Communistes français : face à leur destin – La présidentielle et la conférence nationale du PCF

samedi 12 novembre 2016.
 

Pierre Laurent s’était prononcé pour un soutien à Jean-Luc Mélenchon. La conférence nationale du PCF a préféré une candidature communiste à la présidentielle. Le dernier mot reviendra aux militants. Le dernier, vraiment ?

La Conférence nationale du PCF, ce samedi, a renvoyé le secrétaire national du parti dans les cordes. Il s’était in extremis prononcé pour un soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon. 53% des 535 délégués des fédérations ont choisi l’option d’une candidature communiste (5% se sont abstenus). Il reste à savoir si les militants vont confirmer ou non ce choix à la fin du mois. Quel que soit le résultat final, il laissera un parti divisé.

Le fruit des atermoiements de sommet

C’est la première fois que la direction du parti est contredite par les cadres intermédiaires sur un sujet aussi important. Le résultat n’est pourtant pas une surprise absolue. Pendant des mois, la direction communiste a tergiversé, laissant entendre d’abord qu’elle acceptait l’idée d’une primaire de toute la gauche, pour affirmer ensuite que ce serait à condition que François Hollande n’en soit pas. Quand des noms se sont mis à circuler, en dehors de l’option Mélenchon, on a laissé entendre, du côté de Fabien, que l’on était intéressé : Taubira, Hulot, Montebourg… tout s’étudiait.

Vendredi encore, Pierre Laurent, tout en se prononçant en faveur du soutien à Mélenchon, a continué à expliquer qu’une victoire de Montebourg serait un signal fort. Il suggère qu’alors tout pourrait être rediscuté. Le problème est que l’annonce par le numéro un de sa préférence a été précédée par une longue période où l’accent a été mis sur les désaccords avec le leader de la France insoumise, davantage que sur les possibles convergences. Le discours officiel du PC se voulait équilibré ; en définitive, il est surtout perçu comme confus et illisible. Jusqu’au bout…

Au dernier Congrès de juin 2016, déjà les divisions s’étaient exprimées. Un quart des militants avaient affirmé une option « identitaire », un autre quart avaient soutenu une option favorable à un rassemblement de type Front de gauche. Ces deux groupes demeurent. Mais la majorité s’est ventilée cette fois sur les deux options proposées pour 2017. Et au final, la dynamique a été plutôt du côté de l’option 2, celle favorable à un candidat du PCF. Cette option est sortie nettement majoritaire (55% des votes exprimés à la conférence nationale). Elle n’est pourtant ni homogène, ni même stable. Le 27 octobre dernier, L’Humanité publiait une tribune collective, intitulée « Pour un choix clair » en faveur d’un candidat communiste [1]. Elle était signée par plusieurs dizaines de responsables communistes, nationaux et locaux. Leur liste révélait la jonction de deux sensibilités longtemps restées apparemment antagoniques, et pourtant depuis longtemps rapprochées par la conviction qu’il n’est pas de force solide et fiable à la gauche du PS autre que le PCF lui-même [2].

Or, par-delà les passerelles entre les deux sensibilités, le choix d’une candidature estampillée PCF ne procède pas nécessairement d’une même logique pour les uns et pour les autres. Pour le premier groupe, elle est le prolongement électoral d’une conviction identitaire : le PCF ne peut exister sans être présent en tant que tel à toutes les élections, et d’abord à la plus structurante de toutes. Pour les anciens « huistes », défenseurs d’une « gauche plurielle » et d’alliances avec les socialistes, le choix est plus complexe : dans l’immédiat, l’affirmation d’une candidature autonome peut être un moyen d’exister dans l’espace politique, d’attendre l’éventuelle victoire de Montebourg à la primaire socialiste et de se diriger in fine vers une candidature de « large » rassemblement, et donc avec le PS. Auquel cas, l’alliance d’octobre peut éclater dès le mois de janvier…

Le maintien de l’incertitude

Le choix de ce samedi peut donc être doublement relativisé : il peut être contredit par le corps militant (les 50.000 cotisants réguliers) et il peut être remis en question dans deux mois, selon l’évolution de la conjoncture politique à gauche. De ce point de vue, les partisans de l’option numéro 1 (soutien à JLM) sont sans doute un peu plus cohérents. L’engagement du secrétaire national a été trop tardif et trop alambiqué pour peser vraiment dans le débat interne. Le choix en faveur de cette option a donc été défendu, quasi exclusivement, soit par les militants qui ont choisi de s’adosser à France insoumise (tribune du 7 avril 2016 dans L’Humanité, « Une voie pour l’alternative » [3]), soit qui appelaient à soutenir Mélenchon sans s’intégrer en l’état dans son dispositif de campagne (l’appel « Faisons front commun » [4]). Il est à noter que cette option a été soutenu par plusieurs élus de poids (Marie-George Buffet, Jacqueline Fraysse, Sébastien Jumel, Patrice Leclerc, Stéphane Peu…), inquiets d’une nouvelle marginalisation électorale.

