Un Président contre son peuple

vendredi 14 avril 2023.
 

Crise sociale, crise démocratique, crise écologique : Emmanuel Macron joue sa partition dans la désagrégation du pays à tous les niveaux. A trop gouverner contre son peuple, il se retrouve avec tout un peuple contre lui, réactivant une forme exacerbée de lutte des classes.

par A. Guilhem

Professeur d’histoire-géographie

En 10 ans au pouvoir, privé de tout sens politique et de toute notion du bien commun, E. Macron aura réussi par 3 fois à déclencher un climat insurrectionnel. Nuit Debout d’abord contre sa loi Travail déguisée en loi El Khomry alors qu’il n’était que ministre. Puis les Gilets Jaunes dont le lourd bilan s’élève à plusieurs dizaines de mutilés et d’éborgnés et 842 blessés. Enfin, aujourd’hui, un vent de révolte d’autant plus fort qu’il combine le mouvement écologiste contre les megabassines à Sainte Soline et le mouvement social contre la réforme des retraites dans toute la France. La panique du gouvernement s’exprime dans le déferlement de violence policière : 200 manifestants blessés pour la seule journée du 25 mars et deux manifestants entre la vie et la mort.

Chaque fois, le même mépris du peuple dans les décisions politiques d’un gouvernement qui préfère ostensiblement défendre les intérêts des milieux d’affaires plutôt que le bien commun.

Chaque fois, un peuple qui se lève, porté par des idéaux de liberté et d’égalité, contre la brutalité de la hiérarchie des rapports sociaux renforcée par un pouvoir politique autoritaire.

Chaque fois, la même stratégie de l’affrontement de la part du gouvernement, avec des consignes de brutalisation données aux forces de l’ordre.

Vers la crise actuelle : un glissement des enjeux

La question était d’abord sur la réforme injuste qui porte un nouveau coup à notre système social en rallongeant la durée de travail : le pouvoir a perdu la bataille de l’opinion sur ce thème.

Non, cette réforme n’est pas nécessaire : le système des retraites est à l’équilibre à terme et il y avait bien d’autres moyens de combler le léger déficit de 3% du budget prévu sur une période d’une dizaine d’années. En repoussant l’âge légal de départ à la retraite et en augmentant brutalement le nombre d’annuités, il ne s’agit donc pas de sauver le système de retraite par répartition, comme cela a été prétendu par E. Macron et son gouvernement, mais au contraire de le tuer. Ce n’est pas une réforme pragmatique mais idéologique, visant à rompre avec le principe de la solidarité intergénérationnelle pour obliger chaque travailleur à une capitalisation individuelle et enrichir les fonds de pension comme l’américain Blackrock. Puisque l’économie se passe volontiers des seniors et que les métiers les plus pénibles ne permettent pas de travailler jusqu’à 64 ans, la majorité des Français devra partir sans avoir réalisé toutes ses annuités, avec une décote conséquente. E. Macron est bien placé pour le savoir puisqu’il licencie lui-même les travailleurs âgés à l’Elysée. Pour pallier ce problème nouveau, les Français devront recourir aux fonds de pension privés. Or, aucun travailleur ne veut de ce système qui obligera à doubler sa cotisation en recourant, en parallèle aux cotisations obligatoires, à des acteurs privés. D’autant que le déficit annoncé de 10 milliards servant de prétexte à la réforme paraît bien dérisoire face aux 56 milliards d’euros de dividendes reversés aux actionnaires du CAC40 en 2022, dividendes qui atteignent un record inédit là où les salaires n’ont pas augmenté et le pouvoir d’achat de l’immense majorité des Français a diminué.

Dans un second temps, le débat a glissé vers la question démocratique : est-ce la rue qui gouverne, les manifestations de masse atteignant des records inédits et les syndicats étant exceptionnellement unis contre la réforme, ou les élus, le gouvernement espérant avec une réforme de droite s’adjoindre les députés LR ?

