Agriculture : Urgence du développement du Bio

lundi 16 mai 2022.
 

Depuis quelques mois, la presse se fait l’écho d’une contraction des ventes de produits en agriculture biologique, après plusieurs années de croissance. A l’appui de cette analyse : la baisse des ventes des produits alimentaires labellisés bio, qui auraient reculé de 3% en 2021, au-delà des évolutions du marché alimentaire dans son ensemble (-1,1%). Ce phénomène serait tout particulièrement perceptible dans la grande distribution qui concentre 55% des volumes des ventes de produits « AB », même si certains magasins spécialisés sont touchés.

Les différents produits de grande consommation seraient concernés : viande, produits laitiers, œufs, fruits et légumes. On évoque des producteurs dans le Grand Ouest en passe de cesser la production en bio pour repasser au conventionnel, faute de pouvoir écouler leur production. Des organisations de producteurs et d’industriels estimant faire face à un « excédent face aux besoins actuels du marché ». Dans la production laitière, Lactalis faisait état d’un surplus de lait bio qui dut pour partie être déclassé pour être vendu au prix du lait conventionnel. Les producteurs, fournisseurs de l’industriel, étaient également appelés à « modérer leurs volumes » et à geler les nouveaux projets de conversion.

Ce recul des ventes en bio s’explique en partie par l’augmentation des prix dans les domaines de l’énergie (gaz, électricité, essence) qui a conduit les ménages à faire des arbitrages et reporter certains de leurs achats vers des produits alimentaires moins chers.

Crise de croissance ?

Du côté des organisations de défense de la production bio, on estime que ces signes rendent compte d’un déséquilibre conjoncturel du marché alors que les filières bio connaissent un développement soutenu depuis plusieurs années. Selon la fédération nationale des agriculteurs biologiques (FNAB), « les filières ont aussi besoin de temps pour se structurer et il est normal dans l’évolution d’un marché de connaître des crises de croissance ». Concernant le lait, l’année 2021 a été marquée par l’arrivée sur le marché des volumes convertis en 2019, de conditions climatiques propices à un bon niveau de production, ce qui entraînerait une offre momentanément supérieure à la demande et la constitution de stocks. « En 5 ans à peine, on a multiplié par deux les volumes de lait bio, il faut que le marché absorbe cette croissance ». La FNAB se défend qu’un palier de consommation est atteint.

Pour l’instant, l’Agence bio, qui assure un suivi technico-économique du secteur de l’AB, se veut rassurante et communique sur un taux de « déconversion » (qui comprend aussi les départs à la retraite) stable autour de 4%. Toutefois, les chiffres publiés concernant la contraction des ventes de produits AB en 2021 sont de nature à inquiéter et pourraient détourner de potentiels candidats à la conversion.

41% de marges en plus ?

Le prix reste un enjeu à considérer pour envisager la démocratisation de l’accès aux produits bio. Selon les études de consommation disponibles, le prix reste un frein à consommer plus de produits bio (tout particulièrement pour les moins de 25 ans), même si le poids de ce critère recule auprès des consommateurs. Mais les prix plus élevés des produits bio en rayon ne s’expliquent pas uniquement par le différentiel des coûts de production. L’UFC que Choisir pointe la persistance de marges plus élevées de la grande distribution. La dernière enquête de l’association en 2019 constate « un prix en rayon double pour le bio par rapport au conventionnel. [Mais] alors qu’une partie seulement de cet important écart tarifaire s’explique par les moindres rendements de l’agriculture biologique, pas moins de 41 % de l’écart est dû à la différence dans les marges appliquées par la grande distribution », et ce sans pouvoir justifier d’une différence dans les frais de distribution entre le bio et le conventionnel.

On voit donc se reproduire pour le bio les mêmes errements de marché que pour les produits conventionnels, avec les conséquences dramatiques que cela peut engendrer pour les producteurs (instabilité des prix, rémunération insuffisante).

Les représentants du secteur AB appellent à une régulation des marchés agricoles et à l’accompagnement de la structuration des filières bio, à l’heure d’un changement d’échelle et de l’intérêt grandissant des industriels et de la grande distribution pour ce marché. Ils se sont confrontés à une surdité totale de la part des pouvoirs publics pendant le dernier quinquennat, encore plus patent depuis l’entrée en fonction du gouvernement Castex et la nomination de Julien Denormandie au ministère de l’agriculture.

Ils dénoncent notamment la faiblesse des soutiens publics en faveur de l’agriculture biologique. Pour justifier la suppression des aides au maintien du bio au début du quinquennat, le gouvernement arguait du fait que les prix des produits bio étaient supérieurs au conventionnel. Le sacrosaint marché était donc là pour rémunérer les « services rendus » par l’AB, notamment en termes de moindre pollution de l’environnement.

Le bilan du quinquennat Macron en matière d’agriculture est calamiteux. Pour l’affichage, le gouvernement a fixé l’objectif d’atteindre 18% de surfaces agricoles en bio en 2027 (contre 9,5% fin 2020), ce qui est inatteignable au regard des orientations prises. L’agriculture conventionnelle et les vieilles recettes en matière de modernisation de l’appareil productif ont été systématiquement mises à l’honneur. C’est le cas des 9 milliards d’aides annuelles de la PAC de l’UE, toujours orientées essentiellement vers l’agriculture conventionnelle. Ce sont les millions d’euros du plan de relance fléchés vers l’agriculture destinés à financer des investissements en matière de génétique, de robotique et de numérique. Ce sont encore les décisions prises l’an dernier lors du « Varenne de l’eau », qui confortent les solutions purement technologiques pour pallier les problèmes d’approvisionnement en eau et entérinent les projets de stockage d’eau hivernal (dont les méga-bassines) au détriment de l’accompagnement des systèmes agricoles les plus économes en eau.

Depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, les lobbies agricoles dominants exercent une pression forte auprès des pouvoirs publics pour obtenir davantage d’aides et des infléchissements des règles environnementales, au nom du « produire plus ». Or l’agriculture conventionnelle sera la première à être affectée de la flambée des prix des engrais de synthèse, de l’énergie fossile et des céréales (pour les éleveurs). A contrario, les systèmes agricoles en AB sont en général moins dépendants d’achats d’intrants extérieurs.

Il est plus qu’urgent d’œuvrer pour un modèle de développement d’une agriculture paysanne et bio. Des solutions existent : encadrement des marges de la grande distribution par des coefficients multiplicateurs et des prix planchers pour les producteurs, approvisionnement 100% bio dans les cantines scolaires pour augmenter les débouchés, soutien à la conversion et au maintien en bio.

Anne Sampognaro


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