Comment le parlement de l’Union populaire dynamise la campagne de Mélenchon

mardi 22 février 2022.
 

Organe de liaison entre les mouvements sociaux et la campagne de Jean-Luc Mélenchon, le parlement de l’Union populaire, qui rassemble désormais trois cents personnes, est aussi pensé comme une rampe de lancement pour les législatives, et un laboratoire de la reconstruction de la gauche. En cas de réussite, il aurait vocation à perdurer.

Dimanche 23 janvier, Paris s’éveille et déjà la cour intérieure d’un vieil immeuble du Xe arrondissement bruisse de centaines de voix. Des ami·es de longue date se retrouvent par grappes autour d’un café, dans les vastes locaux du Parti ouvrier indépendant (POI, héritier de l’Organisation communiste internationaliste, trotskiste, où Jean-Luc Mélenchon militait au début des années 1970). On croise les jeunes parlementaires de La France insoumise (LFI), l’ancienne porte-parole d’Attac, Aurélie Trouvé, le taulier du Parti de gauche, Jean-Christophe Sellin, ou encore Gabriel Amard, membre historique du Parti de gauche.

Un peu perdus, les nouveaux venus ouvrent de grands yeux timides. Alma Dufour est de ceux-là. La militante écologiste de 31 ans, ancienne porte-parole des Amis de la Terre, fait ses premiers pas en politique dans le parlement de l’Union populaire (PUP), cette instance qui rassemble une moitié de militant·es insoumis et une moitié de personnalités issues des mouvements sociaux et de la société civile pour soutenir la campagne de Jean-Luc Mélenchon. « J’ai l’impression d’avoir franchi un pas, de tourner une page, et que c’est la rentrée des classes », sourit-elle.

Elle n’est pas la seule. Après une dizaine d’années de responsabilités dans le mouvement altermondialiste, Aurélie Trouvé, qui vient de théoriser le « bloc arc-en-ciel » dans son dernier essai (un « espace fédératif » et radical), a traversé le Rubicon pour présider le PUP en novembre – un symbole fort, pour une personnalité très respectée dans les milieux de gauche radicale. « J’y pose la question du renouveau de la politique à partir des luttes, et c’est ce que j’ai l’impression de concrétiser en partie maintenant », observe-t-elle.

Le journaliste Aymeric Caron, fondateur du parti antispéciste Révolution écologique pour le vivant (REV), est également présent avec quelques jeunes camarades de son organisation. Alors qu’un photographe immortalise la scène du haut d’une fenêtre qui surplombe l’assemblée, les Insoumis canal historique lèvent le poing et entonnent un chant bien connu. Jean-Luc Mélenchon, qui accueille ses nouveaux alliés lors de cette première plénière du PUP, glisse un mot complice à l’ancien chroniqueur de Laurent Ruquier : « Tu ne te doutais pas que tu chanterais L’Internationale, hein ? »

« On n’est pas d’accord sur tout, mais ce n’est pas grave, certifie Aymeric Caron, qui milite pour l’abolition de la viande et souhaite être candidat aux législatives pour l’Union populaire, comme Alma Dufour. On est dans une période d’urgence, des décisions fortes doivent être prises. Dans l’offre politique de gauche écologiste, le seul espoir d’un gouvernement qui change les choses est là. »

Ouvrir les frontières

Le bloc écologiste du PUP a depuis été rejoint par Claire Lejeune, l’ancienne co-secrétaire fédérale des Jeunes Écolos, qui invoque les mêmes raisons. Bernard Schmitt et Renée-Lise Rothiot, militants associatifs contre la privatisation de l’eau, ont encore renforcé ses rangs.

La prise du Palais d’hiver est encore loin, mais une petite musique s’installe, qui fait tout de même grimacer le candidat écologiste, Yannick Jadot. Non seulement la dynamique de la campagne du leader insoumis est là – ses meetings attirent du monde, même quand ils sont assurés par des membres du groupe parlementaire –, mais son programme (vendu à plus de 100 000 exemplaires) fédère au-delà des aficionados. L’ancien porte-parole de Sandrine Rousseau, Thomas Portes, figure par exemple dans les animateurs du PUP, qui compte désormais trois cents personnes.