Le gouvernement a doublement perdu dans ce débat. D’abord parce que la pression de la rue s’est faite à chaque manifestation de plus en plus forte et sereine avec des manifestations frôlant les 2 millions de personnes selon la police, 3 millions selon les syndicats. Ensuite parce que le gouvernement a du recourir à 3 dispositifs d’exception et a dû brutaliser le Parlement pour imposer sa réforme : article 44.3 devant le Sénat pour empêcher ses membres de discuter des articles de la réforme un par un, article 47.1 devant l’Assemblée pour limiter les débats parlementaires puis, coup de grâce porté à la démocratie, article 49.3 pour faire passer le texte sans l’aval des députés. Contrairement à un élément de langage opposant la rue à la légitimité des institutions quelques jours avant le passage en force à l’Assemblée, cette réforme n’a donc pas non plus obtenu la légitimité parlementaire.

Restait pour E. Macron à trouver une diversion pour faire glisser le débat du sujet de fond, la réforme contestée, vers la forme du mouvement social, en dénonçant un climat insurrectionnel dont il est lui-même responsable. Mais voilà que le gouvernement est attaqué sur deux fronts avec la « guerre de l’eau » menée à Sainte Soline au sujet des mégabassines.

En apparence hétéroclites, toutes ces questions sont inextricablement liées : écologiques, sociales, démocratiques, policières. Elles sont les fils enchevêtrés d’un épisode de contestation sociale intense dans le cadre d’une certaine forme de lutte des classes. Une lutte des classes où l’oligarchie capitaliste se retrouve bien isolée face à un agglomérat socialement hétérogène d’étudiants et de travailleurs allant des cadres aux ouvriers en passant par les employés et fonctionnaires précarisés. Cette ligne de fracture éclaire l’ordre social et notre régime politique d’une lumière nouvelle.

La démocratie selon Macron : un gouvernement sans le peuple et contre le peuple

Au lieu de gouverner par le peuple et pour le peuple comme le veut la définition de la démocratie, E. Macron a choisi de gouverner sans le peuple et contre le peuple. Sans le peuple d’abord parce que sa réforme des retraites n’a pas été négociée avec les syndicats et n’a pas été votée par les élus du peuple, la première ministre Elisabeth Borne choisissant d’enjamber le parlement par l’usage du 49.3. Contre le peuple ensuite puisque le gouvernement veut imposer une régression sociale inutile par une réforme suscitant le désaccord de 70% des Français, de la majorité des députés et de tous les syndicats. Nous assistons donc à un triple déni démocratique : déni du peuple dans sa dimension arithmétique mais aussi dans sa représentation politique et sociale.

La lettre de la Constitution est respectée mais pas l’esprit de ses lois. Imagine-t-on le général de Gaulle imposer une loi aussi importante que cette réforme des retraites contre son peuple, lui qui a démissionné en 1969 après le rejet par referendum d’une réforme aussi insignifiante que la régionalisation et la rénovation du Sénat ? Comment dès lors E. Macron peut-il sérieusement se targuer de la Constitution instiguée par C. de Gaulle pour faire accepter une telle fracture entre lui et le peuple qu’il est censé représenter ? Se parer de l’argument de la légalité en se drapant de la Constitution ne suffit pas à faire d’ E. Macron un démocrate.

Elisabeth Borne a dégainé à 10 reprises le 49.3, soit en moins d’un an 10% de ses usages alors que la Vè République existe depuis 64 ans. Quand on voit comment la Constitution est malmenée et comment les dispositifs d’exception ont été abusivement banalisés dès le début de ce mandat, il semble que la Vè République elle-même soit un exemple qui prouve qu’il vaut mieux se retirer à 62 ans.

A cette maltraitance des institutions s’ajoute une régression des libertés publiques et une maltraitance des citoyens. Comment réagit G. Darmanin lorsqu’une association écologique s’oppose à un projet écocide ? Il la dissout. Ainsi, l’association des soulèvements de la Terre est menacée pour sa participation à la lutte contre les mégabassines. Comment réagit-il lorsqu’une association conteste les violences policières ? Il menace de ne plus la subventionner. Ainsi, il a répondu à un député d’extrême-droite qu’il fallait effectivement « réfléchir » aux subventions apportées à la Ligue des Droits de l’Homme, institution historique de notre République fondée en 1898 dans le cadre de l’affaire Dreyfus. Cela valait le coup de voter pour ce gouvernement pour faire barrage à l’extrême-droite : il fait place nette pour supprimer tous les garde-fous démocratiques qui pourraient limiter un pouvoir autoritaire. Il fait table rase de tout ce qui fait notre patrimoine démocratique.

