Né en 1897, Charles Tillon entre comme ajusteur à l’Arsenal de Brest avant de s’engager ( matelot mécanicien) dans la marine en 1916. En février 1919 le croiseur Guichen sur lequel il navigue fait partie de l’escadre appuyant les troupes françaises d’intervention en Mer Noire contre l’URSS.
6 février 1919 A Tiraspol éclate la première mutinerie française de la Mer Noire
1er mars 1919, Jeanne Labourbe, institutrice communiste, est fusillée à Odessa
Dans un contexte de forte insubordination des marins de la Mer noire, il mutine l’équipage de son croiseur le 25 mai 1919. La rébellion se voit rapidement matée ; Tillon écope de cinq ans de bagne, rejoint celui-ci au Maroc puis est acquitté grâce à la campagne de solidarité en faveur des mutins de la Mer Noire.
Revenu en France, il est embauché comme ajusteur à Nantes et adhère au PCF en 1921. Cependant, son activité va être essentiellement syndicale au sein de la CGTU dont il devient permanent en 1924 (présence sur de nombreuses grèves, peines de prison en particulier pour outrages à commissaire, bureau confédéral en 1931).
Il entre au Comité central du Parti Communiste en 1932, est élu député d’Aubervilliers en 1936.
Le 26 septembre 1939 le Parti communiste français est dissous suite au Pacte germano-soviétique. Les élus membres du PCF sont démis de leurs fonctions. Charles Tillon entre dans la clandestinité avec comme responsabilité de réorganiser le parti dans le Sud-Ouest.
Mi-juin 1940, après avoir entendu à la radio l’appel de Pétain à cesser le combat, il rédige le tract ci-dessous, signé Parti Communiste, qui sera distribué à partir du 17 juin.
Peu de temps plus tard, Tillon rédige un manifeste du PCF, encore distribué à partir du 18 juillet 1940 sur la région de Bordeaux et la côte atlantique : « Notre devoir est de nous unir pour conquérir notre patrie, de nous unir pour libérer son territoire ». Il appelle « à l’union pour chasser à la fois les capitalistes, leur tourbe de valets et de traîtes, et les envahisseurs. » En septembre 1940, il rétablit le lien avec Benoît Frachon et se voit intégré assez rapidement dans la direction du PCF. A partir d’octobre 1940, il est l’élément moteur de la mise en place des "groupes spéciaux" (dits aussi "groupes OS" pour Opérations Spéciales) constitués de militants particulièrement sûrs chargés de distribuer des tracts, coller des affiches, intimider les traîtres, protéger les militants qui prennent la parole sur les marchés, récupérer des fonds...
Depuis la Libération, cette Organisation spéciale est reconnue par le Ministère de la guerre comme unité combattante d’octobre 1940 à mai 1941 (création des FTP en juin).
A partir de 1941, il dirige le Comité Militaire National, crée les Francs Tireurs et Partisans (FTP) dont il est le commandant en chef, lance l’appel au soulèvement de Paris le 10 août 1944 comme chef du CMN...
Le 17 juin 1940 à 12H30, le maréchal Pétain, 84 ans, déclare d’une voix chevrotante
Français !
A L’APPEL de Monsieur le Président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du Gouvernement de la France. Sûr de l’affection de notre admirable armée qui lutte, avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires, contre un ennemi supérieur en nombre et en armes. Sûr que, par sa magnifique résistance, elle a rempli nos devoirs vis-à-vis de nos alliés. Sûr de l’appui des Anciens Combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le coeur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut tenter de cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’Honneur les moyens de mettre un terme aux hostilités.
Que tous les Français se groupent autour du Gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur foi dans le destin de la Patrie.
"Les gouvernements bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini : l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la Tchécoslovaquie... Et maintenant, ils livrent la France.
Ils ont tout trahi.
Après avoir livré les armées du Nord et de l’Est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler , livrer le pays entier au fascisme.
Mais le peuple français ne veut pas de la misère de l’esclavage du fascisme.
Pas plus qu’il n’a voulu de la guerre des capitalistes.
Il est le nombre : uni, il sera la force.
Pour l’arrestation immédiate des traîtres
Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes.
Peuple des usines, des champs, des magasins, des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes, UNISSEZ VOUS DANS L’ACTION !"
Charles Tillon, Gradignan, 17 juin 1940
Ce jour-là, les tracts rapportant l’appel du dirigeant du Parti communiste étaient encartés dans des journaux bordelais comme la France ou la Petite Gironde. Il atteindra des lecteurs jusqu’aux chantiers de Saint-Nazaire. « Lancer un premier tract »
« Je me trouvais à Bordeaux depuis le début de novembre 1939 parce que Benoît Frachon m’y avait envoyé, de la même façon qu’il avait expédié Gaston Monmousseau à Marseille. Comme membre du Comité central, je devais essayer de réorganiser le Parti communiste dans les départements compris entre La Rochelle et la frontière espagnole. Je me trouvais donc à Bordeaux depuis ce temps-là et on avait, tant bien que mal, réussi à redresser, à ramasser des militants, enfin à reconstituer une organisation clandestine qui, tout de même, de La Rochelle jusqu’à Bayonne et aussi en allant sur le Lot-et-Garonne, fonctionnait, avait ses ramifications, distribuait ses tracts… L’essentiel, pour nous, c’étaient les problèmes que posait l’approche des Allemands… Que fallait-il faire ? Eh bien, d’abord, lancer un premier tract, qui serait à la fois un cri de protestation et de révolte, un cri qui contiendrait en même temps une certaine espérance… » expliquera le fondateur des Francs-tireurs et partisans et ministre communiste dans le premier et deuxième gouvernement dirigé par Charles de Gaulle, aux côtés de François Billoux, Ambroise Croizat, Marcel Paul et Maurice Thorez.
