Discriminations sexistes à l’entrée de prisons : des retraits de soutiens-gorge imposés à des avocates

mardi 30 août 2022.
 

Cela fait une décennie que des avocates signalent des retraits de soutiens-gorge imposés par des surveillants quand elles se rendent en prison. Depuis la diffusion d’une note par l’administration pénitentiaire en juillet 2021 interdisant cette pratique, au moins quatre avocates ont rapporté avoir été ainsi « humiliées ».

À l’entrée du centre pénitentiaire de Varenne-le-Grand (Saône-et-Loire), le 16 août, un surveillant a imposé à l’avocate Naïri Zadourian de retirer son soutien-gorge et de le placer dans un casier, si elle voulait accéder à son rendez-vous avec un de ses clients. Un moment « humiliant » pour l’avocate : « C’est tombé pile le jour où j’avais une chemise blanche. J’ai dû traverser le centre pénitentiaire les bras devant la poitrine en essayant de rester digne à chaque fois que je croisais quelqu’un. J’étais tellement perturbée que j’ai oublié mon ordinateur au portique. Au moment du parloir avec mon client, j’ai fait de mon mieux pour retenir mes larmes qui coulaient toutes seules. »

L’avocate précise que cela s’est produit dans le cadre d’une relation « érodée » avec la direction de la prison, pour laquelle elle a saisi la contrôleuse des lieux de privation et de liberté (CGLPL) au sujet notamment de « relations avec les surveillants imprégnées de sexisme et de méfiance », écrit-elle dans un courrier au CGLPL en date du 18 mai 2022.

Par ailleurs, Me Zadourian indique qu’on lui avait déjà demandé de retirer son soutien-gorge dans une autre prison, mais dans les toilettes, et qu’elle avait pu le remettre ensuite.

« Manquement aux obligations déontologiques »

Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit. L’association des avocats et avocates pour la défense des droits des détenus (A3D) avait déjà saisi en décembre 2019 la CGLPL, relatant huit problèmes s’étant produits depuis 2015 à travers la France, concernant des avocates « contraintes de retirer leurs sous-vêtements, certaines dans le hall d’entrée de l’établissement sous le regard des surveillants et des familles, certaines dans une salle isolée mais sous vidéosurveillance », comme nous l’avions raconté ici.

Dans une réponse à l’A3D, la contrôleuse des lieux de privation et de liberté Dominique Simonnot expliquait avoir reçu un courrier daté du 7 août 2020 de l’administration pénitentiaire, qui prenait des engagements à ce propos : « Le directeur de l’administration pénitentiaire indique qu’un manquement aux obligations déontologiques est caractérisé s’il est demandé à une personne de se dévêtir. Il précise qu’un tel manquement devrait être suivi par un recadrage de l’agent concerné, voire d’un blâme, selon la gravité des faits. »

Et le 20 juillet 2021, une note du directeur de l’administration pénitentiaire, Laurent Ridel, était diffusée aux directeurs et directrices interrégionaux des services pénitentiaires, dans laquelle il rappelait les règles encadrant les visites des avocat·es. Au sujet des problèmes de retrait de soutiens-gorge imposés, il rappelait qu’il convenait de respecter les points suivants : « En cas de déclenchements répétés de l’alarme du portique et avec le consentement de l’avocat, le personnel doit soumettre l’intéressé à un contrôle par détecteur manuel ; en cas d’impossibilité d’utiliser ces moyens traditionnels, […] il peut être procédé à une palpation de sécurité après avoir recueilli le consentement de l’avocat. »

« Choquant » et « dégradant »

Mais en juillet et en août 2021, cela est arrivé à au moins trois autres avocates, comme le relatait l’Observatoire international des prisons. L’une d’entre elles, Salomé Cohen, écrivait alors sur Twitter : « Je me suis retrouvée seins nus à devoir “tout retirer jusqu’à ce que ça ne sonne plus” au cas où les baleines de mon soutien-gorge permettraient à une personne détenue de se taillader les veines. »

Les faits se sont produits à la maison d’arrêt d’Arles, le 17 août 2021, où elle était accompagnée de sa collègue Camilla Quendolo. Après plusieurs passages et sonneries sous le portique de sécurité, elles racontent à Mediapart que le surveillant leur a affirmé qu’elles ne pouvaient pas entrer sans retirer ce qui sonnait, sans leur proposer un détecteur manuel ou une palpation de sécurité. Elles furent contraintes de retirer leur soutien-gorge en public et ont découvert ensuite en passant le portique que des toilettes se trouvaient à quelques mètres. Mais le surveillant ne leur avait pas proposé ce lieu pour se dévêtir.

Me Cohen se souvient pour Mediapart : « Nous étions là pour un rendez-vous très important que l’on préparait depuis des mois, on avait fait 600 kilomètres. Je comprends les risques pour la sécurité mais c’était vraiment très humiliant, j’avais une chemise et je n’ai pas pu retirer mon soutien-gorge sans la retirer. Il n’avait pas de détecteur portatif de métal alors qu’ils sont dans l’obligation d’en avoir dans ce type de situation. Des trucs désagréables et stressants, il nous en arrive tout le temps, mais là, j’ai trouvé ça extrêmement dégradant. »

C’est une triple atteinte, à ma qualité d’auxiliaire de justice, à ma qualité de femme et une atteinte aux droits de la défense.