Au contraire, le mouvement récent des Gilets Jaunes avait révélé un besoin de plus de participation citoyenne. Dans ce sens, une plateforme pour permettre aux citoyens de faire remonter des pétitions aux députés avait été créée, avec pour enjeu que toute pétition supérieure à 100 000 votes pourrait être examinée par les députés. A ce jour, toutes ont été classées sans être examinées. Pire, la dernière en date, qui avait atteint le nombre inédit de 260 000 votes en deux semaines seulement, a été classée et supprimée du site de l’Assemblée sans même que la date buttoir n’ait été atteinte.

Le droit de manifester, aussi, est sévèrement amputé par la répression féroce qui s’abat sur les manifestations. Lorsqu’une manifestation dégénère en affrontement, c’est toujours un choix politique. Ainsi, à Sainte Soline, G. Darmanin avait décidé que les écologistes ne pourraient pas approcher pacifiquement des mégabassines. Il a décidé de leur faire la guerre. A l’inverse, lorsque des agriculteurs productivistes avaient décidé de réaliser un bassin de retenue d’eau en 2019 à Caussade au mépris de l’interdiction du tribunal administratif de Bordeaux, ces derniers n’avaient rencontré aucune opposition policière. Deux poids, deux mesures : le gouvernement a choisi son camp. Celui du lobby productiviste de la FNSEA contre l’agriculture durable. Et il défend violemment son camp en considérant l’autre comme un ennemi.

Ne reste aujourd’hui intactes dans cette démocratie que les libertés individuelles. Mais après qu’En Marche a fait table rase de notre patrimoine politique démocratique en banalisant une pratique autoritaire du pouvoir et en muselant les opposants, il deviendra aisé à un gouvernement d’extrême droite de s’attaquer aux libertés individuelles pour rompre définitivement avec les derniers vestiges de la démocratie : droits des homosexuels, droits des femmes, liberté de religion... Ceux qui sont prêts à recourir à l’autoritarisme pour imposer le néolibéralisme doivent avoir conscience que dans ce moule autoritaire pourrait également se couler une idéologie xénophobe et masculiniste.

Tout a été fait par ce gouvernement pour rendre le peuple impuissant. Comment s’étonner alors que le peuple soit prêt à recourir à tous les moyens pour retrouver son pouvoir ? Comment s’étonner que des citoyens engagés s’insurgent, s’affranchissant parfois de la lettre de la loi, pour défendre l’esprit de la démocratie ? Comment leur reprocher l’expression brutale de leur colère quand tous les moyens d’expression démocratiques leur sont réfusés ?

"Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs" affirmait la Constitution de la Iè République en 1793.

Jamais écouté ni par les pétitions, ni par les manifestations ni au Parlement, il ne reste plus beaucoup d’alternatives au peuple pour s’opposer à un gouvernement autoritaire et à ses décisions impopulaires. La désobéissance civile, la grève générale, l’occupation de sites sont les derniers recours. En raison de la réponse répressive du gouvernement, ces dernières ne peuvent que dégénérer en violence.

La politique de l’affrontement : la violence comme stratégie de gouvernement

Car après la violence sociale d’une injonction à travailler plus longtemps, la violence politique d’une décision unilatérale, le gouvernement a choisi de recourir aussi à la violence physique d’un Etat policier. Les coups de matraques, les grenades de désencerclement et les balles de LBD viennent donc concrétiser la violence du projet gouvernemental. Les blessés, les mutilés, les morts sont le fruit d’un choix politique délibéré, d’une politique de l’affrontement. La violence n’est plus uniquement symbolique, elle est dans les yeux, dans les têtes et dans les chairs des opposants.

