Climat : Quand l’eau vient à manquer

dimanche 12 juin 2022.
 

La sécheresse estivale a déjà commencé. Au mois de mai. Le déficit pluviométrique est 20 à 30% en Europe occidentale de septembre 2021 à avril 2022. Il a frôlé les 50% dans l’ancienne région Poitou-Charentes, en Vendée, dans l’ouest de la Bretagne. Le Sud-Est du pays fut particulièrement touché aussi.

Les températures sont au-dessus des normales de saison depuis environ 40 jours à l’heure où ces lignes sont écrites. Ainsi, en janvier, le manque de précipitations dans l’ancienne région Poitou-Charentes a atteint 45%. 22 départements risquent de connaître la sécheresse cet été. 34 départements sont concernés par un arrêté de restriction d’usage de l’eau à la date du 18 mai.

Le monde en mal d’eau

Ce phénomène est mondial et est appelé à s’amplifier. D’après le 6ème rapport du GIEC, entre 3 et 4 milliards de personnes seront exposées à des sécheresses si le réchauffement climatique atteint 2 à 4°C. Sur le plan conjoncturel, les fortes chaleurs printanières gagnent toute l’Europe de l’Ouest et un certain nombre de pays du Moyen-Orient et du sous-continent asiatique (51°C au Pakistan, 48°C en Arabie saoudite, 46°C en Égypte…). A moyen terme, d’ici 2050, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord mais aussi l’Espagne, connaîtront une baisse de leur ressource de 20 à 40% et la France hexagonale d’au moins 20%.

Dans son dernier rapport, le GIEC souligne que 4 milliards de personnes subissent déjà les conséquences de sécheresses sévères au moins un mois par an. 163 millions de personnes vivent dans des zones inhabituellement sèches. 700 millions subissent des périodes de sécheresses de plus en plus longues. Entre 1970 et 2019, 7% des catastrophes (« disaster events » dans le rapport du GIEC) ont eu un lien avec la sécheresse.

Dans le même temps, depuis les années 1970, 44% de toutes les catastrophes naturelles avaient un lien avec les inondations et 31% des pertes économiques en découlent. La fréquence et l’intensité des fortes précipitations a augmenté depuis les années 1950. Elles ont touché 2,3 milliards de personnes. Près d’un Français sur quatre, soit presque 17 millions d’habitants, et un emploi sur trois sont aujourd’hui exposés. Plusieurs inondations ont marqué notre passé récent comme celle qui a ravagé la vallée de la Roya en octobre 2020. Les épisodes cévenols et les inondations du Sud de la France sont de plus en plus violents.

Cycle perturbé

Le cycle de l’eau est donc gravement perturbé. Les origines anthropiques de ce dérèglement sont les premières causes. Tout d’abord, le réchauffement des températures favorise l’évaporation (l’atmosphère contiendra plus de vapeur d’eau) ainsi que la fréquence et l’intensité des précipitations. Or les pratiques agricoles intensives en intrants et productivistes d’une part et l’artificialisation des sols d’autre part (entre 20 000 et 30 000 hectares chaque année en France) réduisent très fortement la capacité des sols à retenir l’eau et à lui permettre de s’infiltrer. L’eau se retrouve plus directement dans les cours d’eau et donc dans la mer. Les nappes se rechargent donc mal.

Ensuite, la surconsommation d’eau réduit fortement la disponibilité de la ressource. En France, l’irrigation représente 9% des prélèvements mais 48% de la consommation d’eau. Les exploitants ont augmenté entre 2010 et 2020 l’irrigation de 14% (d’après les recensements agricoles). Face au manque d’eau, les grands céréaliers, avec la bénédiction du gouvernement, construisent à tour de bras des bassines de rétention d’eau qui stockent l’eau de pluie et captées dans les nappes pour les besoins d’une agriculture souvent exportatrice ou destinée à nourrir les animaux d’élevage. La production de viande mobilise en effet beaucoup d’eau.

La consommation d’eau est également importante sur le plan industriel. Le refroidissement des centrales électriques, principalement nucléaires, représente en France 50% des prélèvements d’eau et 22 % de la consommation annuelle d’eau. Danone et Nestlé puisent toujours plus pour produire des bouteilles d’eau, majoritairement exportées. Les sports d’hiver sont aussi très gourmands en eau. Les communes et les opérateurs des stations utilisent 28 millions de m3 d’eau par an, soit la consommation d’eau potable d’un demi-million de personnes, pour couvrir de neige les pistes.

Enfin, la mauvaise gestion de l’eau potable est un facteur aggravant : le taux de pertes dans le réseau est de de 20 % en moyenne. Mais il peut localement monter à 40 %, voire 60 % dans les Outre-mer. Ces fuites représentent l’équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d’habitants.

Conséquences en chaine

Mais les professionnels des secteurs agricoles et industriels (et in fine les usagers) sont aussi les premières victimes du dérèglement du cycle de l’eau. Entre 1983 et 2009, d’après le GIEC, les trois quarts des zones cultivées ont subi des pertes de récoltes en raison des sécheresses équivalent à 166 milliards de dollars américains. Or les sécheresses agricoles extrêmes dans plusieurs régions du globe (Amérique du Sud, bassin méditerranéen, Chine occidentale...) seront au moins multipliées par deux avec une augmentation de 1,5°C des températures. Les agriculteurs français s’inquiètent déjà pour la récolte de 2022. En Europe méditerranéenne, à 3°C de hausse, le potentiel hydroélectrique sera réduit de 40 %. Certaines centrales sont en difficulté et contraintes de réduire leur puissance en raison de faible débit de fleuves. Les sécheresses à répétition interrogent quant à la capacité future des centrales à refroidir les réacteurs avec l’eau des fleuves. Enfin, tous les ans depuis 2017, des restrictions d’eau (superficielle et souterraine) sont imposées sur au moins 30 % du territoire hexagonal. L’alimentation des communes isolées par camion-citerne devient courante. Les populations commencent à être directement affectées.

Face à cette situation, il faut restaurer, protéger, maîtriser le cycle de l’eau. Aussi dans le cadre d’un gouvernement de la NUPES, sous la houlette d’un haut-commissariat à l’eau, le principe de la règle verte sera déclinée en règle bleue : ne pas prélever plus que la nature ne peut reconstituer. Il sera fixé comme objectif d’atteindre durant le mandat le très bon état écologique et chimique de tous les cours d’eau (fleuves, rivières, ruisseaux) et réserves souterraines. Le soutien à l’agriculture biologique, le refus des bassines de rétention d’eau, l’établissement par les autorités d’une carte crédible et exhaustive des cours d’eau (y compris le réseau hydrologique « chevelu »), la promotion d’un aménagement passant par la désimperméabilisation des surfaces, la restauration et la préservation des zones humides et la plantation massive de haies et arbres viendront contribuer à cet objectif.

Seront aussi renforcés les effectifs de la police de l’eau pour contrôler plus strictement le captage par les industries d’eau en bouteille et empêcher toute pollution industrielle ou agricole. La gestion publique, locale et citoyenne de l’eau, l’instauration d’une tarification progressive et différenciée selon les usages pour lutter contre les mésusages et les gaspillages et le renouvellement des canalisations défectueuses permettront des économies substantielles d’eau. L’eau est la ressource vitale et de base de nos sociétés. Il y a urgence à agir.

Vivien Rebière


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