Le récit de ces ralliements, finement feuilletonnés par l’équipe du candidat, laisse entrevoir la possibilité d’une irruption des mouvements sociaux dans la campagne. Un facteur d’enthousiasme qui, avec la mobilisation des classes populaires et les inscriptions sur les listes électorales (qui se closent le 4 mars), est une des clés du passage au second tour aux yeux des stratèges mélenchonistes.

On est dans une phase de pluralisme et d’ouverture.

Razmig Keucheyan, sociologue, animateur du PUP

Figurent ainsi dans le PUP, outre un groupe d’universitaires (dont Barbara Stiegler, le sociologue Razmig Keucheyan et les économistes Éric Berr, Cédric Durand et Stefano Palombarini) et des personnalités issues du monde de la culture (les écrivain·es Annie Ernaux et Laurent Binet, le metteur en scène Christian Benedetti), des militant·es des quartiers populaires (Karima Khatim, Diangou Traoré, Nordine Iznasni…), du mouvement climat et des syndicalistes (André Bouchut – ex-secrétaire national de la Confédération paysanne –, Anthony Smith, Bérenger Cernon, Évelyne Becker…).

Alors que le mot « pluralisme » est absent des textes fondateurs de La France insoumise (LFI), qui n’aime rien tant que l’action politique derrière un mot d’ordre simple, voilà donc que l’Union populaire en fait son étendard. Le sociologue Razmig Keucheyan, spécialiste de Gramsci, qui fait partie de l’équipe d’animation du PUP, confirme : « On est dans une phase de pluralisme et d’ouverture. La situation de crise généralisée des gauches fait qu’aujourd’hui on ne peut plus se permettre d’être aussi sectaires qu’autrefois. »

Après l’expérience du cartel d’organisations du Front de gauche en 2012, et le moment populiste de 2017, la campagne de 2022 se veut donc un entre-deux. « L’une des forces de LFI, c’est cette profondeur historique d’une dizaine d’années, explique le sociologue. Le PUP capitalise sur les acquis unitaires et les liens avec la société civile de 2012, et sur le côté très efficace de la campagne de 2017. »

Lors de cette dernière campagne, où Jean-Luc Mélenchon avait réuni 19 % des voix, LFI s’était dotée d’un « espace politique » qui permettait à des organisations politiques – souvent modestes – de la rejoindre. Cet espace a désormais disparu, et le PUP s’y est substitué, avec des caractéristiques qui témoignent d’un changement de stratégie. « L’innovation de 2022, c’est qu’au sein de ce parlement, on adhère à titre individuel. L’environnement autour de Mélenchon est donc moins issu du monde partisan que de la société civile, même si c’est très mis en scène », explique le sociologue Manuel Cervera-Marzal, auteur du livre Le Populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise (La Découverte, 2021).

Tout le pouvoir aux soviets ?

Il n’a pas échappé à la constellation insoumise que le quinquennat d’Emmanuel Macron a été rythmé par des mobilisations sociales historiques : du mouvement climat aux gilets jaunes, en passant par les mouvements antiracistes, féministes et pour la défense des retraites.

Celles-ci se sont bien souvent heurtées à la répression d’une part, et à un parlement verrouillé par l’hégémonie de La République en marche (LREM) d’autre part. LFI, qui a fait la démonstration de sa pugnacité pendant cinq ans par l’action de son groupe parlementaire, espère tirer profit de cette colère rentrée.

« De la part du mouvement social, dont on respecte l’autonomie, on a l’impression qu’il y a le besoin d’un débouché politique, qu’on ne peut pas attendre plusieurs années qu’il y ait une alliance de toute la gauche, estime ainsi la députée européenne Leïla Chaibi, qui a fait campagne pour Mélenchon en 2012 et 2017, et qui vient elle-même du monde associatif. On a beaucoup plus de cartes en main qu’il y a cinq ans pour faire valoir notre projet de société. Gramsci racontait qu’il fallait conquérir l’hégémonie culturelle avant de gagner la bataille politique. En cinq ans, je crois que de ce point de vue, on se bat beaucoup moins contre des moulins à vent. »

Les dix-sept membres du groupe parlementaire de LFI ont aussi noué des liens parfois étroits avec certaines associations et mouvements sociaux au cours de leur mandat. Mathilde Panot, la présidente du groupe, qui a beaucoup travaillé sur la protection des biens communs comme l’eau et les forêts, est ainsi à l’origine du rapprochement avec Alma Dufour, qu’elle connaît bien. « Non seulement le travail parlementaire a resserré les liens, mais la situation est différente de 2017 car le sentiment d’urgence est plus fort. C’est puissant, ça redonne une forme de noblesse à la politique », juge-t-elle.