La direction communiste avait fini par se résoudre à ne pas soumettre au vote « l’option » d’un rassemblement au-delà du Front de gauche (avec les frondeurs). Or cette option n’a pas disparu : elle a été simplement reportée à janvier 2017. Elle conserve la faveur du noyau dirigeant ; elle peut être rejointe plus tard par ceux qui, farouchement hostiles à Jean-Luc Mélenchon, ont considéré que la perspective d’une candidature communiste était la meilleure façon d’enrayer l’élan de l’ancien porte-voix du Front de gauche.

Rien n’exclut donc que se dessinent d’autres lignes de partage, quand les socialistes se seront prononcés. Officiellement, l’attrait pour cette formule est justifié par deux idées concomitantes : une victoire de Montebourg relancerait la donne à gauche ; elle rendrait possible un rassemblement de toute la gauche qui, seul, peut permettre à cette gauche d’être présente au second tour.

Or ce raisonnement est d’une extrême fragilité. Dans les sondages, la gauche tourne autour de 30%, en additionnant toutes les candidatures. Sur cette base, elle peut théoriquement postuler à une seconde place. Mais la politique n’est pas une mathématique. Un seul candidat ne peut pas espérer regrouper tous les suffrages quand les projets se distinguent sur le fond. Une candidature unique, surtout issue du socialisme actuel ne peut fédérer aujourd’hui la totalité des électeurs de gauche, ceux qui comptent voter et ceux qui ne votent plus.

Les mirages de l’union de la gauche

Le débat de 2002 refait surface. Ce n’est pas l’éparpillement des voix à gauche qui a alors provoqué le cataclysme, mais la politique suivie par le gouvernement Jospin. Aujourd’hui comme hier, droite et gauche l’emportent, non pas quand elles sont totalement rassemblées au départ, mais quand elles mobilisent des électorats, non pas sur leurs marges, mais en leur cœur. Dès lors, ou bien on pense qu’il n’y a pas d’autre politique possible que celle qui est suivie par tous les États depuis plus de trente ans, et il faut se résoudre, face aux « extrêmes », à choisir entre centre droite et centre gauche.

Dans ce cas, si la candidature « naturelle » de Hollande ou de Valls n’est pas possible, celle d’Emmanuel Macron est la plus « réaliste »… et encore : les sondages ne le mettent jamais en position de second tour. Ou bien on considère que seule une perspective de rupture avec trente années d’errements à gauche est à même de créer une dynamique. Mais comment incarner cette rupture par des candidats qui s’identifient avec un soutien aux errements précités ?

Au fond, d’où vient la poussée d’une droite radicalisée par un FN expansif ? De la désunion de la gauche ? En fait, ce qui est en cause, c’est le mal-vivre, l’angoisse d’un monde inégal et instable, la carence d’espérance sociale. Cela se voit depuis longtemps : il ne manque pas de pensées critiques, de forces de contestation, de désir de reconstruction. Mais tout cela ne s’appuie pas sur la conviction qu’il est possible d’envisager une société meilleure que celle dans laquelle nous vivons. Ainsi, si l’on peut encore gagner à court terme, et plus encore si l’on veut reconstruire à long terme, il n’y a pas d’autre ferment de dynamisation populaire que de porter un projet d’alternative franche au désordre dominant.

Laisser supposer que le choix de l’automne puisse être remis en question en janvier est donc gros d’une énorme ambiguïté. S’il désigne une possible orientation stratégique – un retour à « l’union de la gauche » ou à « la gauche plurielle » –, il conduit à l’impasse et au rabaissement du communisme français à un statut de supplétif du PS, social-libéralisé ou non. S’il n’est qu’un moyen de faire pression sur le PS pour obtenir des compensations législatives, il produira de sérieuses désillusions. Dans le PS laminé au premier tour, les places législatives seront chères. Et dans bien des cas, ce sont des « frondeurs » qui sont en concurrence avec les communistes. Il n’y aura pas de cadeaux à attendre.

Un parti fragilisé

Encore une fois, il faut bien constater que dans une situation confuse, la logique de l’identité a primé sur celle de l’ouverture. Tout se passe comme si, pour une part importante de l’encadrement communiste, cette ouverture n’est jugée que par ses bénéfices immédiats pour l’organisation. Dès 2012, sitôt passée l’élection présidentielle, le PCF considéra que son ancrage local militant justifiait que les élections suivantes (législatives, européennes, municipales, régionales et départementales) consacrent l’hégémonie écrasante de la représentation communiste. Or cette méthode s’est avérée faiblement payante : installant la dominante communiste, ces élections se situèrent dans la lignée des résultats communistes antérieurs et n’interrompirent pas l’érosion du communisme dans ses zones de force.

