23 décembre 1953 Mort de Béria, âme damnée de Staline

dimanche 24 décembre 2023.
 

Présentation de l’ouvrage de Jean-Jacques Marie " Beria. Le bourreau politique de Staline".

L’historien émérite Jean-Jacques Marie a décidé de se pencher sur Beria, celui qui reste pour la postérité l’âme damnée de Staline. Le lien est d’autant plus étroit avec les figures précédentes que Beria, à la mort de Staline, exerce pendant quelques semaines un leadership de fait au sein de la direction collective du pays. « Une biographie de Beria est donc une histoire du stalinisme, de sa crise récurrente et des convulsions qu’entraîne toute tentative de le réformer. » (p.13). L’inculture de Beria, sa sinistre médiocrité, font ainsi écho à celles de la bureaucratie toute entière2. Surtout, au-delà du contrepoint aux quelques autres biographies avec lesquelles il a des désaccords de fond3, Jean-Jacques Marie poursuit dans ce travail son étude de la bureaucratie soviétique4. Il met en outre à profit des documents publiés dernièrement, relatifs au procès de Beria, ce qui le conduit à de longs développements finaux sur ce thème ; il insiste en particulier sur la réalité de la tenue de l’instruction et du procès, a contrario de la légende, reprise par des auteurs comme Nicolas Werth, d’un Beria exécuté dès son arrestation et remplacé par un sosie (sic).

D’origine paysanne modeste, Beria semble avoir eu une existence instable durant la guerre civile, oscillant entre les camps en lutte. Son ascension dans le parti communiste et la police politique débute à l’orée des années 1920, en Géorgie et en Transcaucasie, mais faillit rapidement être brisée : en 1922, en effet, la commission centrale de contrôle du parti recommanda son retrait de la tchéka, suite à de possibles abus de pouvoir. En 1934, à l’occasion du XVIIe Congrès du Parti communiste, Beria, comme Khrouchtchev, fait son entrée au comité central, s’imposant dans le même temps comme le dirigeant suprême des PC de Transcaucasie. C’est à l’été 1938 que Beria intègre le premier cercle dirigeant en étant nommé à la tête du NKVD, ce nexus du système bureaucratique : « (…) la police politique est à la fois le cœur de la nomenklatura, le concentré de son parasitisme, de sa corruption et de sa violence organique ; et, en même temps, l’instrument qu’utilise Staline pour contrôler, voire terroriser, la nomenklatura elle-même et l’appareil du Parti. » (p.13). Il participe donc pleinement aux purges de la Grande Terreur, et accroît également les privilèges des cadres de son administration, qui finissent par dépasser ceux des cadres du Parti ! S’ensuit alors une longue litanie d’arrestations et d’exécutions, Beria s’avérant être un serviteur zélé de Staline.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il supervise la production d’avions, de fusées et de mortiers, permet le transfert des industries vers l’est, et assure la sécurité des conférences de Téhéran, Yalta et Potsdam. C’est également lui qui prend en charge la déportation, voulue par Staline, des peuples du Caucase et de Crimée dans des conditions terribles5. Autant de titres de gloire qui lui valent le statut de maréchal en juillet 1945. La même année, il dirige le projet atomique, basé en grande partie sur les résultats de l’espionnage, et abandonne la direction du NKVD pour devenir vice-président du conseil des ministres. Les choses sont réellement bouleversées au lendemain de la mort de Staline. Beria devient en effet ministre de l’Intérieur et de la sécurité, deux fonctions réunifiées, tandis que Malenkov est chef du gouvernement. Mieux informé de l’état réel du pays que le Parti lui-même, Beria lance toute une série de réformes visant à préserver le régime en place : libération de 40% des détenus d’un goulag décidément improductif, début d’une séparation de l’appareil du parti et du gouvernement au profit du second, remise en cause de la russification des appareils des Républiques de l’URSS et des démocraties populaires, projet d’une Allemagne réunifiée et neutre… Mais réalisées dans la précipitation, et surtout sans réel soutien ni de la population, pour qui il est toujours associé à la répression, ni d’une fraction du Parti, qu’il a mécontenté, ces réformes conduisent à son arrestation par ses collègues dirigeants6.

En plus de cette reconstitution de la vie de Beria, Jean-Jacques Marie se penche sur l’évolution de son image, en particulier en Russie depuis la fin de l’URSS, débouchant sur une réhabilitation mitigée. Un travail toujours érudit, parfois même trop riche en données factuelles (sauf sur la vie privée de ce dirigeant, laissée pour l’essentiel dans l’ombre en dehors de son alcoolisme7), souffrant de l’absence totale d’iconographie (en particulier de cartes), mais qui est une plongée saisissante dans la réalité policière de l’URSS stalinienne.


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