Samedi Jean-Luc Mélenchon a interpellé les macronistes et la droite en leur demandant s’ils étaient prêts à ne pas voter la censure d’un gouvernement Castets sans député Insoumis. La base militante de La France insoumise est plus soudée que jamais derrière la stratégie de sa direction.
Exit les désaccords sur le degré de conflictualité, la démocratie interne et l’opportunité de s’adresser prioritairement au bloc des abstentionnistes aux élections. Dans les travées des Amfis – l’université d’été de La France insoumise (LFI) –, à Châteauneuf-sur-Isère près de Valence, rarement la base militante est apparue aussi soudée derrière la stratégie de ses cadres. La purge des figures dissidentes du mouvement au moment des investitures pour les législatives anticipées est passée par là.
Picardie debout, le parti de François Ruffin, n’a plus sa tente au « village » du mouvement insoumis, pas plus que la Gauche écosocialiste (GES), dont l’un des dirigeant·es, l’ex-député insoumis Hendrik Davi, siège désormais dans le groupe écologiste à l’Assemblée nationale avec Clémentine Autain, Alexis Corbière, François Ruffin et Danielle Simonnet – qui ont créé un nouveau mouvement, L’Après. Les confrontations auront lieu ailleurs.
Au détour d’une conférence le 23 août où il a fustigé « l’autocrate » Emmanuel Macron, qui refuse toujours de nommer Lucie Castets à Matignon, Jean-Luc Mélenchon a réglé ses comptes une dernière fois avec ses anciens camarades, insinuant qu’ils fomentaient de longue date de créer « une association qui se chargerait de détruire les Insoumis de l’intérieur », et que le président de la République comptait bien sur ces remous internes au moment de la dissolution – un classique procès en trahison politique auquel adhèrent les militant·es.
Ceux-ci sont d’autant plus motivés à faire bloc avec leur direction que la dernière période est analysée comme ayant conforté ses choix stratégiques malgré la diabolisation du mouvement. Aux élections européennes, où LFI a misé sur la mobilisation des jeunes et des quartiers populaires, Manon Aubry a engrangé un million de voix en plus qu’en 2019, même si elle est arrivée derrière Raphaël Glucksmann : « On a fait le pari qu’en allant mobiliser les abstentionnistes, on gagnerait plus qu’en s’adressant au centre-gauche, et ça a marché à chaque fois jusqu’ici. Il n’y a donc pas de raison de changer de stratégie », estime Annabelle Huet, conseillère municipale à Montrouge (Hauts-de-Seine).
Le succès (relatif) du Nouveau Front populaire (NFP) aux législatives anticipées et le rôle de LFI dans le bras de fer enclenché avec Emmanuel Macron pour faire nommer Lucie Castets à Matignon confirme aussi, aux yeux des militant·es, que le mouvement a pris une nouvelle dimension. Ce 24 août, Jean-Luc Mélenchon a encore rebattu les cartes sur TF1 en s’adressant aux dirigeant·es macronistes qui refusent tout gouvernement du NFP qui comprendrait des ministres LFI : « Si le gouvernement de Lucie Castets ne comportait aucun ministre insoumis, vous engageriez-vous à ne pas voter la censure et à lui permettre d’appliquer le programme ? » Le camp présidentiel pourrait de ce fait être à court d’arguments pour refuser un gouvernement NFP.
À l’ombre des arbres qui protègent du soleil du Midi, le député Paul Vannier décrit un mouvement qui « gagne en compétence » au fur et à mesure qu’il se rapproche du pouvoir : « On est une force qui se prépare à gouverner sur le fond et qui découvre les étapes qui précèdent l’accès aux dernières responsabilités. Si Lucie Castets n’est pas nommée, on aura beaucoup appris pour un prochain rendez-vous qui se présentera inéluctablement à nous. »
La radicalité de LFI, parfois accusée par ses partenaires de gauche de nuire à une potentielle accession au pouvoir du NFP, n’est donc pas remise en cause à la base, au contraire. Les oppositions internes à Olivier Faure au Parti socialiste (PS), qui ont plus d’élus que sous la précédente législature, tentent pourtant d’exclure LFI de la coalition et se saisissent de tout propos des cadres Insoumis heurtant l’accord du NFP – comme récemment le message de l’eurodéputée Rima Hassan sur le 7 octobre ou encore ceux de la députée Sophia Chikirou sur le chef du Hamas tué. Les accusations d’antisémitisme à l’encontre de LFI n’ont pas non plus fini de diviser la gauche. Mais ces polémiques, même si elles gênent, sont vite étouffées, le contexte d’union du NFP aidant.