Mais le sommet du parti semble peu disposé à prendre en compte l’état réel de l’organisation. Il y a quelques mois, sur ce site, nous en dressions un tableau, nuancé mais inquiétant [5]. On sait que le PCF reste une force qui compte dans l’espace militant de la gauche. Il compte entre 70.000 et 100.000 adhérents, enregistre officiellement 50.000 cotisants réguliers et voit une trentaine de milliers de ses membres participer aux consultations internes. Si ces chiffres en font la force organisée la plus dense de la gauche de gauche, ils témoignent d’un affaissement continu.

Il n’est pas facile de trancher, tant les informations disponibles sont incertaines, mais on peut considérer que, en une décennie, le PCF a perdu entre un quart et un tiers de ses forces militantes et de ses élus. Or cette érosion le fragilise d’abord dans ses zones d’implantation les plus denses. Il est notable que, en 2012, alors que le score global du Front de gauche était supérieur de deux points au score législatif communiste de 2007, la représentation parlementaire communiste s’est, elle, affaiblie. Le Front de gauche a tiré la gauche de gauche de sa marginalité locale ; il n’a pas arrêté l’effritement de ce qui fut longtemps la « France communiste ».

La direction communiste en a conscience et considère que seul un gentleman agreement avec les socialistes peut sauver les sièges acquis et éventuellement en gagner quelques autres, dans des zones où la gauche est très majoritaire et le PS très affaibli. Mais si le geste en direction de l’électorat socialiste peut apporter quelques soutiens, comment mesurer les effets de la désunion du Front de gauche ? Une union de la plus grande gauche compensera-t-elle l’explosion de la gauche de gauche ? La perspective d’une multiplication de candidatures de France insoumise, jusque dans les zones où des communistes sont sortants, peut se payer très cher. Mais comment éviter des candidatures France insoumise, si le PCF et Mélenchon sont en rivalité à la présidentielle ? Et qui peut dire alors quels seront les effets à l’arrivée ?

Sauver le parti, ou l’idée communiste ?

À une poignée d’années du centenaire du Congrès de Tours, les communistes français sont donc devant des choix qui les engagent à long terme. S’ils s’engageaient à soutenir un candidat issu de la primaire socialiste, ils se voueraient durablement à n’être plus que des supplétifs du socialisme. Si, par désir d’identité partisane, ils se décidaient à affronter une fois de plus le scrutin présidentiel sous leurs couleurs, ils confirmeraient qu’ils sont au mieux des aiguillons pour des majorités où le socialisme est durablement hégémonique.

Reste le choix du combat « antilibéral », qui fut ensuite celui du Front de gauche. Nul, aujourd’hui, n’est en état de conforter et d’élargir à la présidentielle cet engagement de longue durée, si ce n’est Jean-Luc Mélenchon. Qu’il faille, à partir de ce constat, tout faire pour panser les plaies récentes de part et d’autre, qu’il faille trouver les modalités concrètes d’une mise en commun, voilà qui serait souhaitable. L’effet d’une désunion officialisée, l’éclatement définitif du Front de gauche risqueraient fort de pénaliser toute tentative de contestation de l’hégémonie sociale-libérale, quand bien même elle serait aujourd’hui expansive, comme l’est la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Tout ce qui rapproche ce qui est encore désuni est donc bon à prendre.

Mais cela passe par deux affirmations sans nuances : il ne sert à rien, à si peu de distance du scrutin décisif, de croire que peut sortir du chapeau une candidature miracle, renvoyant l’existant – et donc JLM – dans les limbes ; il ne peut y avoir de rassemblement dynamique en faveur d’un retour à 2012 ou même 1997. En tardant à s’engager dans la voie d’une franche alternative, on laisse la voie libre aux forces conjuguées du système qui nous étouffe.

Beaucoup de responsables communistes ont évoqué la crainte que la France insoumise ne vienne remettre en question l’existence du PCF. Mais l’histoire du PCF montre que la peur est rarement bonne conseillère. Quand, au milieu des années 1970, les dirigeants communistes ont pris conscience que la stratégie politique de François Mitterrand les minorait, ils ont choisi le bras de fer avec lui. Force est de constater qu’ils n’ont fait ainsi qu’accélérer leur déclin. L’obsession identitaire est tout aussi mortifère dans l’espace politique que dans la société française tout entière. À force de vouloir préserver une forme politique, on risque que l’idée qui a légitimé son existence en pâtisse. La force du communisme en France ne tint pas à la seule existence d’un Parti communiste, mais à son enracinement dans une histoire qui débordait largement les limites du Parti communiste en tant que tel. À l’ignorer, ou à le sous-estimer, les militants communistes risquent d’en payer durement le prix. Mais seront-ils alors les seuls à le payer ?

Roger Martelli


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