Des journalistes du quotidien Haaretz révèlent, ce week-end, comment des dirigeants du jeune Etat d’Israël ont sciemment embauché, puis protégé, en 1948-49, un homme directement responsable du massacre de plus de 100.000 Juifs.
La longue enquête publiée par Shraga Elam et Dennis Whitehead sous le titre "Au service de l’Etat juif" est disponible sur le site en langue anglaise de Haaretz http://www.haaretz.com/hasen/spages...
Elle concerne le colonel SS Walter Rauff, un homme dont la participation au génocide nazi est plus comparable à celle d’un Adolf Eichmann qu’à celles d’auxiliaires ou de subalternes genre Touvier, Barbie, Bousquet ou Maurice Papon.
Né en 1906, Rauff a 35 ans lorsqu’il devient l’adjoint du sinistre Reinhard Heydrich, le numéro 2 du système SS derrière Heinrich Himmler. En 1942, Rauff est ainsi nommé chef du Département Technique de la SS, et c’est lui qui va mettre en oeuvre les premières exterminations de Juifs par les gaz. Rauff crée ainsi les premières chambres à gaz, des camions dont le tube d’échappement des gaz produits par le moteur est branché vers l’intérieur, où ont été enfermés les captifs. Entre 97.000 et 200.000 hommes, femmes et enfants, principalement juifs, ont été tués avec la méthode Rauff, avant que les nazis ne construisent des chambres de mise à mort fixes, dans divers camps dont Auschwitz, et n’utilisent un gaz à action plus rapide que le monoxyde de carbone, le tristement célèbre Zyklon B libérant du cyanure.
A la chute du régime nazi, Rauff est commandant des SS à Milan, et c’est en Italie qu’il sera arrêté par des troupes américaines, en avril 1945. Dans les jours qui suivent, sa carrière de tueur est racontée dans des dizaines de journaux en Europe et en 1946, le rôle de Rauff est cité à 31 reprises dans les procès-verbaux du Tribunal de Nüremberg, qui juge les dignitaires nazis, et auxquels assistent bien naturellement des correspondants envoyés par l’Agence juive (organisme sioniste précurseur de l’Etat d’Israël).
Rauff parvient cependant à quitter sa prison américaine (en Italie) en 1947, et on le retrouve ensuite .... "conseiller" du chef d’etat-major de l’armée syrienne, le général Hosni Zaïm. Comme l’ont montré une série d’historiens, le général Zaïm (devenu président pendant quelques mois en 1949 à la faveur d’un coup d’Etat) fut le premier dirigeant arabe à proposer une paix effective et durable au jeune Etat israélien, avec reconnaissance mutuelle des deux pays, échange d’ambassadeurs, accueil permanent et définitif sur le sol syrien de 250.000 réfugiés palestiniens de la Nakba, et fixation d’une frontière où les 2 pays se seraient partagés le lac de Tibériade. Le chef du gouvernement israélien, David Ben-Gourion, ignora superbement cette offre généreuse.
Shraga Elam et Dennis Whitehead ne fournissent pas d’informations, dans leur enquête, sur l’intérêt, pour le général syrien, de disposer d’un "conseiller" tel que Rauff. Inversement, ils détaillent le comportement de responsables israéliens dès qu’ils eurent connaissance de la localisation de Rauff, apparemment libre de ses mouvements entre Damas et Rome.
Deux hauts fonctionnaires du ministère israélien des Affaires étrangères, Asher Ben-Nathan et Shalhevet Frier, qui poursuivirent ensuite de brillantes carrières (comme ambassadeur en France et en Allemagne, et président du Commissariat israélien à l’énergie atomique, respectivement), se rendent alors à Rome, et passent un marché avec Rauff : des informations sur le dispositif militaire syrien, en échange d’une aide pour fuir l’Europe, et se réfugier en Amérique Latine. Chacune des deux parties tient sa promesse : Rauff fournit tout ce qu’il peut de renseignements en provenance de Damas et, en décembre 1949, il s’embarque pour l’Equateur avec de l’argent et un passeport fournis par des agents soit israéliens soit britanniques, écrivent les deux journalistes du Haaretz.