Les opposants politiques sont traités comme des ennemis de l’Etat, qualifiés d’ « écoterroristes » ou d’ « islamogauchistes » par le ministre de l’intérieur Gerald Darmanin. Sa dernière sortie dénonce les « terroristes intellectuels » de la gauche, mot très fort dont on connaît l’écho dans les représentations de Français qui ont subi récemment les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan. Englober Clementine Autain et Amedy Coulibaly sous un même terme, c’est osé. Cela ne permet pas d’éclairer les débats politiques mais vise à criminaliser l’adversaire, à disqualifier les voix discordantes. Comme Mussolini en son temps, G. Darmanin pense que les opposants politiques sont des ennemis de l’Etat. Cette disqualification rhétorique du dissensus est contraire à l’esprit de la démocratie censée se nourrir des oppositions et des négociations pour établir des compromis. Elle se traduit par une politique agressive et dangereuse de maintien de l’ordre, nourrissant un climat de guerre civile. Elle explique les scènes de violences policières généralisées à Sainte Soline.

En outre, cette rhétorique brouille dangereusement les représentations et banalise l’extrême-droite en la plaçant sur le même plan que l’opposition de gauche. Ainsi, L’ « ultragauche » ne serait pas moins dangereuse que l’extrême-droite, comme si l’idéologie égalitaire et l’idéologie raciste se valaient. Comme si mettre le feu à une mairie et planter un drapeau sur un site écocide relevaient d’un même niveau de violence. A cela s’ajoute le silence gouvernemental et médiatique sur les violences quotidiennes commises par l’extrême-droite là où les actes de vandalisme sur des symboles matériels du capital, commises par des militants de gauche ou écologistes, sont systématiquement érigées en violences extrêmes à condamner. Ainsi, pas un seul opposant de gauche à la réforme ne peut désormais se rendre sur un plateau télé sans devoir condamner des prétendues violences, par une sorte de présomption de culpabilité dont il faudrait se dédouaner.

Aucun membre du gouvernement n’est pourtant enjoint à condamner les violences d’Etat. Ces violences ne sont pas vraiment condamnables car improvisées dans le feu de l’action, à la différence des violences des manifestants qui sont préméditées, explique doctement J.-P. Raffarin, déterré pour l’occasion par un journal télévisé. C’est pourtant exactement l’inverse qui se passe. 5000 grenades lacrymogènes lancées en 2 heures par la police à Sainte Soline, cela fait beaucoup d’armes pour des personnes qui n’avaient rien prémédité. Ils font un peu penser à ce chanteur, invité par le présentateur télé à jouer un morceau après une interview, qui joue les surpris mais qui nous sort sa guitare.... Et puis, qui aurait pu prédire que les unités de police motorisées de la BRAV-M, dissoutes en 1986 suite à l’assassinat de Malik Oussekine, engendreraient les mêmes conséquences si un gouvernement venait à les reformer ? N’importe quel spécialiste des forces de l’ordre et de leur histoire.

Face à eux, des manifestants qui leur opposent des pierres trouvées par terre, ce qui fait tout de même douter de l’aspect prémédité. Ils font peur à l’image parce qu’ils sont entourés de bandanas et de casques et ils sont enveloppés de nuages de fumée : pourtant, c’est plutôt la violence policière que ces images révèlent, des manifestants contraints de porter des foulards près de leurs voies respiratoires pour ne pas inhaler trop de gaz. Un équipement avant tout défensif. Les chaînes info iront jusqu’à interviewer un agriculteur sur un terrain adjacent à la mégabassine pour venir se plaindre que les manifestants ont « piétiné » son champ. Terrible accusation : les manifestants ont fait une marche.

Cette stratégie du chaos accompagnée d’une médiatisation de la violence permet au gouvernement d’une part d’intimider les masses et d’autre part de décrédibiliser le mouvement par médias interposés. La technique est simple à comprendre et simple à énoncer en usant d’une métaphore : E. Macron vous marche sur le pied, vous lui expliquez que vous souffrez et qu’il lui suffit de retirer son pied pour que cela cesse, vous lui répétez à moults reprises sans qu’il ne daigne vous écouter. Il détourne la tête et regarde ailleurs avec le sourire niais de l’indifférence. Excédé, vous finissez par lui mettre une gifle. Là, son collaborateur vous filme. Vous êtes accusé d’être« violent », stigmatisé comme radical. Cela justifie l’assaut des molosses que Macron va lâcher sur vous. Les prochains réfléchiront à deux fois avant de lui mettre une gifle mais une chose est sûre : ils ne perdront plus leur temps à discuter.

Mais ce schéma ne fonctionne plus tout à fait.

