À Paris, colère contre la décision du Conseil constitutionnel

mardi 18 avril 2023.
 

C’est une militante qui l’a annoncé dans un mégaphone à 18 heures, une dizaine de fois pour que les centaines de personnes présentes sur la place de l’Hôtel-de-Ville dans le IVe arrondissement de Paris l’entendent bien : « Le Conseil constitutionnel a validé la réforme. Ils l’ont validée. C’est bon. » Sans attendre, les huées et les slogans. « Ça va péter », préviennent-ils. Et chacun·e qui regarde, sur son téléphone portable, le détail de la décision prise par les Sages du Conseil constitutionnel.

Si l’essentiel de la réforme a été reconnu comme constitutionnel, le Conseil a censuré six « cavaliers législatifs » qui, selon lui, n’ont pas leur place dans un texte budgétaire. Par exemple, l’« index seniors », qui était censé être l’une des contreparties au recul de l’âge de départ à la retraite, a été rejeté. Pour rappel, ce nouvel indicateur devait mettre au jour les pratiques des grandes entreprises en matière d’emploi des salarié·es de plus de 55 ans. Par ailleurs, la porte de sortie que le référendum d’initiative partagée (RIP) aurait pu être a aussi été balayée. Une seconde demande de RIP a été déposée par la Nupes et le Conseil constitutionnel devrait se prononcer à son sujet le 3 mai.

La réforme validée sous les huées des manifestants

Dans la foule, de sa haute taille sur une estrade, le « gilet jaune » Jérome Rodrigues parle en tremblant, appelant à un renouveau du mouvement contre la réforme des retraites. Nadia* l’écoute avec attention et filme sa prise de parole. Petite au milieu d’étudiants de grande taille, la gardienne d’immeuble s’est débrouillée pour s’extraire de sa loge afin de venir manifester avec celles et ceux qui battent le pavé à ses côtés depuis des mois. « J’ai fait toutes les mobilisations depuis le début, et le lendemain de la manif, je me débrouille toujours pour rattraper tout le travail que je n’ai pas pu faire la veille », explique-t-elle, après avoir précisé que pour compléter son maigre salaire de 500 euros que lui rapporte son mi-temps de gardienne, elle enchaîne les missions de ménage ou de garde d’enfants.

À 59 ans, son dos est bousillé, pour le prouver elle tient à ouvrir son long manteau noir : en dessous, une ceinture lui maintient le dos. « Je ne pourrai pas faire mon métier à 64 ans, comme plein de gens qui manifestent. Je fais le ménage une fois par semaine dans trois bâtiments de six étages chacun, je descends et je monte les escaliers, alors s’il faut faire la grève tous les jours pour pas que je travaille deux ans de plus, je la ferai », ajoute-t-elle avant de filer chez elle. Nadia n’est pas son vrai prénom et elle tient à ce que son visage n’apparaisse pas dans l’article : « Parce que pour les gens de l’immeuble, je suis juste la bonniche immigrée qui ne comprend rien, là-bas je ne parle jamais de politique. »

Alors qu’elle quitte la place, des militants d’Attac escaladent le parvis de la mairie de Paris et installent, sur les anneaux des Jeux olympiques de Paris, deux grandes affiches : la première est une photo des membres du Conseil constitutionnel sur laquelle est apposée une citation d’Élisabeth Borne : « C’est la fin du chemin démocratique. » Sur la deuxième banderole, on peut lire « La vraie démocratie, elle est ici », avec une photo de manifestation en fond.

À partir de 18 heures, et à l’appel de l’intersyndicale, la place de l’Hôtel-de-Ville s’est emplie de monde. Des travailleurs et travailleuses, des étudiant·es et des élu·es crient tant qu’ils le peuvent encore, certains discutent de la suite que pourrait prendre le mouvement, d’autres imaginent la suite de la soirée. Et toutes et tous partagent un même sentiment de dégoût pour un gouvernement et des institutions aux décisions brutales. Parmi eux, les représentant·es des syndicats, Sophie Binet pour la CGT, Simon Duteil et Murielle Guilbert pour Solidaires, ont annoncé au micro de Mediapart refuser l’invitation à discuter d’Emmanuel Macron si elle n’était pas précédée d’une décision de retrait de la réforme, comme ils l’avaient annoncé quelques minutes plus tôt dans un communiqué intersyndical.

Plus tôt dans la journée, un cortège de quelques centaines de personnes défilait de Saint-Lazare à la place de l’Hotel-de-Ville, à l’appel de la Coordination nationale étudiante et de plusieurs assemblées générales interprofessionnelles de région parisienne.

Dans la rue, des promesses de « grève générale » qui ne vient pas « Nous, ce qu’on veut, c’est la grève générale », répètent en chœur les étudiant·es en reprenant l’air de Katioucha, chanson d’amour traditionnelle russe soviétique, sous la pluie battante parisienne du début d’après-midi. Ils rejoindront ensuite la mobilisation de l’intersyndicale à 17 heures, devant l’hôtel de ville dans le IVe arrondissement de Paris.