Est-ce à dire que LFI a subitement décidé de donner tout le pouvoir aux soviets ? Pas encore. « Le parlement n’est pas le cœur de la campagne. Ce n’est pas là que les décisions se prennent pour l’instant », convient Razmig Keucheyan. La présence du directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, dans la boucle des échanges du groupe d’animation du PUP, témoigne cependant, selon Aurélie Trouvé, d’un intérêt réciproque.

Concrètement, le PUP alimente des « plans » programmatiques, a produit plusieurs tribunes, et a pris possession de la première partie du meeting olfactif à Nantes, le 16 janvier, considéré par les Insoumis comme un tournant de la campagne. Il interviendra aussi au meeting de Jean-Luc Mélenchon à Montpellier (Hérault), le 13 février – Christian Benedetti a planché sur une mise en scène de l’histoire des luttes. Mais grosso modo, avec le PUP, les troupes mélenchoniennes reviennent à leur invariable mantra : « Comme en 2012, on dit : “Une seule consigne : n’attendez pas les consignes !” », affirme Mathilde Panot.

Coup d’avance

Plus officieusement, le PUP est aussi une pépinière de candidat·es pour les prochaines élections législatives. En plus du groupe des 17 député·es, qui se représenteront à l’exception de Sabine Rubin en Seine-Saint-Denis, LFI espère grossir ses rangs à l’Assemblée. Aurélie Trouvé sera ainsi candidate dans la circonscription de Sabine Rubin en Île-de-France, Alma Dufour a émis le souhait de se lancer en Seine-Maritime, Aymeric Caron « réfléchit » à se présenter sur ses terres natales dans le Pas-de-Calais…

Jean-Luc Mélenchon n’est pas un aventurier de la politique, il veut que son courant perdure.

Mathilde Panot, présidente du groupe LFI

Ces arrivées créent des tensions chez des Insoumis engagés de longue date, qui y voient une forme de déloyauté organisationnelle. « Je pense qu’il y a beaucoup trop de parachutages, et que c’est ni fait ni à faire, confie un parlementaire insoumis. L’enjeu après, c’est de ne plus s’asseoir sur les élections intermédiaires, ce qui veut dire s’implanter, et respecter les collectifs militants. »

Mathilde Panot tempère : « C’est légitime qu’ils et elles soient candidat·es aux législatives. Jean-Luc Mélenchon n’est pas un aventurier de la politique, il veut que son courant perdure. Il y aura forcément des frictions à certains endroits. Mais les Insoumis sont fiers de ces ralliements. Ce sont des gens avec qui on travaille depuis des années. »

Dans une conjoncture marquée par l’agonie, voire la disparition d’organisations historiques de la gauche (du PS au NPA, qui pourrait n’avoir pas assez de parrainages pour présenter son candidat), Jean-Luc Mélenchon semble vouloir faire de l’Union populaire l’embryon d’une nouvelle gauche plus ample que LFI. « Si ça fonctionne, on souhaiterait que l’UP se prolonge après les élections », affirme Éric Coquerel, un des artisans du PUP.

Le 27 janvier, le candidat à la présidentielle confiait dans l’émission « Face à Baba » sa « hantise » de voir le scénario italien se répéter : une disparition de la gauche dans ses variantes réformistes et révolutionnaires.

Le groupe parlementaire, d’une moyenne d’âge très jeune, rompu de fait à l’art oratoire, doit assurer la relève. « Je souhaite qu’après la campagne, le PUP soit l’embryon d’une sorte d’organisation, ni aussi rigide qu’un parti, ni un mouvement à l’état gazeux, confie Razmig Keucheyan. Si le PUP devient vraiment important, une reconstruction des gauches, y compris avec un secteur de gauche modérée, est possible. Ce serait fantastique, et c’est une expérience qui se joue maintenant. »

Mathieu Dejean


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