Avec leur implication dans les gilets jaunes, les classes moyennes ont fait l’expérience de la distorsion entre la réalité des mouvements sociaux et leur représentation biaisée par des médias qui jouent le rôle de chiens de garde au service des dominants. A tel point que depuis cet événement, beaucoup de journalistes pâtissent du discrédit de leur profession et sont contraints de venir accompagnés d’un garde du corps dans les manifestations. En outre, les blancs du pavillonnaire ont ressenti dans leur chair les violences policières dénoncées depuis des années par les minorités visibles des banlieues. L’image de la police en a été sévèrement écornée.

Aussi, le Conseil de l’Europe, le rapporteur de l’ONU et la Maison Blanche ont tour à tour dénoncé la pratique violente du maintien de l’ordre dans la France de Darmanin. S’il en avait eu le pouvoir, sans doute ce dernier aurait-il dissout l’ONU ou destitué Joe Biden comme il aime à le faire avec ceux qui critiquent le pouvoir en place. Mais cela n’est pas possible et il est de plus en plus difficile pour E. Macron et son larbin brutal de nier les violences policières.

La stigmatisation du mouvement social ne tient plus pour ceux qui en sont devenus les acteurs et témoins directs. En décembre 2018, au plus fort du mouvement, malgré les images de chaos tournées par BFM et consorts, 75% des Français estimaient le mouvement social des gilets jaunes justifié selon l’institut Odoxa.

Certes, l’intimidation fonctionne en partie et beaucoup n’osent pas rejoindre les mouvements bien qu’ils les approuvent. Ne restent à la fin que ceux qui sont prêts à risquer leur peau pour la cause. Mais ce ne sont pas les moins dangereux. Ni les moins efficaces.

Ainsi, à ce jeu-là, les gouvernements perdent souvent. Le projet Notre-Dame-des-Landes a été abandonné après des années de lutte violente, celui du barrage de Siven en raison de l’assassinat de Rémi Fraisse par la police tandis que le projet de taxe sur l’essence a été avorté et s’y est substitué une augmentation du SMIC aux frais de l’Etat suite à l’invasion d’un ministère avec ce que les medias ont qualifié de trans-palette. Tous ces jeunes blessés ou tués pour l’orgueil d’un gouvernement et les intérêts de quelques oligarques. Et tout cela pour finalement reculer.

A chaque fois, le gouvernement et les milieux d’affaires s’arcboutent sur une réforme antisociale bien précise et c’est finalement tout leur monde qui est contesté. C’est tout leur système où l’injustice sociale et la destruction environnementale vont de pair qui est dénoncé. Ils finissent par lâcher sur leur mesure pour éviter une révolte générale mais à chaque mouvement de contestation, le vase de la colère se remplit. Les débordements en deviennent à chaque épisode plus rapides et plus intenses.

Les Français comprennent les leçons de l’histoire récente : 2 millions de manifestants chaque semaine en défilés rangés depuis janvier, le chien aboie et la caravane passe. 284 000 gilets jaunes incontrôlables en 2018-2019 , les chiens mordent et la caravane s’arrête. Lutte pacifique et massive contre l’autonomie des universités en 2007, contre une réforme des retraites en 2010, contre les ordonnances Macron en 2017, contre la réforme ferroviaire et contre la réforme du lycée en 2018. Aucun résultat. Seuls les conflits dégénérant en casse ou en affrontements pour le contrôle du territoire semblent payer, de Notre Dame des Landes à Saint Siven.

Des poubelles qui débordent, des files d’attente de plusieurs heures à la station essence, des transports en commun qui font grève : cela ne fait pas sourciller des gouvernements qui n’ont plus le sens du bien commun mais ne travaillent que pour les intérêts d’une oligarchie qui a fait sécession. C’est donc ses intérêts qu’il faut taper, c’est donc elle qu’il faut inquiéter. 2 millions de manifestants hier mais « le pays n’est pas à l’arrêt » se targuait Emmanuel Macron depuis la Chine. Car il n’y a que le blocage de l’économie qui pourrait le faire réagir : le mécontentement du peuple il s’en fiche, c’est intérêts contre intérêts. Le message est clair : si vous ne menacez pas les intérêts des actionnaires, je n’ai que faire de vos revendications. Sous son règne, nous vivons la lutte des classes au grand jour.

