Loi immigration : l’État de droit garantit la liberté et la dignité de tous, y compris contre le gouvernement ou le Parlement...

mercredi 27 décembre 2023.
 

« Hospitalité signifie ici le droit qu’a l’étranger, à son arrivée sur le territoire d’autrui, de ne pas y être traité en ennemi (.) le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la terre (…) ». Cette proposition d’Emmanuel Kant (Traité de la paix perpétuelle, 1795) aurait pu être rappelée à nos gouvernants et aux parlementaires avant que la loi sur l’immigration ne soit votée le 18 décembre (et à ceux qui auront à se prononcer sur le pacte européen sur les migrations et l’asile). Ne pas traiter l’étranger en ennemi, c’est à minima ne pas l’enfermer à son arrivée, l’accueillir et l’intégrer ensuite avec la dignité due à tous les êtres humains.

Ce n’est pas ce que fait cette loi, malgré l’avis de la défenseure des droits du 23 novembre 2023 ou de la CNCDH le 20 décembre qui ont alerté sur les atteintes graves aux droits et libertés fondamentales des immigrés, même régulier, qu’elle comporte. Ces droits fondamentaux ce ne sont pas seulement les droits des nationaux, ce sont depuis la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), des droits universels « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » (art. 1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ; toute atteinte à ces droits est une atteinte à notre humanité partagée. « Soi-même comme un autre » disait P. Ricoeur.

Après la catastrophe de la seconde guerre mondiale, Hannah Arendt dans son maitre ouvrage sur les « Origines du totalitarisme » a souligné que cette universalité était un tournant majeur : « Nous avons pris consciences de l’existence d’un droit d’avoir des droits et du droit d’appartenir à une certaine communauté organisée, que lorsque des millions de gens ont subitement perdu ce droit sans espoir de retour », car cela les a conduits à la mort. Nous en faisons de nouveau l’expérience en Méditerranée. Non on ne peut pas traiter les exilés qui arrivent comme des ennemis ou les exclure de notre territoire sans se préoccuper de leur sort. Ils doivent être accueillis dans le respect des droits fondamentaux, leur demande d’asile ou de séjour doit être traitée de la même manière, et ensuite ils doivent pouvoir s’insérer à égalité de droit, ou être reconduit tout aussi dignement. Tout le contraire de la loi qui vient d’être votée.

Ces droits fondamentaux, qui figurent aussi dans notre Constitution ou d’autres textes comme la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales que la France a signée, s’imposent à tous gouvernements, législateur, juges. Ils sont le socle de l’État de droit qui garantit la liberté et la dignité de tous, y compris contre le gouvernement ou le Parlement ou les excès du peuple.

Il est absurde, voire inqualifiable, de vouloir ici séparer le politique et le juridique. Les droits fondamentaux sont éminemment politiques car ils sont les valeurs qui rendent possible notre vie démocratique. Qu’un ministre de la République annonce urbi et orbi qu’il ne respectera pas les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme interdisant d’expulser une personne qui risque la torture et les traitements inhumains ou dégradants dans le pays où il est renvoyé, qu’un chef d’État et une première ministre annonce que probablement des dispositions d’un texte sont anticonstitutionnelles, mais que ce n’est pas au politique de le dire, mais au Conseil constitutionnel, c’est dire qu’ils acceptent sans sourciller des violations des droits fondamentaux, simplement parce que « c’est ce que veut le peuple ». E. Macron, E. Borne, D. Darmanin l’ont répété en boucle. Mais qui ne voit que c’est faire du droit l’expression d’une souveraineté populaire absolue (comme il y a une monarchie absolue) alors que précisément on sait depuis la Révolution française qu’il n’y a pas de souveraineté sans limite. Il est donc dramatique de céder à cette tentation, comme sont dramatiques les appels du RN ou de LR de s’exonérer de la convention européenne des droits de l’homme, et notamment de son article 3 interdisant la torture et les traitements inhumains et dégradants auxquels Darmanin, sèchement recadré par le Conseil d’ État, a cédé dernièrement en expulsant un ressortissant Ouzbek en contravention avec cette convention. Mesurons l’enjeux : l’interdiction de la torture est, avec l’interdiction de l’esclavage et le droit à la vie, le seul droit absolument indérogeable de la Convention européenne, même pour des raisons d’intérêt général. Pourquoi ? parce qu’il y va de notre dignité à tous. Comme l’a rappelé Laurent Fabius, un seul pays a osé s’affranchir de la convention européenne des droits de l’homme : c’est la Russie !!! Et effectivement c’est le rêve de tous les États dit « illibéraux » qui n’ont plus de démocratie que le nom.

Non, il n’y a pas d’un côté la politique, avec ce qui est bon pour le peuple français, et de l’autre côté le droit (cet empêcheur de gouverner comme on l’entend). Non, le droit n’est pas seulement ce qui est bon pour le peuple (Hitler disait : le droit est ce qui est bon pour le peuple allemand). Non, le droit n’est pas non plus une simple réglementation technocratique que l’on peut ajuster à l’infini pour traiter de flux ou de stock migratoires comme on l’a fait sans résultat depuis 30 ans, comme s’il ne s’agissait pas d’hommes, de femmes et d’enfants. L’État de droit qui garantit notre démocratie est indissociablement politique et juridique. Et qu’on le sache, le Président en est le garant.

C’est pourquoi la loi votée le 18 décembre 2023 doit être retirée.

Car d’autre voies sont possibles, surtout celle à laquelle invitait E. Kant, l’Hospitalité. C’est la voie de la sagesse, car l’Hospitalité est une valeur inscrite depuis toujours dans toutes les grandes cultures parce que l’humanité de l’étranger est aussi la nôtre. Elle peut devenir la voie du Droit : Mireille Delmas Marty, juriste au combien respectée, proposait dès 2018 au moment de la négociation du pacte de Marrakech sous l’égide de l’ONU, de faire de l’Hospitalité un principe juridique effectif, c’est-à-dire un droit fondamental permettant de gouverner les mobilités internationales. Il ne s’agit pas de nier la souveraineté des États sur leurs frontières, ni les exigences de sécurité ; il s’agit d’organiser la responsabilité et la solidarité de tous face à des mouvements migratoires qui de toute façon sont là. Cela signifie aussi sortir des décisions discrétionnaires des États, pour donner un statut de droit au migrant en reconnaissant :

- que chacun a le droit d’être accueilli dans un autre pays dignement ce qui suppose de multiplier les voies légales d’accès et d’exclure tout enfermement ;

- que chacun a le droit de demander un titre de séjour ou l’asile selon des procédures de droit accessibles et rapides sans être refoulé au péril de sa vie ;

- et, qu’enfin chacun a le droit, si la possibilité de rester est donnée, d’être intégré et reconnu dans la communauté à laquelle l’émigré participent à égalité avec les membres de cette communauté.

Face aux multiples défis de notre monde, Il n’y aura pas plus d’invasion migratoire, juste un peu plus d’humanité.

Marie Laure Morin, ancienne conseillère à la Cour de cassation et auteure de « Faire de l’étranger un hôte, l’Hospitalité, un droit fondamental », Syllepse, 2022.


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