Fin de cette histoire nauséabonde ? Pas encore.
Car Rauff est l’un des auteurs de crimes contre l’humanité parmi les plus connus au monde, et l’enlèvement, par un commando israélien en Argentine d’Adolf Eichmann, puis le jugement et l’exécution à Tel-Aviv en 1962 de cet autre grand ingénieur de la "Solution Finale", va immanquablement braquer les projecteurs sur les nazis installés en Amérique Latine, dont Rauff.
En décembre 1962, Rauff, qui s’est établi au Chili où il a développé des affaires prospères, est arrêté à la requête du gouvernement ouest-allemand. Mais la justice chilienne interdit son extradition, et l’homme retourne à son business. L’arrivée de la gauche au pouvoir, au Chili, en 1970, ne change rien non plus : le président socialiste Salvador Allende écrira une lettre désolée au chasseur de nazis Simon Wiesenthal, où il lui dit qu’il ne peut rien faire contre Rauff.
Dans les années 1970, le gouvernement allemand revient à la charge, de même que le gouvernement américain, mais le nouveau maître du Chili, le dictateur Pinochet, leur oppose un fin de non recevoir. Au demeurant, Rauff aurait gagné du galon dans l’intervalle, comme chef des services secrets chiliens. Beate Klarsfeld (épouse de l’avocat Serge Klarsfeld, qui se distingua par plusieurs actions solitaires pour débusquer des anciens nazis, dans les années 1970) effectue deux voyages à Santiago du Chili pour attirer l’attention de l’opinion publique mondiale sur le cas Rauff, mais elle est à chaque fois arrêtée, et expulsée.
On ne trouve inversement aucune preuve tangible d’efforts politiques ou diplomatiques israéliens pour récupérer le criminel et le juger, notent les auteurs de l’enquête. Ceux-ci soulignent au contraire qu’Israël n’a pas été gêné de vendre des armes au Chili, notamment sous le règne de Pinochet et de son protégé Rauff.
"De ce point de vue, il apparaît que c’est avec soulagement que les autorités israéliennes accueillirent l’annonce de la mort de Rauff, décédé d’un cancer du poumon en mai 1984", estiment les auteurs de l’article. Ce que semblent confirmer les termes du communiqué publié par l’ambassade israélienne à Santiago : "Le dossier de M. Rauff est désormais clos. Dieu l’a jugé".
Interrogée récemment au téléphone par le Haaretz, "Beate Klarsfeld nous a presque raccroché au nez quand nous lui avons dit que Rauff avait été employé par les services secrets israéliens, et qu’il avait été aidé pour fuir l’Europe", écrivent les deux journalistes.
Dans sa réponse, transmise par email, Beate Klarsfeld continue d’ailleurs de manifester de l’incrédutilé : "En 1984, quand j’ai mené ma campagne pour obtenir l’extradition de Rauff, je n’avais aucunement connaissance des pseudo-’contacts’ qu’il aurait pu avoir avec le Mossad (...) Je doute que cela ait été possible, car le rôle de Rauff dans les opérations de gazage dans les camions, ainsi que ses persécutions contre les Juifs, en Tunisie et ensuite encore à Milan, était bien connu dans le monde juif", écrit-elle aux auteurs.
A l’évidence, Beate Klarsfeld est mal informée. Car avant même l’enquête de cette semaine, des informations sur le pacte Rauff-Mossad avaient bien été publiées, de manière partielle, dans les médias israéliens. Comment se fait-il, pour autant, "que ces informations n’aient pas suscité un débat public sur les implications morales d’une telle situation, qui vit Israël apporter son aide à un criminel nazi de première importance, visé par une campagne internationale menée par les chasseurs de nazis Simon Wiesenthal et Beate Klarsfeld", concluent Elam et Whitehead, en espérant, avec leurs propres révélations, faire crever l’abcès.
Par CAPJPO-EuroPalestine
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