Un point de bascule historique ?

Il suffit à E. Macron d’une décision pour apaiser le pays. La balle est dans son camp. Mais s’il ne la prend pas, le mouvement va s’épaissir de revendications plus globales et comme la boule de neige qui dévale la montagne, va se transformer en une véritable avalanche.

Si E. Macron lâche sur les deux sujets de conflit, il calmera peut-être la gronde populaire pour quelques temps.

Si, au contraire, E. Macron fait le choix de camper sur ses positions, il devra faire la guerre à son propre peuple et s’engager dans un cycle de grèves et de violences inédit ces quarante dernières années. Sera-t-il roseau ou chêne ? Ira-t-il jusqu’à la rupture ou les magnats de la finance et de l’économie qui l’ont mis en place, n’ayant pas de pire crainte que le désordre et la remise en cause de l’ordre social existant, l’appelleront-ils à plier face à la pression populaire ?

En effet, l’oligarchie dominante n’a pas intérêt à la convergence des luttes qui se dessine. La diversité du mouvement social contre les retraites révèle au grand jour les intérêts communs des travailleurs et remet en question toutes les divisions qui leur permettait d’avoir l’appui des uns contre les autres : seule la ligne de fracture essentielle demeure et apparaît clairement, entre les 10% voire les 1% et tous les autres.

La coïncidence entre la lutte contre une réforme antisociale et le combat contre un projet écocide risque quant à elle de révéler qu’elles sont les deux faces d’une même pièce. Fini alors l’opposition factice entre la lutte pour la fin du mois et celle contre la fin du monde.

Dans ces deux combats, c’est la cohérence du projet du gouvernement qui apparaît clairement sous les feux des projecteurs : perpétuer un système qui détruit l’environnement et la santé des gens au profit de quelques lobbies et privilégiés.

Il faudra tenir bon dans la lutte car si cette énième réforme des retraites passe, il y en aura d’autres encore. Le loup pointe déjà son nez. Pire encore, si ce mouvement n’est pas capable de redonner le pouvoir au peuple, alors la démocratie sera définitivement décrédibilisée et les prochaines élections donneront le pouvoir à un candidat d’extrême-droite.

Nous sommes à un point de bascule historique. Soit le mouvement s’essouffle et c’est la démocratie qui est asphixiée.

Le pays s’enfoncerait encore dans la logique néolibérale qui tue notre système social dans la continuité d’une dynamique historique mondiale initiée dans les années 80 ou alors il entrerait dans l’ère des régimes autoritaires d’extrême-droite qui fleurissent comme des mauvaises herbes depuis les années 2010.

Soit le mouvement l’emporte et emporte avec lui le vent mauvais des réformes antisociales et écocides, redorant le blason de la démocratie. Avec à la clef la possibilité d’une alternative politique qui pourrait être un modèle original initiant une nouvelle dynamique historique.

Sainte Soline : un laboratoire du monde de demain où la lutte des classes rencontre le combat écologique

Ce qui se passe à Sainte Soline est un laboratoire du monde de demain. Nous sommes entrés dans l’ère des conflits pour l’appropriation et l’usage des ressources.

Le gouvernement actuel a choisi son camp : celui des entreprises multinationales et des puissances économiques contre les masses. Il met la police au service des dominants pour réprimer le peuple.

Les manifestants se sont finalement retirés à Sainte Soline mais ont fait preuve d’une résistance acharnée face aux agressions policières. Pour l’instant, il ne s’agit que de personnes convaincues rationnellement de l’importance d’économiser et de partager l’eau à Sainte Soline plutôt que de la laisser s’évaporer dans des megabassines après avoir pompé les eaux des nappes au profit de quelques lobbies agroalimentaires. Il s’agit d’une avant-garde qui a intégré les rapports scientifiques des experts du climat. Mais comment les gens réagiront à la privatisation de l’eau au profit des plus riches quand ils ressentiront le manque d’eau dans leur chair ? La politique va devenir plus que jamais une question de vie ou de mort avec la limitation des ressources.