« Se rejoindre pour réagir à la décision du Conseil constitutionnel, à 18 heures, c’était trop tard pour nous », explique Héloïse, étudiante en sociologie et militante à l’UNEF. La jeune femme, assistante d’enseignement en parallèle de ses études, est en grève reconductible depuis le 7 mars. « Hier, on était mobilisés et aujourd’hui aussi, pour mettre la pression aux Sages avant qu’ils prennent leur décision, reprend-elle. Et on sera là tous les jours d’après parce que nous, on veut arracher cette victoire, et pour y arriver, il n’y a pas de raccourci : il faut des grèves massives partout. »

Manifestation contre la réforme des retraites à l’appel de la Coordination nationale étudiante à Paris, le 14 avril. 2023 © JULIEN DE ROSA / AFP À l’instar de nombre de ses camarades, Héloïse ne portait pas beaucoup d’espoir dans la décision du Conseil constitutionnel mais se dit prête à continuer la grève, à manifester et à participer à des actions de blocage jusqu’au retrait. « L’explosion sociale est encore devant nous, ça pète ici et là, on va se coordonner et on va y arriver, à bloquer le pays », espère l’étudiante optimiste au milieu d’une manifestation clairsemée. Et de reprendre son rôle dans l’organisation du cortège étudiant, permettant à toutes les banderoles d’être visibles : celle annonçant la mobilisation de l’université Panthéon-Sorbonne « contre Macron et les patrons » comme celle des étudiant·es de Sorbonne-Nouvelle déclarant que « notre 49-3 sera la grève générale ».

Et, sous la pluie, tout l’après-midi, elles et ils chantent des slogans neufs, imaginés pour l’occasion : « Au Conseil, il y a de vieux bourgeois, qui décident de ta vie pour toi. La meilleure façon de gagner, c’est encore la nôtre : c’est de grever, manifester et de recommencer », sur l’air de Dans la troupe, un chant scout français. Et en effet, dans les rangs, toutes et tous sont unanimes : la solution, c’est la grève, « générale » et « reconductible », précisent les manifestant·es. Sauf qu’une grève générale ne se décrète pas et que, comme nous l’avons déjà écrit, si le mouvement est fort en manifestations, il est très faible sur les piquets de grève et dans les assemblées générales, au moins jusqu’à présent.

L’homme le plus riche du monde est français, au moment où on nous explique qu’il n’y a pas assez d’argent pour financer notre système de retraite.

Fabien Villedieu, conducteur du RER D et leader Sud Rail de la gare de Lyon « Le gouvernement a tenté de donner un calendrier chronologique pour endiguer la colère, assure Gaël Quirante, postier et secrétaire départemental de Sud Poste dans les Hauts-de-Seine. Mais ni le 49-3 ni la décision du Conseil constitutionnel ne va pouvoir mettre sous cloche cette colère. Maintenant, il faut que les organisations syndicales, politiques, associatives, toutes les formes d’auto-organisation des travailleurs et des étudiants se rencontrent et imaginent la suite. » Et pour l’habitué des cortèges, la seule manière d’obtenir le retrait de la réforme est la généralisation de la grève reconductible. Il s’agace que l’intersyndicale n’ait pas appelé à la reconductible : « Après le 7 mars, on aurait pu l’envisager. »

Dans le cortège, l’on aperçoit le béret de Fabien Villedieu, conducteur du RER D et leader Sud Rail de la gare de Lyon. Comme dans tous les cortèges contre la réforme des retraites depuis le début du mouvement. Comme aussi dans toutes les actions médiatiques parisiennes récentes : il était de ceux qui ont envahi BlackRock, « puisque derrière cette réforme se cache une volonté de mettre en avant le système par capitalisation comme le prône cette entreprise ». Il était aussi de ceux qui se sont invités au siège de LVMH, le jeudi 13 avril, « parce que l’homme le plus riche du monde est français, au moment où on nous explique qu’il n’y a pas assez d’argent pour financer notre système de retraite ».

Fabien Villedieu estime que la grève générale ne se décrète pas : « On essaye de la construire, on n’y arrive pas pour l’instant, mais on y travaille. Je pense qu’aujourd’hui, l’intersyndicale est un appui important à la mobilisation. Pour moi, elle a fait le job. Certes, Laurent Berger n’a pas appelé à la grève reconductible mais quel naïf aurait pu penser qu’il pouvait le faire ? Le fait que la CFDT appelle encore à la grève trois mois après le début du mouvement, c’est déjà bien. »

Au-delà des désaccords sur la stratégie, Gaël Quirante est d’accord sur une chose avec Fabien Villedieu ou l’intersyndicale, Emmanuel Macron cristallise la colère qui émane des cortèges depuis des mois. Sans résolution de cette crise sociale et politique, « il sera impossible pour Emmanuel Macron de dérouler le reste de son quinquennat », conclut le postier.

Khedidja Zerouali et Berenice Gabriel


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