tu sois incapable de penser. Tu savais que Mélenchon est un ultrarépublicain, tu le savais d’avant. Tu savais que ce monsieur est très dur avec les curés, l’Église catholique et tout ça. Que se passe-t-il ? Alors, ils te disent : « Non, ce monsieur est antirépublicain. »

Alors, comme disait Hannah Arendt, tu mens une fois, deux fois, trois fois. Les gens voient que tu mens. Et les gens ne croient pas à tes mensonges. Non, les gens ne croient plus à rien. Alors, quand cette mauvaise tâche est faite, ce qui reste, c’est un peuple sans pensée. Ils ne peuvent pas penser. « Cet homme me semblait un peu nerveux, mais une bonne personne. Mélenchon, je le connais. Il a été ministre de l’Enseignement professionnel, très préoccupé pour la jeunesse. Et maintenant on me dit qu’il est très mauvais, antisémite, raciste. Bon, que penser ? Rien. Je ne pense à rien. » C’est ainsi qu’ils te manipulent. C’est la première chose.

La deuxième chose est qu’il ne sert à rien d’essayer de s’entendre avec eux. Cela ne sert à rien. Il faut les combattre. Comment ? En se moquant d’eux. En enseignant au peuple. Comme si toute la vie politique était un moment d’éducation populaire. Nous ne sommes pas un parti d’avant-garde, nous sommes un mouvement. Et nous nous moquons d’eux.

Nous faisons des vidéos montrant qu’ils disent une chose et son contraire une seconde après, uniquement pour t’attaquer, te piquer, t’insulter, t’humilier. Et avoir nos propres moyens de communication, la vidéo personnelle, les chaînes que nous avons les uns et les autres, et qui fonctionnent mieux et sont plus puissantes que les médias traditionnels. Je te le dis franchement.

« Si El País écrit, sans m’avoir vu une seule fois, que je suis antirépublicain… ils n’ont jamais discuté une seule fois avec moi de ce qu’est la République. Un Espagnol, borboniste, va m’expliquer ce qu’est la République à moi ? S’il vous plaît, messieurs. Allons, allons, parlons et je vais vous expliquer de quelle couleur est le drapeau républicain espagnol. »

Pourquoi est-ce que je vais à la télévision ? Très peu maintenant, très peu. J’y vais parce qu’ils nous font de bonnes vidéos. Nous les coupons et nous les diffusons. Ils paient l’électricité, les gens, les caméras, tout. Et ils paient pour que nous les insultions. Comme ils nous maltraitent, nous faisons de même.

Nous allons à une interview et nous leur disons : « Que dites-vous, monsieur ? Mais vous êtes un menteur. N’avez-vous pas honte de dire cela, qui n’a aucun sens ? » Et l’autre ne sait pas quoi dire, parce que nous brisons toujours le cadre. Avec eux, il faut toujours briser le cadre. Si tu vas discuter, traite-les de menteurs, parce qu’ils sont menteurs. Pas parce que tu es malpoli, parce qu’ils sont menteurs. Et les gens rient. Ils adorent cette bataille où le puissant est humilié. Il faut humilier ces gens.

Si El País écrit, sans m’avoir vu une seule fois, que je suis antirépublicain… ils n’ont jamais discuté une seule fois avec moi de ce qu’est la République. Un Espagnol, borboniste, va m’expliquer ce qu’est la République à moi ? S’il vous plaît, messieurs. Allons, allons, parlons et je vais vous expliquer de quelle couleur est le drapeau républicain espagnol.

Si vous ne vous en souvenez pas, moi, oui, parce que je l’ai dans mon bureau. Je l’ai dans mon bureau. Chaque jour, quand je vais m’asseoir avec mon ordinateur, je vois le drapeau républicain espagnol. Et aussi le cubain, c’est-à-dire quel diable je suis. Maintenant tu vas bien comprendre de qui tu parles.

C’est-à-dire que tu vois que cela me fait mal. Parce que je ne me représente pas le monde de cette manière. J’aime qu’il y ait une presse, qu’il y ait des journaux, qu’ouvrir un journal soit un plaisir, pas pour voir ma photo, qu’ils me prennent toujours la bouche ouverte. Ils sont toujours en train de me taper dessus comme ils l’ont fait avec toi.

Aucun sourire, toujours la bouche ouverte. Tu sais que dans les figures traditionnelles, les plus anciennes, la bouche ouverte est la figure dans le théâtre antique de la personne qui communique avec les démons, parce qu’elle a la bouche ouverte et on voit l’enfer. Alors, ils sont ignorants, mais nous, non. Alors, c’est un sujet qui nous fait souffrir.

« Vous savez comment les médias parlent de moi, comme si j’étais un démon. Pourtant, il arrive que des gens viennent me voir en pleurant et me disent « merci de nous avoir défendus ».

Mais si nous avons comme point de vue qu’ils n’ont aucun pouvoir, à la fin, qu’est-ce qu’il reste ? Celui qui ne m’aime pas lit que je suis le pire de tout. Quoi d’autre ? Il regarde la photo et ne lit pas, mais il le savait déjà.

Tu peux mettre un titre : « Le diable horrible est présent. » Il le savait déjà. Mais il y a des personnes qui écoutent et pèsent, parfois, je te le dis franchement, il se peut qu’elles soient de droite aussi, des adversaires politiques, mais respectueux de la pensée de l’autre, comme je le suis, de la pensée de droite, comme philosophie de vie, comme construction intellectuelle qui se présente au peuple pour qu’ils choisissent ce que nous allons faire dans chacun de nos moments, des étapes de la vie de la nation. J’ai cette forme de respect. Eux, non. Mais les gens voient, regardent.

Un jour, Andrés Manuel López Obrador, le président du Mexique, qui m’honore d’être son ami, je sortais de son bureau et il voyait que j’étais un peu découragé par la politique française et il me dit : « S’il te plaît, souviens-toi, le peuple te voit. Le peuple, même si tous n’ont pas beaucoup d’instruction, même si tous n’ont pas fait de grandes études, est capable de comprendre immédiatement que tu es sincère, que tu ne vas pas te vendre et que tu n’as rien à vendre. Ils le comprennent. Ne perds pas ta confiance dans le peuple. »

Et cela peut sembler un peu lyrique ou romantique, mais c’est une vérité si forte… Parfois, les gens viennent me voir. Tu sais comment les médias parlent de moi, comme si j’étais un diable. Pourtant, parfois, les gens viennent en pleurant et me disent « merci de nous défendre ». C’est ainsi. Alors, les médias doivent être combattus toujours, jour et nuit. Il n’est pas possible de s’entendre avec eux.

Article de Diario Red traduit par Rafael Karoubi


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