Traité UE-Mercosur : l’élevage menacé par le libre-échange

lundi 12 mars 2018.
 

Alors qu’Emmanuel Macron visitait le Salon de l’Agriculture, les éleveurs manifestaient pour s’opposer à un accord de libre-échange que négocient l’Union européenne et le Mercosur (Amérique latine). Cet accord signifie pour eux « le sacrifice de la filière bovine ». Car cette même semaine, les deux parties entraient dans une 32ème cession de tractations, dans la capitale paraguayenne Asuncion.

Depuis près de deux décennies, les discussions entre l’UE et les quatre pays du bloc latino-américain du « Mercado del Sur » (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) se sont heurtées à des divergences, en particulier liées à l’ouverture du secteur agricole.

Le Brésil à lui tout seul, avec +700% de production de bœuf en 14 ans, est déjà le premier exportateur mondial, suivant un modèle agricole très intensif et responsable d’une grande partie de la déforestation en Amazonie. Les parcs d’engraissement d’Argentine entassent les bêtes et est source d’émissions importantes de gaz à effet de serre, et de lisier et purin qui polluent les eaux en nitrates. Au Brésil, ces modèles ont donné lieu à un manque criant de contrôles sanitaires qui a débouché récemment sur le plus grand scandale de viande avariée du continent. En Argentine, sur le développement d’agents pathogènes provoquant des insuffisances rénales chez les enfants.

Actuellement, l’’UE importe déjà 180 000 tonnes de viande de boeuf des pays du Mercosur. Il s’agirait avec cet accord de faciliter encore ces importations en supprimant les droits de douane. La Fédération nationale bovine indique que « 20 à 30 000 emplois d’éleveurs pourraient disparaître en France, sous le seul poids des importations cumulées des viandes canadiennes et sud-américaines ». La négociation avec le Mercosur se déroule juste après la conclusion de l’accord CETA entre l’UE et le Canada. On sait déjà tous les dangers de ces accords de libre-échange. L’accord avec le Canada est entré en vigueur à 90% le 21 septembre dernier, sans ratification ni consultation des peuples ! Les conclusions de l’évaluation de l’impact du CETA soulignent pourtant que nombre de produits alimentaires importables contiennent 46 molécules interdites en Europe et s’inquiètent des modes d’alimentation des animaux (farines animales) et de médicaments vétérinaires outre-Atlantique. Ce sont désormais 65 00 tonnes de viande bovine canadienne qui peuvent déferler sur le marché européen chaque année.

En mai 2016, sous la pression de la France, l’Irlande et d’autres, la Commission européenne avait proposé une exclusion au moins temporaire du secteur bovin de l’accord avec le Mercosur. A son arrivée au pouvoir, Macron indiquait qu’un quota de 70 000 tonnes devait constituer une ligne rouge. Une ligne déjà franchie puisque depuis décembre dernier les négociateurs discutent désormais de 99 000 tonnes annuelles. Au nom d’un « accord équilibré », Macron est en réalité prêt à sacrifier les éleveurs bovins au profit des industriels de l’automobile et du secteur laitier qui souhaitent massivement exporter en Amérique latine. Il a d’ailleurs appelé à une finalisation « rapide » de cette négociation !

L’accord touche ainsi bien d’autres secteurs. En matière agricole sont concernés sucre, maïs, blé etc. Et c’est aussi la santé des consommateurs que le gouvernement est en train de sacrifier. Pour le moment, il n’y a ainsi aucune garantie de ne pas trouver de la ractopamine, un additif interdit en Europe, dans la viande porcine qui serait importée.

Le soja que veut importer Bruxelles de ces pays est pratiquement intégralement génétiquement modifié et nourri au glyphosate de Monsanto. Les services publics sud-américains sont aussi dans le viseur de la Commission européenne ; Elle pousse pour la privatisation du secteur de la poste notamment sur lequel lorgnent les entreprises européennes.

Et ce n’est peut-être pas fini. Si l’accord ne contient pas de mécanisme d’arbitrage des différends entre investisseurs et Etats (RDIE), une disposition pourrait laisser présager le pire : la mise en place de multiples comités d’experts en mesure d’amender l’accord après son entrée en vigueur ! Paroxysme de la technocratie et mépris ultime de la démocratie.

Sophie Rauszer


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