La procédure de destitution d’Emmanuel Macron s’il ne nomme pas Lucie Castets à Matignon, brandie par les cadres de LFI, est unanimement soutenue – même si elle est irréaliste dans les faits. « Je ne vois pas en quoi ce serait choquant, ce n’est pas un appel au soulèvement armé, argumente Edgar, 27 ans et matelot à Brest (Finistère), venu en sympathisant. Si LFI avait grossi en abandonnant sa ligne radicale, je ne serais pas là aujourd’hui. » Comme lui, 25 % des inscrits aux Amfis cette année n’étaient pas inscrits à LFI l’année dernière.
« La stratégie de LFI est de tirer la fenêtre d’Overtone à gauche, alors qu’il y a une extrême droitisation de la société. Même si la destitution n’a aucune chance d’aboutir, elle a conduit les socialistes à se positionner pour la motion de censure, c’est donc bénéfique », abonde Elrick, venu de Libourne (Gironde). Régulièrement, avant les conférences qui ont lieu sous des chapiteaux, les Insoumis·es reprennent un slogan qui témoigne de l’ambiance : « Lucie Castets à Matignon, sinon Macron, destitution ! » Jean-Luc Mélenchon lui-même a défini LFI comme « un immense mouvement dégagiste » lors de sa conférence.
Cette affirmation ne fait pas ciller Sophie, AESH (accompagnante d’élèves en situation de handicap) et militante drômoise à LFI, qui profite d’une pause-café entre deux ateliers pour rembobiner le film des derniers mois. « La gauche était divisée, on ne parlait plus de la Nupes, Macron comptait dessus pour la dissolution, mais on a réussi à refaire l’union, loue-t-elle. Et dans le quart d’heure qui a suivi le premier tour des législatives, on a dit qu’on se désisterait en cas de triangulaires pour faire barrage à l’extrême droite. »
Le fait que Jean-Luc Mélenchon eut affirmé, le soir du 7 juillet, que le NFP était « prêt à gouverner » sur « son programme, rien que son programme, mais tout son programme », lui a été reproché comme ayant desservi l’objectif de gouverner alors que la gauche n’avait pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Mais à LFI, au contraire, cette intransigeance programmatique est mise à son crédit : « La gauche paye ses compromis incessants depuis longtemps », argue Sophie. « Si la gauche se mouille avec la Macronie, qui est largement en chute, ce sera la voie royale pour le RN », approuve Bastien Castillo, militant grenoblois.
En cas de gouvernement NFP, les Insoumis chercheront donc des majorités texte par texte et comptent sur la mobilisation de la société pour contraindre les député·es non NFP de se rallier à ses propositions – sur les services publics, l’augmentation des salaires, etc. Quitte à ce que le gouvernement ne tienne que quelques jours avant d’être censuré. « La gauche renoue avec la notion de rapport de force. On ne peut plus gentiment convaincre, face à une extrême droite violente aux portes du pouvoir. Il faut aussi compter sur le mouvement social et les mobilisations », affirme ainsi Sébastien Ramage, ex-candidat LFI aux législatives dans les Yvelines, qui attribue notamment le résultat du NFP à la mobilisation contre la réforme des retraites.
Julie Marty Pichon, éducatrice de jeunes enfants venue en tant qu’intervenante aux Amfis et ancienne élue locale du Parti socialiste (PS) en Haute-Garonne, est une des rares à plutôt pencher pour l’idée que la gauche doit saisir l’opportunité qui lui est offerte de gouverner, même s’il faut qu’elle mette de l’eau dans son vin. « Je suis sûre que si ça ne marche pas cette fois-ci, c’est terminé, on ne s’en relèvera pas. Tout le monde devrait prendre ses responsabilités, et il manque encore une union sacrée aujourd’hui, il faudrait qu’on parle d’une seule voix tout le temps », dit-elle.
Personne, dans les rangs insoumis, n’a oublié la menace de l’extrême droite, qui n’a pu être déjouée qu’en raison d’un barrage républicain largement respecté à gauche – moins dans le camp présidentiel. De nombreuses conférences étaient consacrées au Rassemblement national (RN) ces jours-ci. C’est la raison pour laquelle les militant·es insoumis rencontrés disent leur attachement à ce que le NFP perdure : « Si Macron ne nomme pas Lucie Castets, ça va augmenter le dégoût de la politique et faire monter l’extrême droite, raison de plus pour rester ensemble », analyse Cloé, 17 ans, militante à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Son amie Noémie, 19 ans, conclut : « On fera front contre les fachos, malgré nos divergences. »
Mathieu Dejean
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