Le plan actuel est d’organiser la sécession des 1% les plus riches : disparition des services publics, choix d’une agriculture commerciale d’exportation plutôt que d’une agriculture durable et locale visant à nourrir les Français. L’Etat est mis au service de l’agriculture productiviste et use de la police pour massacrer ceux qui souhaitent le partage de la ressource en eau et défendent une agriculture plus durable. Il poursuit ainsi la logique de destruction de l’environnement et accroît les risques liés au réchauffement climatique. Dans le même temps, il détruit tout ce qui permet de mutualiser les efforts pour faire face aux risques : hopitaux publics, Sécurité sociale, eau comme bien commun, etc...

Peu importe que la majorité de la population n’ait plus d’eau pour boire si les 10% les plus privilégiés peuvent remplir leur piscine.

Ainsi, E. Macron exhorte les masses à faire des économies d’eau et d’électricité, lance des injonctions à raccourcir nos douches, fait fermer les douches publiques tandis qu’il veille à ce que les terrains de golfs soient toujours bien arrosés. La lutte écologique devient donc un versant de la lutte des classes. On demande des sacrifices à certains, aucun aux autres.

L’avenir qui nous est proposé est visible à Sainte Soline : rationnement pour les masses (avec des lois strictes sur les restrictions d’eau), gabegie pour les puissants. Et si le peuple vient à se révolter, on l’assomme à coups de matraque et on l’asphyxie à coups de gaz lacrymogènes. Si certains viennent à ouvrir les yeux sur la situation, une balle de LBD se charge de les éborgner.

Comme dans tous les domaines sous ce gouvernement, les moyens de l’Etat sont déployés pour défendre les intérêts d’une minorité de puissantes firmes transnationales contre les intérêts du peuple.

Quand les lobbies productivistes construisaient une bassine de retenue d’eau sans autorisation en toute illégalité, aucun policier n’est venu les en empêcher. Quand un groupe d’écologistes a voulu manifester pacifiquement autour des megabassines en toute légalité, le gouvernement a décidé de rendre la manifestation illégale et de déployer 3500 policiers, soit quasiment 1 policier par manifestant. Les moyens de l’Etat sont donc mis à la disposition de quelques intérêts particuliers. Le message est que certains sont au-dessus des lois puisqu’ils échapperont aux lois anti-sécheresse pour cultiver leur maïs dévoreur d’eau aux frais du contribuable qui aura financé 70% de la megabassine pendant que les autres subiront des arrêtés anti-sécheresse qui les interdira de pomper dans la nappe phréatique pour prendre leur douche.

Un Etat policier au service d’une oligarchie et la fin de l’Etat Providence qui visait à assurer le bien-être de tous ses citoyens et à mutualiser les efforts pour faire face aux risques de la vie : tout cela avance -ou plutôt recule- de pair. Les risques vont s’accroître en raison de la crise écologique et dans le même temps les garanties de l’Etat pour protéger la population s’amenuisent : il s’agit de préparer la sécession des ultra-riches.

Ce n’est que par la force que l’on peut contenir des inégalités aussi intolérables. Le développement des moyens de surveillance et de répression se chargera de comprimer la révolte des masses pour leur survie, à l’image des cauchemars des romans et films d’anticipation imaginés par A. Damasio dans Les furtifs ou par Bong Joon Ho dans Snowpiercer. Mais ce n’est plus un monde imaginaire : c’est déjà ce qui se passe en Chine ou en Israël... Et à l’échelle locale à Sainte Soline. Voilà la société que nous proposent -ou plutôt nous imposent- Emmanuel Macron et sa clique.

Le projet gouvernemental est de ne pas agir en matière d’environnement sauf pour défendre militairement les plus riches qui s’accaparent les ressources. Sinon, il compte sur la loi du marché pour opérer la sélection naturelle entre ceux qui auront accès aux ressources et ceux qui ne l’auront pas. Ainsi, les mêmes qui sont les plus responsables de la destruction environnementales seront ceux qui pourront échapper à ses conséquences car ils seront les premiers servis en cas de raréfaction des ressources, suivant le principe rareté = chèreté. Comme l’a montré Jared Diamond dans Collapse, les sociétés qui se sont effondrées par pénurie de ressources ont pâti du déni des classes dominantes qui refusaient de sortir de leur abondance car ils savaient qu’ils seraient les derniers touchés. C’est dans cette perspective qu’il faut lire les injonctions du président Macron à ne pas trop consommer auprès du petit peuple alors qu’il refuse d’interdire les jets privés et défiscalise les yachts. E. Borne poussant même le bouchon en finançant avec un « fonds vert » un amarrage pour les yachts à Ajaccio à hauteur d’un demi milliard d’euros.

