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Roger Martelli
Les électrices et les électeurs français sont de drôles de pistolets ! Depuis 2017, la gauche est engluée dans ses basses eaux électorales, à peine au-dessus des 30% des suffrages exprimés. Après le désastreux quinquennat de François Hollande, l’inattendu Emmanuel Macron l’avait dépouillée d’une part de son électorat. Il se voulait alors « et de gauche et de droite » et la manœuvre avait réussi, malgré l’excellent score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle.
Le nouveau Président s’est empressé de revenir sur ses promesses d’équilibre : il s’est tourné franchement vers sa droite. La gauche pensait donc qu’elle allait pouvoir récupérer les électeurs perdus. Elle en gagna certes une poignée en 2022, mais infiniment moins que le parti de Marine Le Pen. Jusqu’au 30 juin dernier, le même phénomène s’est reproduit à chaque élection. Dimanche dernier, la gauche restait figée sur son score législatif précédent, alors que le Rassemblement national prospérait de façon spectaculaire : près de 20% de gains en sept ans !
Et c’est au moment où l’on attendait une victoire inéluctable du RN et un effondrement de la droite classique que la gauche rassemblée se retrouve en tête au soir du second tour, tandis que le RN est brutalement renvoyé à la troisième place. Il gagne certes une quarantaine de sièges – et même plus d’une cinquantaine avec les ralliés du parti Les Républicains –, mais qu’est-ce que ce gain, quand on visait la majorité absolue une semaine plus tôt ?
Le Nouveau Front populaire engrange ses 185 députés, le camp présidentiel résiste mieux que ce qui était annoncé avec 172 élus et le Rassemblement national patine, avec son contingent de 143 élus, au-dessous des fourchettes les plus basses qu’on lui attribuait à la veille du scrutin. Comme aux européennes, le RN était bien sûr arrivé en tête dans le plus grand nombre des circonscriptions, mais moins de 400 000 voix séparaient le bloc du RN et celui de l’union des gauches. À l’issue du premier tour, une bonne cinquantaine de circonscriptions laissaient planer l’incertitude, un faible déplacement dans un sens ou dans l’autre pouvant propulser chaque force au firmament de la fourchette haute… ou dans les profondeurs de la fourchette basse.
Le RN avait pour lui une dynamique porteuse soigneusement entretenue. Il bénéficiait de la dédiabolisation menée par Marine Le Pen dans un contexte européen favorable. Mais il avait contre lui deux éléments, qui pouvaient à tout moment le fragiliser. La « dédiabolisation » a réduit, mais n’a pas effacé la part de rejet suscitée par l’héritage de Jean-Marie Le Pen. En outre, malgré ses efforts, le Rassemblement national n’a pas réussi à desserrer l’isolement politique qui le cantonne à la place inconfortable des « extrêmes ». L’apport de Ciotti et de ses amis n’avait rien de négligeable, mais il restait bien modeste, quand il s’agit de rassembler le plus largement possible au sein d’une société et d’une opinion déchirées. Une répulsion en baisse mais restée conséquente et un isolement politique persistant.
La forte participation et ses effets sur la règle impérative des 12,5% laissaient entrevoir, pour la première fois depuis longtemps, la possibilité d’un nombre considérable de triangulaires. On considère souvent que la triangulaire favorise la candidature arrivée en tête du premier tout. Le RN pouvait d’autant se satisfaire du principe que tout le discours politique, depuis des mois, se focalisait sur la dénonciation lancinante du danger que faisaient courir les « deux extrêmes », dont celui de gauche, dans bien des discours, finissait par apparaître comme le plus redoutable. En bref, la diabolisation de LFI devait servir à dédiaboliser un peu plus ceux qui ont toujours eu du mal à se dépêtrer des souvenirs de la collaboration…
Or, en 48 heures, les triangulaires attendues ont fondu comme neige au soleil, malgré l’invocation insistante au « ni-ni » de certains, Edouard Philippe en première ligne et malgré les ambiguïtés des sommets de la macronie. On pouvait penser que la déception des uns et des autres de ne pouvoir concourir au second tour nourrirait une fois de plus la tendance au désengagement et limiterait les reports de la droite vers la gauche et réciproquement. Manifestement, il n’en a rien été.
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