En 1940, au moins 9999 électeurs de droite sur 10000 ne peuvent être caractérisés de Résistants. Certains sont restés passifs, beaucoup ont eu un comportement ignoble, faisant souvent de la surenchère à droite de Pétain. Pour cacher cela, les historiens de droite insistent aujourd’hui sans cesse sur le Pacte germano-soviétique qui aurait fait des communistes français des alliés objectifs du nazisme en France.
Je ne nie absolument pas l’ambiguité de quelques dirigeants nationaux liés à l’URSS mais la réalité dans les différentes régions de France, c’est que les militants communistes ont constitué l’essentiel du potentiel de Résistants au moment difficile de l’été 1940.
L’Appel de Charles Tillon représente un symbole d’une multitude d’initiatives plus locales. J’en parle en connaissance de cause puisqu’un groupe résistant communiste s’est créé dans mon bourg dès 1940 avant de constituer un groupe connu FTP MOI. Michel Kayser (ami de mes parents, voisin sur le quai du Lot et que j’ai bien connu) en faisait partie.
Cinq fois ministre à la Libération, élu député communiste de la Seine en 1945 et réélu en 1951, Charles Tillon est membre des deux Assemblées constituantes en 1945 - 1946, puis il siège à l’Assemblée nationale jusqu’en 1955. Il est membre du Bureau politique du PCF (1945 - 1952), et dirigeant du Mouvement de la Paix. Il est écarté de la direction du PCF en 1952 (affaire Marty-Tillon), réintégré en 1957.
En 1968, la direction du PCF adopte une attitude parfois ambigüe vis à vis de l’intervention russe en Tchécoslovaquie puis de la "normalisation" stalinienne du pays. Tillon signe un « Manifeste contre la normalisation en Tchécoslovaquie ». En 1970, il est exclu du PCF par sa cellule.
Dans ces années 1968, il prend contact avec le mouvement étudiant et l’extrême gauche puis milite avec eux en particulier au sein du Secours Rouge. Il ne fait pas de doute que la situation internationale justifiait la création d’un nouveau Secours Rouge vu le grand nombre de dictatures militaires et Etats fascistes que les USA mettaient en place pour protéger les profits de leurs multinationales et se redéployer économiquement. Cependant, ni le mouvement étudiant de l’époque, ni les organisations d’extrême gauche ne pouvaient en porter l’action militante ; de plus, le fait que la Gauche prolétarienne s’en servait sans cesse de couverture publique pour des actions de toutes sortes en pourrissait l’impact possible.
« L’appel de Charles Tillon est un appel à la résistance sur le territoire national, tandis que celui du général de Gaulle s’adresse d’abord aux français présents en Angleterre pour leur demander de se rassembler autour de lui. Par ailleurs, l’appel de Charles Tillon est explicitement lancé au nom de la lutte contre le fascisme.
Cela le différencie également de l’appel de Thorez et Duclos du 10 juillet 1940, conforme à la ligne de la IIIe Internationale. Celle-ci réduisait la guerre en cours à un affrontement antiimpérialiste. Cela ne permettait pas de cerner la spécificité du phénomène fasciste. À l’inverse, Charles Tillon en appelle au rassemblement du peuple dans l’action contre le « fascisme hitlérien », dans le droit fil de la stratégie du Front Populaire pour laquelle Maurice Thorez s’était lui-même battu.
Depuis la Libération, la propagande anticommuniste affirme que les communistes ne sont entrés en résistance qu’en juin 1941, lorsque l’Union soviétique est attaquée par les nazis. C’est une parfaite falsification. D’ailleurs, l’importance de ce texte a été appréciée par la direction clandestine du Parti Communiste, laquelle intègre Charles Tillon, à la demande de Benoît Frachon. Mais derrière ce genre d ‘accusation, c’est le rapport même des communistes au peuple français de l’époque qui est questionné. L’appel de Charles Tillon permet de lever toute ambiguïté. Il prouve que l’engagement des communistes s’est fait indépendamment des directives de la IIIe Internationale.
Car cet appel n’est pas une initiative purement personnelle. Lorsqu’il le rédige, Charles Tillon est mandaté par le Comité central pour réorganiser le parti communiste dans tout le Sud-Ouest de la France. Son appel y rencontre un certain écho. Les kiosquiers de Bordeaux l’insèrent dans les journaux. Il parvient même jusqu’aux chantiers navals de Saint-Nazaire. Le Parti communiste français a été traversé par de nombreuses et dramatiques contradictions. Mais il a toujours été avant tout un collectif de femmes et d’hommes mobilisés pour l’émancipation humaine. Le combat pour cette reconnaissance est crucial dans un contexte où la droite la plus réactionnaire reprend le flambeau de la virulente campagne anticommuniste d’après-guerre dans le but de briser tout espoir de transformation sociale. »
Antoine Porcu (1) dans un entretien donné à « l’Humanité » du 4 mars 2006.
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