Camilla Quendolo, avocate au barreau de Paris

Sa collègue Me Quendolo se remémore également ce moment « choquant » : « On avait fait quatre heures de train et le surveillant était parfaitement au courant, il était évidemment hors de question qu’on n’entre pas voir notre client. En région parisienne, j’aurais fait un scandale et je serais rentrée chez moi, mais là on n’était pas en mesure de résister à ses ordres. J’ai réussi à enlever mon soutien-gorge en gardant mon tee-shirt mais Salomé s’est retrouvée nue, ses mains couvrant sa poitrine, dos à lui. Je n’ai jamais vu ça… Dans quel état de vulnérabilité on était. »

Elles ont toutes deux saisi le Conseil national des barreaux et l’Ordre des avocats de Tarascon et de Paris. Au service de la déontologie de l’ordre des avocats de Paris, un membre du Conseil de l’ordre a écrit le 24 mai dernier à Me Quendolo pour lui faire part des informations recueillies auprès de la maison d’arrêt d’Arles : « Le directeur assure qu’il s’agit d’un incident isolé, fortement regrettable, et qui a entraîné le rappel des bonnes pratiques dans le service, mais qui a surtout conduit à un entretien de l’agent concerné. Il semblerait que cet incident relève uniquement d’une maladresse personnelle et en aucun cas d’un acte d’humiliation ou de tentative d’attenter à la dignité due à votre personne et à votre fonction. […] Une note de service a été diffusée au sein de l’établissement, rappelant les règles relatives aux visites des avocats au personnel pénitentiaire. »

Me Quendolo réagit : « Cette réponse m’a convenu. Je voulais que ce soit su, puisque c’est une triple atteinte, à ma qualité d’auxiliaire de justice, à ma qualité de femme et une atteinte aux droits de la défense. On nous a enlevé du temps avec notre client, et on a rendu notre rendez-vous compliqué comme nous étions hors de nous. »

L’Observatoire international des prisons retraçait aussi que le 16 juillet 2021, une autre avocate s’était vu demander par le surveillant en service de sortir et de retirer son soutien-gorge sur le parking de la maison d’arrêt de Grasse. « J’ai indiqué à cet agent qu’il en était hors de question et qu’il convenait qu’il passe le magnétomètre, comme le font tous ses collègues depuis des années », expliquait-elle à l’OIP. Il aurait alors refusé. Et un second surveillant aurait ajouté : « Vous êtes pleins de lois, mais ici ce sont les règles. » L’OIP rappelait que ce type de situation se produisait également pour les proches des personnes détenues.

C’est fou de se dire que ça peut encore arriver. Péniblement mais sûrement, les règles commencent à être intégrées.

Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté

Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, a échangé avec la direction de l’administration pénitentiaire avant de nous répondre sur le cas le plus récent de Varenne-le-Grand : « Ce qui s’est passé n’est absolument pas conforme à ce qui doit se passer. La direction de l’administration pénitentiaire a demandé ce qu’on rappelle la note [de juillet 2021 – ndlr] au surveillant de Varenne-le-Grand, pour lui dire que ce n’était pas acceptable et il a été demandé que la direction de la prison reçoive l’avocate. »

Elle précise : « Une fois que ce qui sonne est identifié normalement tout va bien. Si c’est des chaussures, on ne nous oblige pas à marcher pieds nus dans une coursive. Faire enlever le soutien-gorge, c’est humiliant. Heureusement, c’est devenu rare, mais c’est fou de se dire que ça peut encore arriver. Péniblement mais sûrement, les règles commencent à être intégrées. »

De son côté, l’administration pénitentiaire a répondu à Mediapart concernant la situation de Varennes-le-Grand : « Il a été très clairement rappelé à la direction de l’établissement pénitentiaire les consignes en vigueur et la cheffe d’établissement a pris contact avec l’avocate afin de la rencontrer et lui indiquer que ces règles seraient désormais strictement respectées. À aucun moment, il n’y a eu une volonté de la part des personnels pénitentiaires d’humilier la personne faisant l’objet du contrôle de sécurité. »

La communication de l’administration pénitentiaire précise également que « lorsqu’un cas de dysfonctionnement est constaté, un rappel des dispositions mentionnées dans la note du directeur de l’administration pénitentiaire du 20 juillet 2021 est systématiquement effectué tandis que la direction prend différentes mesures administratives (rédaction d’un compte-rendu par l’agent des parloirs, réception par le CE, compte-rendu à la direction interrégionale ou à la direction de l’administration pénitentiaire…) ».

L’avocate Julia Courvoisier qui s’est indignée de ce qui est arrivé à sa consœur Me Zadourian sur Twitter replace ces incidents dans un contexte global : « C’est une volonté d’humilier les femmes. C’est compliqué d’être avocate dans ce monde. Des “ma jolie consœur” ou autre remarque sexiste, on s’en prend partout, tout le temps, par des avocats, des policiers, des gendarmes, des juges parfois… C’est fatigant. Je me prenais aussi des remarques quand j’étais en jupe pour un rendez-vous : “Ah elle vient voir son client en jupe.” Je ne mets donc quasiment plus jamais de jupe en détention ! »

Sophie Boutboul


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