L’équation est simple : soit tout le monde maigrit, soit certains continuent à grossir pendant que d’autres vont mourir.

Le rôle du gouvernement pour assurer un minimum de justice sociale et faire face aux conséquences du réchauffement climatique déjà à l’oeuvre serait en amont de renforcer les normes et la régulation pour ne plus altérer ainsi l’environnement et en aval d’organiser la répartition des ressources en se souciant d’une certaine justice sociale. Il faudrait, pour s’assurer que l’on se soucie des masses, plus de démocratie dans la prise de décision, afin que ce ne soit pas quelques millionnaires qui décident pour tous. En d’autres termes : un gouvernement par le peuple pour le peuple.

L’argumentaire selon lequel le peuple ne serait pas près à des réformes écologiques « punitives » ne tient pas puisque ce gouvernement est prêt à mettre le pays à feu et à sang pour une économie extrêmement modeste de 10 milliards d’euros par an pendant 8 ans. En outre, la Convention Citoyenne pour le Climat avait porté des projets bien plus ambitieux et bien plus restrictifs que son gouvernement soumis aux lobbies des firmes transnationales.

Les enjeux de la réforme des retraites sont donc les mêmes que ceux de la planification écologique : le peuple doit reprendre le pouvoir pour s’assurer que la politique ne soit pas menée au service des intérêts particuliers des classes dominantes. Sinon, nous allons au devant de véritables guerres civiles. Les forces de l’ordre deviendront plus que jamais une milice au service du capital, un couvercle maintenu de force sur une cocotte-minute prête à exploser.

Le suffrage universel repose sur un pacte tacite : viser le bien commun du peuple et non uniquement la prospérité des milieux d’affaires. Mais la soumission des moyens de l’Etat au service des classes dominantes devient trop visible et le peuple ne peut plus tolérer cette injustice. La lutte des classes transparaît ainsi dans la réforme des retraites, entre ceux qui auront les ressources pour capitaliser individuellement et ceux qui seront contraints de travailler jusqu’à la mort, mais aussi dans l’affaire des megabassines de Sainte Soline, entre les multinationales qui s’accaparent les ressources et sont au dessus des lois tandis que les masses sont amenées à manquer d’eau et sont soumises à des arrêtés sur la sécheresse.

En conclusion

Puisqu’il défend un ordre social injuste et défavorable au plus grand nombre, E. Macron doit dévoyer la démocratie qui repose sur l’assentiment de la majorité. L’appui médiatique ne suffit plus à endormir le peuple, il faut opérer des diversions pour cliver les classes populaires entre elles et avec les classes moyennes : la prétendue violence des manifestants à laquelle devrait répondre la violence de l’Etat pour garantir l’ordre. Mais les Français ne tolèrent tellement plus l’ordre social injuste et inégalitaire prôné par leur président qu’ils sont prêts au désordre pour le faire plier. D’autant qu’avec la catastrophe environnementale déjà en cours, la question sociale devient une question de vie ou de mort pour le plus grand nombre, avec la question de l’accaparement des ressources.

Ce gouvernement use de la violence à tous les niveaux : il violente verbalement en méprisant le peuple et en criminalisant l’opposition, il violente les institutions en abusant des dispositifs exceptionnels, il violente les travailleurs comme les chômeurs avec des lois antisociales, il violente même les corps et les mutile. Et, puisque ce genre de personnes ça ose tout, il se sert des scènes de violence qu’il a lui-même engendré pour dénoncer l’opposition. La boucle est bouclée.

E. Macron aura réussi une chose : rendre visible la lutte des classes et insérer l’écologie dans cette lutte.

A force de gouverner contre son peuple, c’est tout son peuple qui se dresse contre lui.

Un gouvernement qui multiplie les atteintes à la démocratie, des institutions dévoyées aux citoyens mutilés et gazés, cela a quelque chose d’inquiétant.

Mais que c’est beau, un peuple qui se lève !


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